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toutes ses promesses (Gen., XXII. 18. ), et bénitde nouveau non-seulement sa famille, mais encore par sa famille toutes les nations de l'univers.

En effet, il continua sa protection à Isaac son fils, et à Jacob son petit-fils. Ils furent ses imitateurs, attachés comme lui à la croyance ancienne, à l'ancienne manière de vie qui étoit la vie pastorale, à l'ancien gouvernement du genre humain où chaque père de famille étoit prince dans sa maison. Ainsi, dans les changements qui s'introduisoient tous les jours parmi les hommes, la sainte antiquité revivoit dans la religion et dans la conduite d'Abraham et de ses enfants.

Aussi Dicu réitera-t-il à Isaac et à Jacob les mêmes promesses qu'il avoit faites à Abraham (Ibid., XXV. 11; XXVI. 4; XXVIII. 14. ); et comme il s'étoit appelé le Dieu d'Abraham, il prit encore le nom de Dieu d'Isaac, et de Dieu de Jacob.

Sous sa protection ces trois grands hommes commencèrent à demeurer dans la terre de Chanaan, mais comme des étrangers et sans y posséder un pied de terre (Act., VII. 5.), jusqu'à ce que la famine attira Jacob en Egypte, où ses enfants multipliés devinrent bientôt un grand peuple, comme Dieu l'avoit promis.

Au reste, quoique ce peuple, que Dieu faisoit naître dans son alliance, dût s'étendre par la génération, et que la bénédiction dût suivre le sang, ce grand Dieu ne laissa pas d'y marquer l'élection de sa grâce. Car, après avoir choisi Abraham du milieu des nations, parmi les enfants d'Abraham il choisit Isaac, et des deux jumeaux d'Isaac il choisit Jacob, à qui il donna le nom d'Israël.

La préférence de Jacob fut marquée par la solennelle bénédiction qu'il reçut d'Isaac, par surprise en apparence, mais en effet par une expresse disposition de la sagesse divine. Cette action prophétique et mystérieuse avoit été préparée par un oracle dès le temps que Rébecca, mère d'Esau et de Jacob, les portoit tous deux dans son sein. Car cette pieuse femme, troublée du combat qu'elle sentoit entre ses deux enfants dans ses entrailles, consulta Dieu, de qui elle reçut cette réponse : « Vous portez deux peuples » dans votre sein, et l'aîné sera assujéti au plus » jeune. » En exécution de cet oracle, Jacob avoit reçu de son frère la cession de son droit d'aìnesse, confirmée par serment ( Gen., XXV. 22, 23, 32.); et Isaac en le bénissant ne fit que le mettre en possession de ce droit, que le cicl lui-même lui avoit donné. La préférence des Israélites enfants de Jacob sur les Iduméens en

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fants d'Esau est prédite par cette action, qui marque aussi la préférence future des Gentils nouvellement appelés à l'alliance par JésusChrist, au-dessus de l'ancien peuple.

Jacob eut douze enfants, qui furent les douze patriarches auteurs des douze tribus. Tous devoient entrer dans l'alliance; mais Juda fut choisi parmi tous ses frères pour être le père des rois du peuple saint, et le père du Messie tant promis à ses ancêtres.

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Le temps devoit venir que dix tribus étant retranchées du peuple de Dieu pour leur infidélité, la postérité d'Abraham ne conserveroit son ancienne bénédiction, c'est-à-dire la religion, la terre de Chanaan, et l'espérance du Messie, qu'en la seule tribu de Juda, qui devoit donner le nom au reste des Israélites qu'on appela Juifs, et à tout le pays qu'on nomma Judée.

Ainsi l'élection divine paroît toujours même dans ce peuple charnel, qui devoit se conserver par la propagation ordinaire.

Jacob vit en esprit le secret de cette élection (Gen., XLIX.). Comme il étoit prêt à expirer, et que ses enfants autour de son lit demandoient la bénédiction d'un si bon père; Dieu lui découvrit l'état des douze tribus quand elles seroient dans la Terre promise; il l'expliqua en peu de paroles, et ce peu de paroles renferment des mystères innombrables.

