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présent, cette liberté de choix, à l'égard des actions purement civiles et naturelles. C'est toutefois en cet état que nous croyons que Dieu règle tous les événements de notre vie, même ceux qui dépendent le plus du libre arbitre; par conséquent c'est hors de propos qu'on a recours à un autre état, puisque c'est dans celui-ci qu'il s'agit de sauver la liberté.

Secondement, il paroît, par les choses qui ont été dites, que ces décrets absolus de la Providence divine, qui enferment tout ce qui dépend de la liberté, ni ces moyens efficaces de la conduire, ne doivent pas être attribués à Dieu par accident, et en conséquence d'un certain état particulier; mais doivent être établis en tout état, comme des suites essentielles de la souveraineté de Dieu, et de la dépendance de la créature. En tout état, Dieu doit régler tous les événements particuliers; parce qu'en tout état il est tout-puissant et tout sage. En tout état, il doit tout prévoir; et par conséquent il doit tout ensemble, et tout résoudre, et tout faire; parce qu'il ne voit rien hors de lui que ce qu'il y fait, et ne le connoît qu'en lui-même dans son essence infinie, et dans l'ordre de ses conseils, où tout est compris. Enfin il doit être en tout état la cause de tout le bien qui se trouve dans sa créature, quelle qu'elle soit; et le doit être par conséquent du bon usage du libre arbitre, qui est un bien si précieux, et une si grande perfection de la créature.

En effet, si toutes les choses ne sont pas attribuées à Dieu, précisément parce qu'il est Dieu, il n'y a aucune raison de les lui attribuer dans l'état où nous nous trouvons à présent. Car encore qu'on doive croire que l'homme malade ait besoin d'un plus grand secours que l'homme sain, il ne s'ensuit pas pour cela que Dieu doive se rendre maitre de nos volontés plus qu'il ne l'étoit; puisqu'il peut si bien mesurer son secours avec notre foiblesse, que les choses, pour ainsi dire, viennent à l'égalité par le contre-poids; et que ce soit toujours notre liberté qui fasse seule, pour ainsi dire, pencher la balance, sans que Dieu s'en mêle, non plus qu'il faisoit auparavant. Si donc on veut à présent qu'il se mêle dans nos conseils, qu'il en règle les événements, qu'il en fasse prendre les résolutions par des moyens efficaces; ce n'est point la condition particulière de l'état présent qui l'y oblige, mais c'est que sa propre souveraineté, et l'état essentiel de la créature l'exige ainsi.

On dira que l'homme ayant abusé de la liberté

de son choix, a mérité de perdre cette liberté à l'égard du bien; et que Dieu, qui avoit permis que lorsqu'il étoit en son entier, il pût s'attribuer à lui-même le bon usage de son libre arbitre, ne veut plus précisément qu'il le doive à autre chose qu'à sa grâce; afin que celui qui a présumé de lui-même, ne trouve plus désormais de gloire ni de salut qu'en son Auteur. Mais certes je ne comprends pas que la différence qu'il y a entre l'homme sain et l'homme malade, puisse jamais opérer qu'il doive, en un état plutôt qu'en l'autre, n'attribuer pas à Dieu le bien qu'il a, et par conséquent celui qu'il fait : quelque noble que soit l'état d'une créature, jamais il ne suffira pour l'autoriser à se glorifier en elle-même; et l'homme, qui doit à Dieu maintenant la guérison de sa maladie, lui auroit dû, en persévérant, la conservation de sa santé, par la raison générale qu'il n'a aucun bien qu'il ne lui doive.

Ainsi la direction qu'il faut attribuer à Dieu sur le libre arbitre, pour le conduire à ses fins par des moyens assurés, convient à ce premier Etre par son être même, et par conséquent en tout état et si on pouvoit penser que cela ne lui convient pas en tout état, nulle raison ne convainc qu'il lui doive convenir en celui-ci.

