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ressemblance, font voir qu'ils ont été une fois formés avec dessein sur un modèle immuable, sur une idée éternelle.

Ainsi nos corps, dans leur formation et dans leur conservation, portent la marque d'une invention, d'un dessein, d'une industrie explicable. Tout y a sa raison, tout y a sa fin, tout y a sa proportion et sa mesure, et par conséquent tout est fait par art.

III. Dessein merveilleux dans les sensations, et dans les choses qui en dépendent. Mais que serviroit à l'âme d'avoir un corps si sagement construit, si elle, qui le doit conduire, n'étoit avertie de ses besoins? Aussi l'est- elle admirablement par les sensations, qui lui servent à discerner les objets qui peuvent détruire ou entretenir en bon état le corps qui lui est uni. Bien plus, il fallu qu'elle fût obligée à en prendre soin par quelque chose de fort; c'est ce que font le plaisir et la douleur, qui, lui venant à l'occasion des besoins du corps, ou de ses bonnes dispositions, l'engagent à pourvoir à ce qui le touche.

Au reste, nous avons assez observé la juste proportion qui se trouve entre l'ébranlement passager des nerfs, et les sensations; entre les impressions permanentes du cerveau, et les imaginations qui devoient durer et se renouveler de temps en temps; enfin entre ces secrètes dispositions du corps, qui l'ébranlent pour s'approcher

ou s'éloigner de certains objets, et les désirs ou les aversions, par lesquelles l'âme s'y unit, ou s'en éloigne par la penséc.

Par là s'entend admirablement bien l'ordre que tiennent la sensation, l'imagination, et la passion, tant entre elles qu'à l'égard des mouvements corporels, d'où elles dépendent. Et ce qui achève de faire voir la beauté d'une proportion si juste, est que la même suite qui se trouve entre trois dispositions du corps, se trouve aussi entre trois dispositions de l'âme. Je veux dire que comme la disposition qu'a le corps, dans les passions, à s'avancer ou se reculer, dépend des impressions du cerveau, et les impressions du cerveau de l'ébranlement des nerfs; ainsi le désir et les aversions dépendent naturellement des imaginations, comme celles-ci dépendent des sensations.

IV. La raison nécessaire pour juger des sensations, et régler les mouvements extérieurs, devoit nous étre donnée, et ne l'a pas été sans un grand dessein.

Mais quoique l'âme soit avertie des besoins du corps, et de la diversité des objets, par les sen

sations et les passions, elle ne profiteroit pas de ces avertissements sans ce principe secret de raisonnement, par lequel elle comprend les rapports des choses, et juge de ce qu'elles lui font expérimenter.

Ce même principe de raisonnement la fait sortir de son corps, pour étendre ses regards sur le reste de la nature, et comprendre l'enchaînement des parties qui composent un si grand tout.

A ces connoissances devoit être jointe une volonté maîtresse d'elle-même, et capable d'user, elon la raison, des organes, des sentiments, et des connoissances mêmes.

Et c'étoit de cette volonté qu'il falloit faire dépendre les membres du corps, afin que la partie principale eût l'empire qui lui convenoit sur la moindre.

Aussi voyons-nous qu'il est ainsi. Nos muscles agissent, nos membres remuent, et notre corps est transporté à l'instant que nous le voulons. Cet impire est une image du pouvoir absolu de Dieu, qui remue tout l'univers par sa volonté, et y fait tout ce qu'il lui plaît.

Et il a tellement voulu que tous ces mouvements de notre corps servissent à la volonté, que même les involontaires, par où se fait la distribution des esprits et des aliments, tendent naturellement à rendre le corps plus obéissant; sain, c'est-à-dire, quand ses mouvements napuisque jamais il n'obéit mieux que lorsqu'il est turels et intérieurs vont selon leur règle.

Ainsi les mouvements intérieurs, qui sont naturels et nécessaires, servent à faciliter les mouvements extérieurs qui sont volontaires.