Quoique tout ce qu'il dit des frères de Juda soit exprimé avec une magnificence extraordinaire, et ressente un homme transporté hors de lui-même par l'esprit de Dieu; quand il vient à Juda, il s'élève encore plus haut. « Juda, dit-il › (Ibid., s. ), tes frères te loucront; ta main sera » sur le cou de tes ennemis; les enfants de ton

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père se prosterneront devant toi. Juda est un

jeune lion. Mon fils, tu es allé au butin. Tu » t'es reposé comme un lion et comme une » lionne. Qui osera le réveiller? Le sceptre » (c'est-à-dire l'autorité) ne sortira point de Juda, et on verra toujours des capitaines et des >> magistrats, ou des juges nés de sa race, jusqu'à » ce que vienne celui qui doit être envoyé, et qui sera l'attente des peuples; » ou, comme porte une autre leçon qui peut-être n'est pas moins ancienne, et qui au fond ne diffère pas de celle-ci, « jusqu'à ce que vienne celui à qui les » choses sont réservées, » et le reste comme nous venons de le rapporter.

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La suite de la prophétie regarde à la lettre la contrée que la tribu de Juda devoit occuper dans la Terre-Sainte. Mais les dernières paroles que nous avons vues, en quelque façon qu'on les

veuille prendre, ne signifient autre chose que celui qui devoit être l'envoyé de Dieu, le ministre et l'interprète de ses volontés, l'accomplissement de ses promesses, et le roi du nouveau peuple, c'est-à-dire le Messie ou l'Oint du Seigneur.

Jacob n'en parle expressément qu'au seul Juda dont ce Messie devoit naître : il comprend, dans la destinée de Juda seul, la destinée de toute la nation, qui après sa dispersion devoit voir les restes des autres tribus réunies sous les étendards de Juda.

Tous les termes de la prophétie sont clairs : il n'y a que le mot de sceptre que l'usage de notre langue nous pourroit faire prendre pour la seule royauté; au lieu que, dans la langue sainte, il signifie, en général, la puissance, l'autorité, la magistrature. Cet usage du mot de sceptre se trouve à toutes les pages de l'Ecriture : il paroît même manifestement dans la prophétie de Jacob, et le patriarche veut dire qu'aux jours du Messie toute autorité cessera dans la maison de Juda; ce qui emporte la ruine totale d'un état.

Ainsi les temps du Messie sont marqués ici par un double changement. Par le premier, le royaume de Juda et du peuple juif est menacé de sa dernière ruine. Par le second, il doit s'élever un nouveau royaume, non pas d'un seul peuple, mais de tous les peuples, dont le Messie doit être le chef et l'espérance.

Dans le style de l'Ecriture, le peuple juif est appelé en nombre singulier, et par excellence, le peuple, ou le peuple de Dieu (Is., LXV, etc.; Rom., X. 21.); et quand on trouve les peuples (Is., II. 2, 3; XLIX. 6, 18; LI. 4, 5, etc.), ceux qui sont exercés dans les Ecritures, entendent les autres peuples, qu'on voit aussi promis au Messie dans la prophétie de Jacob.

Cette grande prophétie comprend en peu de paroles toute l'histoire du peuple juif, et du Christ qui lui est promis. Elle marque toute la suite du peuple de Dieu, et l'effet en dure encore.

Aussi ne prétends-je pas vous en faire un commentaire : vous n'en aurez pas besoin, puisqu'en remarquant simplement la suite du peuple de Dieu, vous verrez le sens de l'oracle se développer de lui-même, et que les seuls événements en seront les interprètes.

CHAPITRE III.

Moise, la loi écrite, et l'introduction du

peuple dans la Terre promise.

Après la mort de Jacob, le peuple de Dieu demeura en Egypte, jusqu'au temps de la mission

de Moïse, c'est-à-dire environ deux cents ans. Ainsi il se passa quatre cent trente ans avant que Dieu donnât à son peuple la terre qu'il lui avoit promise.

Il vouloit accoutumer ses élus à se fier à sa promesse, assurés qu'elle s'accomplit tôt ou tard, et toujours dans les temps marqués par son éternelle providence.

Les iniquités des Amorrhéens, dont il leur vouloit donner et la terre et les dépouilles, n'étoient pas encore, comme il le déclare à Abraham (Gen., XV. 16.), au comble où il les attendoit pour les livrer à la dure et impitoyable vengeance qu'il vouloit exercer sur eux par les mains de son peuple élu.

Il falloit donner à ce peuple le temps de se multiplier, afin qu'il fût en état de remplir la terre qui lui étoit destinée (Ibid.), et de l'occuper par force, en exterminant ses habitants maudits de Dieu.