Aussi voyons-nous que l'Ecriture, qui seule nous a appris ces deux états de notre nature, n'attribue, en aucun endroit, à celui-ci plutôt qu'à l'autre, ni ces décrets absolus, ni ces moyens efficaces. Elle dit généralement que Dieu fait tout ce qui lui plaît dans le ciel et dans la terre; que tous ces conseils tiendront, et que toutes ses volontés auront leur effet; que tout bien doit venir de lui, comme de sa source. C'est sur ces principes généraux qu'elle veut que nous rapportions à sa bonté tout le bien qui est en nous, et que nous faisons; et à l'ordre de sa providence tous les événements des choses humaines. Par où elle nous fait voir qu'elle attache ce sentiment à des idées qui sont clairement comprises dans la simple notion que nous avons de Dieu : de sorte que les moyens par lesquels il sait s'assurer de nos volontés, ne sont pas d'un certain état où notre nature soit tombée par accident; mais sont du premier dessein de notre création.

Au reste, nous n'avons pas entrepris, dans cette Dissertation, d'examiner les sentiments de saint Augustin, à qui on attribue l'opinion que je viens de rapporter; parce qu'encore qu'il y eût beaucoup de choses à dire sur cela, nous n'avons pas eu dessein de disputer ici par autorité.

CHAPITRE VI.

SECOND MOYEN pour accorder notre liberté avec la certitude des décrets de Dieu: la science moyenne ou conditionnée. Foible de cette opinion.

Poursuivons donc notre ouvrage, et considérons l'opinion de ceux qui croient sauver tout ensemble, et la liberté de l'homme, et la certitude des décrets de Dieu, par le moyen d'une science moyenne ou conditionnée, qu'ils lui attribuent. Voici quels sont leurs principes.

1.o Nulle créature libre n'est déterminée par elle-même au bien ou au mal; car une telle détermination détruiroit la notion de la liberté.

2.o Il n'y a aucune créature qui, prise en un certain temps et en certaines circonstances, ne se déterminât librement à faire le bien; et prise en un autre temps et en d'autres circonstances, ne se déterminât avec la même liberté à faire le mal car s'il y en avoit quelques-unes qui en tout temps et en toutes circonstances dussent mal faire, il s'ensuivroit, contre le principe posé, que l'une par elle-même seroit déterminée au bien, et l'autre au mal.

3.o Dieu connoît, de toute éternité, tout ce que la créature fera librement, en quelque temps qu'il la puisse prendre, et en quelques circonstances qu'il la puisse mettre, pourvu seulement qu'il lui donne ce qui lui est nécessaire pour agir.

4. Ce qu'il en connoît éternellement ne change rien dans la liberté; puisque ce n'est rien changer dans la chose, de dire qu'on la connoisse, ni dans le temps telle qu'elle est, ni dans l'éternité telle qu'elle doit être.

5. Il est au pouvoir de Dieu de donner ses inspirations et ses grâces en tel temps et en telles circonstances qu'il lui plaît.

6. Sachant ce qui arrivera, s'il les donne en un temps plutôt qu'en l'autre, il peut, par ce moyen, et savoir et déterminer les événements, sans blesser la liberté humaine.

Une seule demande faite aux auteurs de cette opinion, en découvrira le foible. Quand on présuppose que Dieu voit ce que fera l'homme, s'il le prend en un temps et en un état plutôt qu'en l'autre : ou on veut qu'il le voie dans son décret, et parce qu'il l'a ainsi ordonné; ou on veut qu'il le voie dans l'objet même comme considéré hors de Dieu, et indépendamment de ; son décret. Si on admet le dernier, on suppose des choses futures sous certaines conditions, avant que Dieu les ait ordonnées; et on suppose encore qu'il les voit hors de ses conseils éter

nels : ce que nous avons montré impossible. Que si on dit qu'elles sont futures sous telles conditions, parce que Dieu les a ordonnées sous ces mêmes conditions, on laisse la difficulté en son entier; et il reste toujours à examiner comment ce que Dieu ordonne peut demeurer libre,

Joint que ces manières de connoître sous condition, ne peuvent être attribuées à Dieu, que par ce genre de figures, qui lui attribuent improprement ce qui ne convient qu'à l'homme; et que toute science précise réduit en propositions absolues toutes les propositions conditionnées.

CHAPITRE VII.

TROISIÈME MOYEN pour accorder notre liberté avec les décrets de Dieu : la contempération, et la suavité, ou la délectation qu'on appelle victorieuse. Insuffisance de ce moyen.