Mais en même temps que Dieu a soumis à la volonté les mouvements extérieurs, il nous a

laissé deux marques sensibles que cet empire dépendoit d'une autre puissance. La première est, que le pouvoir de la volonté a des bornes, et que l'effet en est empêché par la mauvaise disposition des membres, qui devroient être soumis. La seconde, que nous remuons notre corps sans savoir comment, sans connoître aucun des ressorts qui servent à le remuer, et souvent même, sans discerner les mouvements que nous faisons, comme il se voit principalement dans la parole.

Il paroît donc que ce corps est un instrument fabriqué, et soumis à notre volonté, par une puissance qui est hors de nous; et toutes les fois que nous nous en servons, soit pour parler, ou pour respirer, ou pour nous mouvoir en quelque façon que ce soit, nous devrions toujours sentir Dieu présent.

V. L'intelligence a pour objet des vérités éternelles, qui ne sont autre chose que Dieu même, où elles sont toujours subsistantes et toujours parfaitement entendues.

Mais rien ne sert tant à l'âme pour s'élever à son auteur, que la connoissance qu'elle a d'ellemême, et de ses sublimes opérations, que nous avons appelées intellectuelles.

Nous avons déjà remarqué que l'entendement a pour objet des vérités éternelles.

Les règles des proportions, par lesquelles nous mesurons toutes choses, sont éternelles et invariables.

Nous connoissons clairement que tout se fait dans l'univers par la proportion du plus grand au plus petit, et du plus fort au plus foible; et nous en savons assez pour connoître que ces proportions se rapportent à des principes d'éternelle vérité.

Tout ce qui se démontre en mathématique, et en quelque autre science que ce soit, est éternel et immuable; puisque l'effet de la démonstration est de faire voir que la chose ne peut être autrement qu'elle est démontrée.

Aussi pour entendre la nature et les propriétés des choses que je connois, par exemple, ou d'un triangle, ou d'un carré, ou d'un cercle, ou les proportions de ces figures, et de toutes autres figures entre elles, je n'ai pas besoin de savoir qu'il y en ait de telles dans la nature; et je suis assuré de n'en avoir jamais ni tracé ni vu de parfaite. Je n'ai pas besoin non plus de songer qu'il y ait quelques mouvements dans le monde, pour entendre la nature du mouvement même, ou celle des lignes que chaque mouvement décrit, les suites de ce mouvement, et les proportions selon lesquelles il augmente ou diminue dans les graves et les choses jetées. Dès que l'idée de ces choses s'est une fois réveillée dans mon esprit, je connois que, soit qu'elles soient, ou qu'elles ne soient pas actuellement, c'est ainsi qu'elles doivent être, et qu'il est impossible qu'elles soient d'une autre nature, ou se fassent d'une autre façon.

Et pour venir à quelque chose qui nous touche de plus près, j'entends, par ces principes de vérité éternelle, que quand aucun autre être que l'homme, et moi-même ne serions pas actuellement; quand Dieu auroit résolu de n'en créer aucun autre; le devoir essentiel de l'homme, dès là qu'il est capable de raisonner, est de vivre selon la raison, et de chercher son auteur, de peur de lui manquer de reconnoissance, si, faute de le chercher, il l'ignoroit.

Toutes ces vérités, et toutes celles que j'en déduis par un raisonnement certain, subsistent indépendamment de tous les temps: en quelque temps que je mette un entendement humain, il les connoîtra; mais, en les connoissant, il les trouvera vérités, il ne les fera pas telles; car ce ne sont pas nos connoissances qui font leurs objets, elles les supposent. Ainsi ces vérités subsistent devant tous les siècles, et devant qu'il y ait eu un entendement humain; et quand tout ce qui se fait par les règles des proportions, c'est-à-dire, tout ce que je vois dans la nature, seroit détruit, excepté moi, ces règles se conserveroient dans ma pensée; et je verrois clairement qu'elles seroient toujours bonnes et toujours véritables, quand moi-même je serois détruit, et quand il n'y auroit personne qui fût capable de les comprendre.