Il vouloit qu'ils éprouvassent en Egypte une dure et insupportable captivité, afin qu'étant délivrés par des prodiges inouïs, ils aimassent leur libérateur, et célébrassent éternellement ses miséricordes.

Voilà l'ordre des conseils de Dieu, tels que luimême nous les a révélés, pour nous apprendre à le craindre, à l'adorer, à l'aimer, à l'attendre avec foi et patience.

Le temps étant arrivé, il écoute les cris de son peuple cruellement affligé par les Egyptiens, et il envoie Moïse pour délivrer ses enfants de leur tyrannie.

Il se fait connoître à ce grand homme plus qu'il n'avoit jamais fait à aucun homme vivant. Il lui apparoît d'une manière également magnifique et consolante (Exod., 11.): il lui déclare qu'il est celui qui est. Tout ce qui est devant lui n'est qu'une ombre. Je suis, dit-il, celui qui suis (Ibid., 14.): l'être et la perfection m'appartiennent à moi seul. Il prend un nouveau nom, qui désigne l'être et la vie en lui comme dans leur source; et c'est ce grand nom de Dieu, terrible, mystérieux, incommunicable, sous lequel il veut dorénavant être servi.

Je ne vous raconterai pas en particulier les plaies de l'Egypte ni l'endurcissement de Pharaon, ni le passage de la mer Rouge, ni la fumée, les éclairs, la trompette résonnante, le bruit effroyable qui parut au peuple sur le mont Sinaï. Dieu y gravoit de sa main, sur deux tables de pierre, les préceptes fondamentaux de la religion et de la société : il dictoit le reste à Moïse à haute voix. Pour maintenir cette loi dans sa vigueur,

il eut ordre de former une assemblée vénérable de septante conseillers (Exod., XXIV. et Num. XI. ), qui pouvoit être appelée le sénat du peuple de Dieu, et le conseil perpétuel de la nation. Dieu parut publiquement, et fit publier sa loi en sa présence avec une démonstration étonnante de sa majesté et de sa puissance.

Jusque là Dieu n'avoit rien donné par écrit qui pût servir de règle aux hommes. Les enfants d'Abraham avoient seulement la circoncision, et les cérémonies qui l'accompagnoient, pour marque de l'alliance que Dieu avoit contractée avec cette race élue. Ils étoient séparés, par cette marque, des peuples qui adoroient les fausses divinités au reste, ils se conservoient dans l'alliance de Dieu par le souvenir qu'ils avoient des promesses faites à leurs pères, et ils étoient connus comme un peuple qui servoit le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Dieu étoit si fort oublié, qu'il falloit le discerner par le nom de ceux qui avoient été ses adorateurs, et dont il étoit aussi le protecteur déclaré.

Il ne voulut point abandonner plus longtemps à la seule mémoire des hommes le mystère de la religion et de son alliance. Il étoit temps de donner de plus fortes barrières à l'idolâtrie, qui inondoit tout le genre humain, et achevoit d'y éteindre les restes de la lumière naturelle.

L'ignorance et l'aveuglement s'étoient prodigieusement accrus depuis le temps d'Abraham. De son temps, et un peu après, la connoissance de Dieu paroissoit encore dans la Palestine et dans l'Egypte. Melchisédech roi de Salem étoit le pontife du Dieu très haut, qui a fait le ciel et la terre (Gen., XIV. 18, 19.). Abimélech roi de Gérare, et son successeur de même nom, craignoient Dieu, juroient en son nom, et admiroient sa puissance ( Ibid., xxI. 22, 23; XXVI. 28, 29.). Les menaces de ce grand Dieu étoient redoutées par Pharaon roi d'Egypte (Ibid., XII. 17, 18.); mais dans le temps de Moïse ces nations s'étoient perverties. Le vrai Dieu n'étoit plus connu en Egypte comme le Dieu de tous les peuples de l'univers, mais comme le Dieu des Hébreux (Exod., v. 1, 2, 3; IX. 1, etc.). On adoroit jusqu'aux bêtes et jusqu'aux reptiles (Ibid., vIII. 26.). Tout étoit Dieu, excepté Dieu même ; et le monde, que Dieu avoit fait pour manifester sa puissance, sembloit être devenu un temple d'idoles. Le genre humain s'égara jusqu'à adorer ses vices et ses passions; et il ne faut pas s'en étonner. Il n'y avoit point de puissance plus inévitable ni plus tyrannique que la leur. L'homme accoutumé

à croire divin tout ce qui étoit puissant, comme il se sentoit entraîné au vice par une force invincible, crut aisément que cette force étoit hors de lui, et s'en fit bientôt un Dieu. C'est par là que l'amour impudique eut tant d'autels, et que des impuretés qui font horreur commencèrent à être mêlées dans les sacrifices (Levit., XX. 2, 3.).