Une autre opinion pose pour principe que notre volonté est libre dans le sens dont il s'agit; mais qu'il ne s'ensuit pas que pour être libre, elle soit invincible à la raison, ni incapable d'être gagnée par les attraits divins. Or, ce que Dieu peut faire pour nous attirer, se peut réduire à trois choses: 1.o à la proposition ou disposition des objets, 2.° aux pensées qu'il nous peut mettre dans l'esprit, 3.o° aux sentiments qu'il peut nous exciter dans le cœur, et aux diverses inclinations qu'il peut inspirer à la volonté; semblables à celles que nous voyons, par lesquelles les hommes se trouvent portés à une profession ou à un exercice plutôt qu'à un autre.

Toutes ces choses ne nuisent pas à la liberté, qui peut s'élever au-dessus : mais, disent les auteurs de cette opinion, Dieu, en ménageant tout cela avec cette plénitude de sagesse et de puissance qui lui est propre, trouvera des moyens de s'assurer de nos volontés.

Par la disposition des objets, il fera qu'une passion corrigera l'autre; une crainte extrême survenue modérera une espérance téméraire qui nous emporteroit; une grande douleur nous fera oublier un grand plaisir. Le courant impétueux de ce mouvement sera suspendu, et par là perdra sa force; l'occasion échappera pendant ce temps-là; l'âme un peu reposée reviendra à son bon sens; l'amour, que la seule beauté d'une femme aura excité, sera éteint par une maladie qui la défigure tout à coup. Dieu modérera une ambition que la faveur trop déclarée d'un prince aura fait naître, en lui inspirant du dégoût pour nous, ou bien en l'ôtant du monde, ou enfin en changeant en mille façons les choses

extérieures qui sont absolument en sa puissance. Par l'inspiration des pensées, il nous convaincra pleinement de la vérité; il nous donnera des lumières nettes et certaines pour la découvrir; il nous la tiendra toujours présente, et dissipera comme une ombre les apparences de raison qui nous éblouissent.

Il fera plus comme la raison n'est pas toujours écoutée, lorsque nos inclinations y résistent, parce que notre inclination est elle-même souvent la plus pressante raison qui nous émeuve, Dieu saura nous prendre encore de ce côté-là; il donnera à notre âme une pente douce d'un côté, plutôt que d'un autre. La pleine compréhension de notre inclination et de nos humeurs lui fera trouver certainement la raison qui nous détermine en chaque chose. Car, encore que notre âme soit libre, elle n'agit jamais sans raison dans les choses un peu importantes; elle en a toujours une qui la détermine. Que je sache jusqu'à quel point un de mes amis est déterminé à me plaire; je saurai certainement jusqu'à quel point je pourrai disposer de lui. En effet, il y a des choses où je ne me tiens pas moins assuré des autres que de moi-même; et cependant en cela je ne leur ôte non plus leur liberté, que je me l'ôte à moi-même, en me convaincant des choses que je dois ou rechercher ou fuir. Or ce que je puis pousser à l'égard des autres jusqu'à certains effets particuliers, qui doute que Dieu ne le puisse étendre universellement à tout ? Ce que je ne sais que par conjectures, il le voit avec une pleine certitude. Je ne puis rien que foiblement; il n'y a rien que le Tout-Puissant ne puisse faire concourir à ses desseins. Si donc il veut tout ensemble, et gagner ma volonté, et la laisser libre, il pourra ménager l'un et l'autre. Enfin, quand on voudroit supposer que l'homme lui résisteroit une fois, il reviendroit à la charge, disent ces auteurs, et tant de fois, et si vivement, que l'homme, qui par foiblesse et à force d'être importuné, se laisse aller si souvent, même à des choses fâcheuses, ne résistera point à celles que Dieu aura entrepris de Jui rendre agréables.

C'est ainsi que ces auteurs expliquent comment Dieu est cause de notre choix. Il fait, disent-ils, que nous choisissons, par les préparations, et par les attraits qu'on vient de voir, qui nous mettent en de certaines dispositions, nous inclinént aussi doucement qu'efficacement à une chose plutôt qu'à l'autre. Voilà ce qu'on appelle l'opinion de la contempération, qui en cela ne differe pas beaucoup, ou qui enferme en elle