Si je cherche maintenant, où, et en quel sujet elles subsistent éternelles et immuables, comme elles sont, je suis obligé d'avouer un être, où la vérité est éternellement subsistante, et où elle est toujours entendue; et cet être doit être la vérité même, et doit être toute vérité; et c'est de lui que la vérité dérive dans tout ce qui est, et ce qui s'entend hors de lui.

C'est donc en lui, d'une certaine manière qui m'est incompréhensible, c'est en lui, dis-je, que je vois ces vérités éternelles ; et les voir, c'est me tourner à celui qui est immuablement toute vérité, et recevoir ses lumières.

Cet objet éternel, c'est Dieu, éternellement subsistant, éternellement véritable, éternellement la vérité même.

Et en effet, parmi ces vérités éternelles que je connois, une des plus certaines est celle-ci, qu'il y a quelque chose au monde qui existe d'ellemême, par conséquent qui est éternelle et immuable.

Qu'il y ait un seul moment où rien ne soit, éternellement rien ne sera. Ainsi le néant sera à jamais toute vérité, et rien ne sera vrai que le néant; chose absurde et contradictoire.

Il y a donc nécessairement quelque chose qui est avant tous les temps et de toute éternité ; et c'est dans cet éternel, que ces vérités éternelles subsistent.

C'est là aussi que je les vois. Tous les autres hommes les voient comme moi, ces vérités éternelles; et tous, nous les voyons toujours les mêmes, et nous les voyons être devant nous : car nous avons commencé, et nous le savons, et nous savons que ces vérités ont toujours été.

Ainsi nous les voyons dans une lumière supé

rieure à nous-mêmes; et c'est dans cette lumière supérieure que nous voyons aussi si nous faisons bien ou mal, c'est-à-dire, si nous agissons, ou non, selon ces principes constitutifs de notre être. Là donc nous voyons, avec toutes les autres vérités, les règles invariables de nos mœurs; et nous voyons qu'il y a des choses d'un devoir indispensable, et que dans celles qui sont naturellement indifférentes, le vrai devoir est de s'accommoder au plus grand bien de la société humaine.

Ainsi un homme de bien laisse régler l'ordre des successions et de la police aux lois civiles, comme il laisse régler le langage et la forme des habits à la coutume; mais il écoute en lui-même une loi inviolable qui lui dit, qu'il ne faut faire tort à personne, et qu'il vaut mieux qu'on nous en fasse que d'en faire à qui que ce soit.

En ces règles invariables, un sujet qui se sent partie d'un état, voit qu'il doit l'obéissance au prince qui est chargé de la conduite du tout; autrement la paix du monde seroit renversée. Et un prince y voit aussi qu'il gouverne mal, s'il regarde ses plaisirs et ses passions, plutôt que la raison, et le bien des peuples qui lui sont commis.

L'homme qui voit ces vérités, par ces vérités se juge lui-même, et se condamne quand il s'en écarte. Ou plutôt ce sont ces vérités qui le jugent, puisque ce ne sont pas elles qui s'accommodent aux jugements humains, mais les jugements humains qui s'accommodent à elles.

il

Et l'homme juge droitement, lorsque, sentant ses jugements variables de leur nature, leur donne pour règle ces vérités éternelles.

Ces vérités éternelles, que tout entendement aperçoit toujours les mêmes, par lesquelles tout entendement est réglé, sont quelque chose de Dieu, ou plutôt sont Dieu même.

Car toutes ces vérités éternelles ne sont au fond qu'une seule vérité. En effet, je m'aperçois, en raisonnant, que ces vérités sont suivies. La même vérité qui me fait voir que les mouvements sont certaines règles, me fait voir que les actions de ma volonté doivent aussi avoir les leurs. Et je vois ces deux vérités dans cette vérité commune, qui me dit que tout a sa loi, que tout a son ordre : ainsi la vérité est une, de soi; qui la connoît en partie, en voit plusieurs; qui les verroit parfaitement n'en verroit qu'une.