La cruauté y entra en même temps. L'homme coupable, qui étoit troublé par le sentiment de son crime, et regardoit la divinité comme ennemíe, crut ne pouvoir l'apaiser par les victimes ordinaires. Il fallut verser le sang humain avec celui des bêtes; une aveugle frayeur poussoit les pères à immoler leurs enfants, et à les brûler à leurs dieux au lieu d'encens. Ces sacrifices étoient communs dès le temps de Moïse, et ne faisoient qu'une partie de ces horribles iniquités des Amorrhéens, dont Dieu commit la vengeance aux Israélites.

Mais ils n'étoient pas particuliers à ces peuples. On sait que dans tous les peuples du monde, sans en excepter aucun, les hommes ont sacrifié leurs semblables (HEROD., lib. II, c. 107; Cæs., de Bell. Gal., lib. VI, cap. 15; DIOD., lib. 1, sect. 1, n. 32, lib. v, n. 20; PLIN., Hist. natur., lib. XXX, cap. 1; ATHEN., lib. XIII; PORPH., de, Abstin., lib. II, § 8; JORN., de reb. Get., c. 49, etc.); et il n'y a point eu d'endroit sur la terre où on n'ait servi de ces tristes et affreuses divinités, dont la haine implacable pour le genre humain exigeoit de telles victimes.

Au milieu de tant d'ignorances, l'homme vint à adorer jusqu'à l'œuvre de ses mains. Il crut pouvoir renfermer l'esprit divin dans des statues; et il oublia si profondément que Dieu l'avoit fait, qu'il crut à son tour pouvoir faire un dieu. Qui le pourroit croire, si l'expérience ne nous faisoit voir qu'une erreur si stupide et si brutale n'étoit pas seulement la plus universelle, mais encore la plus enracinée et la plus incorrigible parmi les hommes ? Ainsi il faut reconnoître, à la confusion du genre humain, que la première des vérités, celle que le monde prêche, celle dont l'impression est la plus puissante, étoit la plus éloignée de la vue des hommes. La tradition qui la conservoit dans leurs esprits, quoique claire encore, et assez présente si on y eût été attentif, étoit prête à s'évanouir : des fables prodigieuses, et aussi pleines d'impiété que d'extravagance, prenoient sa place. Le moment étoit venu, où la vérité, mal gardée dans la mémoire des hommes, ne pouvoit plus se conserver sans être écrite ; et Dieu ayant résolu d'ailleurs de former son peuple à la vertu par des lois plus expresses et en plus

grand nombre, il résolut en même temps de les

donner par écrit.

Moïse fut appelé à cet ouvrage. Ce grand homme recueillit l'histoire des siècles passés: celle d'Adam, celle de Noé, celle d'Abraham, celle d'Isaac, celle de Jacob, celle de Joseph, ou plutôt celle de Dieu même et de ses faits admirables.

Il ne lui fallut pas déterrer de loin les traditions de ses ancêtres. Il naquit cent ans après la mort de Jacob. Les vieillards de son temps avoient pu converser plusieurs années avec ce saint patriarche; la mémoire de Joseph et des merveilles que Dieu avoit faites par ce grand ministre des rois d'Egypte étoit encore récente. La vie de trois ou quatre hommes remontoit jusqu'à Noé, qui avoit vu les enfants d'Adam, et touchoit, pour ainsi parler, à l'origine des choses.

Ainsi les traditions anciennes du genre humain, et celles de la famille d'Abraham n'étoient pas malaisées à recueillir; la mémoire en étoit vive; et il ne faut pas s'étonner si Moïse, dans sa Genèse, parle des choses arrivées dans les premiers siècles, comme de choses constantes, dont même on voyoit encore, et dans les peuples voisins, et dans la terre de Chanaan, des monuments remarquables.

Dans le temps qu'Abraham, Isaac et Jacob avoient habité cette terre, ils y avoient érigé partout des monuments des choses qui leur étoient arrivées. On y montroit encore les lieux où ils avoient habité; les puits qu'ils avoient creusés dans ces pays secs, pour abreuver leur famille et leurs troupeaux; les montagnes où ils avoient sacrifié à Dieu, et où il leur étoit apparu; les pierres qu'ils avoient dressées ou entassées pour servir de mémorial à la postérité, les tombeaux où reposoient leurs cendres bénites. La mémoire de ces grands hommes étoit récente, non-seulement dans tout le pays, mais encore dans tout l'Orient, où plusieurs nations célèbres n'ont jamais oublié qu'elles venoient de leur race.