même celle qui met l'efficace des secours divins dans une certaine suavité qu'on appelle victorieuse. Cette suavité est un plaisir qui prévient toute détermination de la volonté : et comme, de deux plaisirs qui attirent, celui-là, dit-on, l'emporte toujours, dont l'attrait est supérieur et plus abondant; il n'est pas malaisé à Dieu de faire prévaloir le plaisir du côté d'où il a dessein de nous attirer. Alors ce plaisir, victorieux de l'autre, engagera par sa douceur notre volonté, qui ne manque jamais de suivre ce qui lui plait davantage. Plusieurs de ceux qui suivent cette opinion, disent que ce plaisir supérieur et victorieux se fait suivre de l'âme par nécessité, et ne lui laisse que la liberté qui consiste dans le volontaire. En cela, ils diffèrent de l'opinion de la contempération, qui veut que la volonté, pour être libre, puisse résister à l'attrait, quoique Dieu fasse en sorte qu'elle n'y résiste pas, et qu'elle s'y rende. Mais au reste, si on considère la nature de cette suavité supérieure et victorieuse, on verra qu'elle est composée de toutes les choses que la contempération nous a expliquées.

CHAPITRE VIII.

QUATRIÈME ET DERNIER MOYEN pour accorder notre liberté avec les décrets de Dieu : la prémotion et la prédétermination physique. Elle sauve parfaitement notre liberté, et notre dépendance de Dieu.

Jusques ici la volonté humaine est comme environnée de tous côtés par l'opération divine. Mais cette opération n'a rien encore qui aille immédiatement à notre dernière détermination ; et c'est à l'âme seule à donner ce coup. D'autres passent encore plus avant, et avouent les trois choses qui ont été expliquées. Ils ajoutent que Dieu fait encore immédiatement en nous-mêmes, que nous nous déterminons d'un tel côté ; mais que notre détermination ne laisse pas d'être libre, parce que Dieu veut qu'elle soit telle. Car, disent-ils, lorsque Dieu, dans le conseil éternel de sa providence, dispose des choses humaines, et en ordonne toute la suite, il ordonne, par le même décret, ce qu'il veut que nous souffrions par nécessité, et ce qu'il veut que nous fassions librement. Tout suit, et tout se fait, et dans le fond, et dans la manière, comme il est porté par ce décret. Et, disent ces théologiens, il ne faut point chercher d'autres moyens que celui-là, pour concilier notre liberté avec les décrets de Dieu. Car, comme la volonté de Dieu n'a besoin que d'elle-même pour accomplir tout ce qu'elle

ordonne, il n'est pas besoin de rien mettre entre elle et son effet. Elle l'atteint immédiatement, et dans son fond, et dans toutes les qualités qui lui conviennent. Et on se tourmente vainement en cherchant à Dieu des moyens par lesquels il fasse ce qu'il veut ; puisque dès là qu'il veut, ce qu'il veut existe. Ainsi, dès qu'on présuppose que Dieu ordonne dès l'éternité qu'une chose soit dans le temps, dès là, sans autre moyen, elle sera. Car quel meilleur moyen peut-on trouver, pour faire qu'une chose soit, que sa propre cause? Or la cause de tout ce qui est, c'est la volonté de Dieu, et nous ne concevons rien en lui, par où il fasse tout ce qui lui plaît, si ce n'est que sa volonté est d'elle-même très efficace. Cette efficace est si grande, que non-seulement les choses sont absolument, dès là que Dieu veut qu'elles soient; mais encore, qu'elles sont telles, dès que Dieu veut qu'elles soient telles; et qu'elles ont une telle suite, et un tel ordre, dès que Dieu veut qu'elles l'aient. Car il ne veut pas les choses en général seulement; il les veut dans tout leur état, dans toutes leurs propriétés, dans tout leur ordre. Comme donc un homme est, dès là que Dieu veut qu'il soit, il est libre, dès là que Dieu veut qu'il soit libre; et il agit librement, dès là que Dieu veut qu'il agisse librement ; et il fait librement telle et telle action, dès là que Dieu le veut ainsi. Car toutes les volontés, et des hommes et des anges, sont comprises dans la volonté de Dieu, comme dans leur cause première et universelle; et elles ne seront libres, que parce qu'elles y seront comprises comme libres. Par la même raison, toutes les résolutions que les hommes et les anges prendront jamais, en tout ce qu'elles ont de bien et d'être, sont comprises dans les décrets éternels de Dieu, ou tout ce qui est a sa raison primitive: et le moyen infaillible de faire non-seulement qu'elles soient, mais qu'elles soient librement, c'est que Dieu veuille non-seulement qu'elles soient, mais qu'elles soient librement; parce que, étant maitre souverain de tout ce qui est ou libre ou non libre, tout ce qu'il veut est comme il le veut. Dieu donc veut le premier, parce qu'il est le premier être, et le premier libre: et tout le reste veut après lui, et veut à la manière que Dieu veut qu'il veuille. Car c'est le premier principe, et la loi de l'univers, qu'après que Dieu a parlé dans l'éternité, les choses suivent, dans le temps marqué, comme d'elles-mêmes. Et, ajoutent les mêmes auteurs, en ce peu de mots sont compris tous les moyens d'accorder la liberté de nos actions avec la volonté absolue de Dieu. C'est que la