Ainsi quand le peuple hébreu entra dans la Terre promise, tout y célébroit leurs ancêtres; et les villes et les montagnes, et les pierres mêmes y parloient de ces hommes merveilleux, et des visions étonnantes par lesquelles Dieu les avoit confirmés dans l'ancienne et véritable croyance.

Ceux qui connoissent tant soit peu les antiquités, savent combien les premiers temps étoient curieux d'ériger et de conserver de tels monuments, et combien la postérité retenoit soigneusement les occasions qui les avoient fait dresser. C'étoit une des manières d'écrire l'histoire; on a

depuis façonné et poli les pierres; et les statues ont succédé après les colonnes aux masses grossières et solides que les premiers temps érigeoient.

On a même de grandes raisons de croire que dans la lignée où s'est conservée la connoissance de Dieu, on conservoit aussi par écrit des mémoires des anciens temps. Car les hommes n'ont jamais été sans ce soin. Du moins est-il assuré qu'il se faisoit des cantiques que les pères apprenoient à leurs enfants; cantiques qui, se chantant dans les fêtes et dans les assemblées, y perpétuoient la mémoire des actions les plus éclatantes des siècles passés.

De là est née la poésie, changée dans la suite en plusieurs formes, dont la plus ancienne se conserve encore dans les odes et dans les cantiques, employés par tous les anciens, et encore à présent par les peuples qui n'ont pas l'usage des lettres, à louer la divinité et les grands hommes.

Le style de ces cantiques, hardi, extraordinaire, naturel toutefois, en ce qu'il est propre à représenter la nature dans ses transports, qui marche pour cette raison par de vives et impétueuses saillies, affranchi des liaisons ordinaires que recherche le discours uni, renfermé d'ailleurs dans des cadences nombreuses qui en augmentent la force, surprend l'oreille, saisit l'imagination, émeut le cœur, et s'imprime plus aisément dans la mémoire.

Parmi tous les peuples du monde, celui où de tels cantiques ont été le plus en usage, a été le peuple de Dieu. Moïse en marque un grand nombre (Num., XXI. 14, 17, 18, 27, etc.), qu'il désigne par les premiers vers, parce que le peuple savoit le reste. Lui-même en a fait deux de cette nature. Le premier (Exod., xv.) nous met devant les yeux le passage triomphant de la mer Rouge, et les ennemis du peuple de Dieu, les uns déjà noyés, et les autres à demi-vaincus par la terreur. Par le second (Deut., XXXII.), Moïse confond l'ingratitude du peuple en célébrant les bontés et les merveilles de Dieu. Les siècles suivants l'ont imité. C'étoit Dieu et ses œuvres merveilleuses qui faisoient le sujet des odes qu'ils ont composées : Dieu les inspiroit luimême; et il n'y a proprement que le peuple de Dieu où la poésie soit venue par enthousiasme.

Jacob avoit prononcé dans ce langage mystique les oracles qui contenoient la destinée de ses enfants, afin que chaque tribu retint plus aisément ce qui la touchoit, et apprît à louer celui qui n'étoit pas moins magnifique dans ses prédictions que fidèle à les accomplir.

Voilà les moyens dont Dieu s'est servi pour conserver jusqu'à Moïse la mémoire des choses passées. Ce grand homme, instruit par tous ces moyens, et élevé au-dessus par le Saint-Esprit, a écrit les œuvres de Dieu avec une exactitude et une simplicité qui attire la croyance et l'admiration, non pas à lui, mais à Dieu même.

Il a joint aux choses passées, qui contenoient l'origine et les anciennes traditions du peuple de Dieu, les merveilles que Dieu faisoit actuellement pour sa délivrance. De cela il n'allègue point aux Israélites d'autres témoins que leurs yeux. Moïse ne leur conte point des choses qui se soient passées dans des retraites impénétrables, et dans des antres profonds il ne parle point en l'air; il particularise et circonstancie toutes choses, comme un homme qui ne craint point d'être démenti. Il fonde toutes leurs lois et toute leur république sur les merveilles qu'ils ont vucs. Ces merveilles n'étoient rien moins que la nature changée tout à coup, en différentes occasions, pour les délivrer, et pour punir leurs ennemis : la mer séparée en deux, la terre entr'ouverte, un pain céleste, des eaux abondantes tirées des rochers par un coup de verge, le ciel qui leur donnoit un signal visible pour marquer leur marche, et d'autres miracles semblables qu'ils ont vu durer quarante

ans.

Le peuple d'Israël n'étoit pas plus intelligent ni plus subtil que les autres peuples, qui s'étant livrés à leurs sens ne pouvoient concevoir un Dieu invisible. Au contraire, il étoit grossier et rebelle autant ou plus qu'aucun autre peuple. Mais ce Dieu invisible dans sa nature se rendoit tellement sensible par de continuels miracles, et Moïse les inculquoit avec tant de force, qu'à la fin ce peuple charnel se laissa toucher de l'idée si pure d'un Dieu qui faisoit tout par sa parole, d'un Dieu qui n'étoit qu'esprit, que raison et intelligence.

De cette sorte, pendant que l'idolâtrie si fort augmentée depuis Abraham couvroit toute la face de la terre, la seule postérité de ce patriarche en étoit exempte. Leurs ennemis leur rendoient ce témoignage; et les peuples où la vérité de la tradition n'étoit pas encore tout-à-fait éteinte, s'écrioient avec étonnement (Num., XXIII. 21, 22, 23.): « On ne voit point d'idole en Jacob; on n'y❘ >> voit point de présages superstitieux, on n'y >> voit point de divinations ni de sortiléges; c'est » un peuple qui se fie au Seigneur son Dieu, » dont la puissance est invincible. »

Pour imprimer dans les esprits l'unité de Dieu, et la parfaite uniformité qu'il demandoit dans

son culte, Moïse répète souvent ( Deut., XII, XIV XV, XVI, XVII, etc.), que dans la Terre promise ce Dieu unique choisiroit un lieu dans lequel seul se feroient les fêtes, les sacrifices, et tout le service public. En attendant ce lieu désiré, durant que le peuple erroit dans le désert, Moïse construisit le tabernacle, temple portatif, où les enfants d'Israël présentoient leurs vœux au Dieu qui avoit fait le ciel et la terre, et qui ne dédaignoit pas de voyager, pour ainsi dire, avec eux, et de les conduire.

Sur ce principe de religion, sur ce fondement sacré étoit bâtie toute la loi: loi sainte, juste, bienfaisante, honnête, sage, prévoyante et simple, qui lioit la société des hommes entre eux par la sainte société de l'homme avec Dieu.

A ces saintes institutions, il ajouta des cérémonies majestueuses, des fêtes qui rappeloient la mémoire des miracles par lesquels le peuple d'Israël avoit été délivré; et, ce qu'aucun autre législateur n'avoit osé faire, des assurances précises que tout leur réussiroit tant qu'ils vivroient soumis à la loi, au lieu que leur désobéissance seroit suivie d'une manifeste et inévitable vengeance (Deut., XXVII, XXVIII, etc.). Il falloit être assuré de Dieu pour donner ce fondement à ses lois; et l'événement a justifié que Moïse n'avoit pas parlé de lui-même.

Quant à ce grand nombre d'observances dont il a chargé les Hébreux, encore que maintenant elles nous paroissent superflues, elles étoient alors nécessaires pour séparer le peuple de Dieu des autres peuples, et servoient comme de barrière à l'idolâtrie, de peur qu'elle n'entraînât ce peuple choisi avec tous les autres.

Pour maintenir la religion et toutes les traditions du peuple de Dieu, parmi les douze tribus une tribu est choisie à laquelle Dieu donne en partage, avec les dimes et les oblations, le soin des choses sacrées. Lévi et ses enfants sont euxmêmes consacrés à Dieu comme la dime de tout le peuple. Dans Lévi, Aaron est choisi pour être souverain pontife, et le sacerdoce est rendu héréditaire dans sa famille.

Ainsi les autels ont leurs ministres ; la loi a ses défenseurs particuliers; et la suite du peuple de Dieu est justifiée par la succession de ses pontifes, qui va sans interruption depuis Aaron le premier de tous.

Mais ce qu'il y avoit de plus beau dans cette loi, c'est qu'elle préparoit la voie à une loi plus auguste, moins chargée de cérémonies, et plus féconde en vertus.

Moïse, pour tenir le peuple dans l'attente de

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