cause première et universelle, d'elle-même, et par sa propre efficace, s'accorde avec son effet; parce qu'elle y met tout ce qui y est, et qu'elle met par conséquent dans les actions humaines, non-seulement leur être tel qu'elles l'ont, mais encore leur liberté même. Car, poursuivent ces théologiens, la liberté convient à l'âme, nonseulement dans le pouvoir qu'elle a de choisir, mais encore lorsqu'elle choisit actuellement; et Dieu, qui est la cause immédiate de notre liberté, la doit produire dans son dernier acte si bien que le dernier acte de la liberté consistant dans son exercice, il faut que cet exercice soit encore de Dieu, et que comme tel il soit compris dans la volonté divine. Car il n'y a rien dans la créature qui tienne tant soit peu de l'être, qui ne doive à ce même titre tenir de Dieu tout ce qu'il a. Comme donc plus une chose est actuelle, plus elle tient de l'être ; il s'ensuit que plus elle est actuelle, plus elle doit tenir de Dieu. Ainsi notre âme, conçue comme exerçant sa liberté, étant plus en acte que conçue comme pouvant l'exercer, elle est par conséquent davantage sous l'action divine, dans son exercice actuel, qu'elle ne l'étoit auparavant : ce qui ne se peut entendre, si on ne dit que cet exercice vient immédiatement de Dieu. En effet, comme Dieu fait en toutes choses ce qui est être et perfection; si ètre libre est quelque chose, et quelque perfection dans chaque acte, Dieu y fait cela même qu'on appelle libre; et l'efficace infinie de son action, c'est-à-dire, de sa volonté, s'étend, s'il est permis de parler ainsi, jusqu'à cette formalité. Et il ne faut pas objecter, que le propre de l'exercice de la liberté, c'est de venir seulement de la liberté même; car cela seroit véritable, si la liberté de l'homme étoit une liberté première et indépendante, et non une liberté découlée d'ailleurs. Mais, comme il a été dit, toute volonté créée est comprise, comme dans sa cause, dans la volonté divine, et c'est de là que la volonté humaine a d'être libre. Ainsi, étant véritable que toute notre liberté vient en son fond immédiatement de Dieu, celle qui se trouve dans notre action doit venir de la même source; parce que notre liberté n'étant pas une liberté de soi indépendamment de Dieu, elle ne peut donner à son action d'être libre de soi indépendamment de Dieu; au contraire cette action ne peut être libre qu'avec la même dépendance qui convient essentiellement à son principe D'où il s'ensuit que la liberté vient toujours de Dieu, comme de sa cause; soit qu'on la considère dans son fond, c'est-à-dire, dans le pouvoir de choisir; soit

qu'on la considère dans son exercice, et comme appliqué à tel acte.

N'importe que notre choix soit une action véritable que nous faisons: car, par là même, elle doit encore venir immédiatement de Dieu, qui étant, comme premier être, cause immédiate de tout être; comme premier agissant, doit être cause de toute action: tellement qu'il fait en nous l'agir même, comme il y fait le pouvoir agir. Et de même que l'être créé ne laisse pas d'être, pour être d'un autre, c'est-à-dire, pour être de Dieu; au contraire, il est ce qu'il est, à cause qu'il est de Dieu il faut entendre de même, que l'agir créé ne laisse pas, si on peut parler de la sorte, d'être un agir, pour être de Dieu; au contraire, il est d'autant plus agir, que Dieu lui donne de l'être. Tant s'en faut donc que Dieu, en causant l'action de la créature, lui ôte d'être action, qu'au contraire il le lui donne; parce qu'il faut qu'il lui donne tout ce qu'elle a, et tout ce qu'elle est : et plus l'action de Dieu sera conçue comme immédiate, plus elle sera conçue comme donnant immédiatement, et à chaque créature, et à chaque action de la créature, toutes les propriétés qui leur conviennent. Ainsi, loin qu'on puisse dire que l'action de Dieu sur la nôtre lui ôte sa liberté; au contraire, il faut conclure que notre action est libre à priori, à cause que Dieu la fait être libre. Que si on attribuoit à un autre qu'à notre auteur, de faire en nous notre action, on pourroit croire qu'il blesseroit notre liberté, et romproit, pour ainsi dire, en le remuant, un ressort si délicat, qu'il n'auroit point fait : mais Dieu n'a garde de rien ôter à son ouvrage par son action, puisqu'il y fait au contraire tout ce qui y est, jusqu'à la dernière précision; et qu'il fait par conséquent non-seulement notre choix, mais encore dans notre choix la liberté même.

Pour mieux entendre ceci, il faut remarquer que, selon ce qui a été dit, Dieu ne fait pas notre action comme une chose détachée de nous; mais que faire notre action, c'est faire que nous agissions; et faire dans notre action sa liberté, c'est faire que nous agissions librement; et le faire, c'est vouloir que cela soit; car faire, à Dieu, c'est vouloir. Ainsi, pour entendre que Dieu fait en nous nos volontés libres, il faut entendre seulement qu'il veut que nous soyons libres. Mais il ne veut pas seulement que nous soyons libres en puissance, il veut que nous soyons libres en exercice et il ne veut pas seulement en général, que nous exercions notre liberté, mais il veut que nous l'exercions par tel et tel acte. Car lui, dont TOME IV.

la science et la volonté vont toujours jusqu'à la dernière précision des choses, ne se contente pas de vouloir qu'elles soient en général; mais il descend à ce qui s'appelle tel et tel, c'est-à-dire, à ce qu'il y a de plus particulier; et tout cela est compris dans ses décrets. Ainsi, Dieu veut, dès l'éternité, tout l'exercice futur de la liberté humaine, en tout ce qu'il a de bon et de réel. Qu'y a-t-il de plus absurde que de dire qu'il n'est pas, à cause que Dieu veut qu'il soit? ne faut-il pas dire, au contraire, qu'il est, parce que Dieu le veut; et que, comme il arrive que nous sommes libres par la force du décret qui veut que nous soyons libres, il arrive aussi que nous agissons librement en tel et tel acte, par la force du même décret qui descend à tout ce détail.

Ainsi, ce décret divin sauve parfaitement notre liberté ; car la seule chose qui suit en nous, en vertu de ce décret, c'est que nous fassions librement tel et tel acte. Et il n'est pas nécessaire que Dieu, pour nous rendre conformes à son décret, mette autre chose en nous que notre propre détermination, ou qu'il l'y mette par autre que par nous. Comme donc il seroit absurde de dire que notre propre détermination nous ôtât notre liberté, il ne le seroit pas moins de dire que Dieu nous l'ôtât par son décret : et comme notre volonté, en se déterminant elle-même à choisir une chose plutôt que l'autre, ne s'ôte pas le pouvoir de choisir entre les deux, il faut conclure de même que ce décret de Dieu ne nous l'ôte pas. Car le propre de Dieu, c'est de vouloir; et en voulant, de faire dans chaque chose et dans chaque acte, ce que cette chose et cet acte sera et doit être. Et comme il ne répugne pas à notre choix et à notre détermination de se faire par notre volonté, puisqu'au contraire telle est sa nature; il ne lui répugne pas non plus de se faire par la volonté de Dieu, qui la veut, et la fera être telle qu'elle seroit, si elle ne dépendoit que de nous. En effet, nous pouvons dire que Dieu nous fait tels que nous serions nous-mêmes, si nous pouvions être de nousmêmes; parce qu'il nous fait dans tous les principes, et dans tout l'état de notre être. Car, à parler proprement, l'état de notre être, c'est d'être tout ce que Dieu veut que nous soyons. Ainsi il fait être homme ce qui est homme; et corps, ce qui est corps; et pensée, ce qui est pensée; et passion, ce qui est passion; et action, ce qui est action; et nécessaire, ce qui est nécessaire; et libre, ce qui est libre; et libre en acte et en exercice, ce qui est libre en acte et en exercice car c'est ainsi qu'il fait tout ce qu'il lui plaît dans le ciel et dans la terre, et que dans sa

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