Et il faut nécessairement que la vérité soit quelque part très parfaitement entendue, et l'homme en est à lui-même une preuve indubitable.

Car soit qu'il la considère lui-même, ou qu'il étende sa vue sur tous les êtres qui l'environnent, il voit tout soumis à des lois certaines et aux règles immuables de la vérité. Il voit qu'il entend ces lois, du moins en partie, lui qui n'a fait ni lui-même, ni aucune autre partie de l'univers, quelque petite qu'elle soit ; il voit bien que rien n'auroit été fait, si ces lois n'étoient ailleurs parfaitement entendues; et il voit qu'il faut reconnoître une sagesse éternelle, où toute loi, tout ordre, toute proportion ait sa raison primitive.

Car il est absurde qu'il y ait tant de suite dans les vérités, tant de proportion dans les choses, tant d'économie dans leur assemblage, c'est-àdire dans le monde; et que cette suite, cette proportion, cette économie ne soit nulle part bien entendue et l'homme, qui n'a rien fait, la connoissant véritablement, quoique non pas pleinement, doit juger qu'il y a quelqu'un qui la connoît dans sa perfection, et que ce sera celui-là même qui aura tout fait.

VI. L'âme connoît, par l'imperfection de son intelligence, qu'il y a ailleurs une intelligence parfaite.

Nous n'avons donc qu'à réfléchir sur nos propres opérations, pour entendre que nous venons d'un plus baut principe.

Car dès là que notre âme se sent capable d'entendre, d'affirmer et de nier, et que d'ailleurs elle sent qu'elle ignore beaucoup de choses, qu'elle se trompe souvent, et que souvent aussi, pour s'empêcher d'être trompée, elle est forcée à suspendre son jugement, et à se tenir dans le doute; elle voit, à la vérité, qu'elle a en elle un bon principe, mais elle voit aussi qu'il est imparfait, et qu'il y a une sagesse plus haute à qui elle doit son être.

En effet, le parfait est plutôt que l'imparfait, et l'imparfait le suppose; comme le moins suppose le plus, dont il est la diminution : et comme le mal suppose le bien, dont il est la privation, ainsi il est naturel que l'imparfait suppose le parfait, dont il est, pour ainsi dire, déchu: et si une sagesse imparfaite, telle que la nôtre, qui peut douter, ignorer, se tromper, ne laisse pas d'être; à plus forte raison devonsnous croire que la sagesse parfaite est et sub şiste, et que la nôtre n'en est qu'une étincelle.

Car si nous étions tous seuls intelligents dans le monde, nous seuls, nous vaudrions mieux, avec notre intelligence imparfaite, que tout le reste qui seroit tout-à-fait brut et stupide; et

on ne pourroit comprendre d'où viendroit, dans ce tout qui n'entend pas, cette partie qui entend, l'intelligence ne pouvant pas naître d'une chose brute et insensée. Il faudroit donc que notre âme, avec son intelligence imparfaite, ne laissât pas d'être par elle-même, par conséquent d'être éternelle et indépendante de toute autre chose, ce que nul homme, quelque fou qu'il soit, n'osant penser de soi-même, il reste qu'il connoisse au-dessus de lui une intelligence parfaite, dont tout autre reçoive la faculté et la mesure d'entendre.

Nous connoissons donc par nous-mêmes, et par notre propre imperfection, qu'il y a une sagesse infinie, qui ne se trompe jamais, qui ne doute de rien, qui n'ignore rien, parce qu'elle a une pleine compréhension de la vérité, ou plutôt qu'elle est la vérité même.

Cette sagesse est elle-même sa règle ; de sorte qu'elle ne peut jamais faillir, et c'est à elle à régler toutes choses.

Par la même raison, nous connoissons qu'il y a une souveraine bonté qui ne peut jamais faire aucun mal; au lieu que notre volonté imparfaite, si elle peut faire le bien, peut aussi s'en détourner.

De là nous devons conclure, que la perfection de Dieu est infinie, car il a tout en lui-même; sa puissance l'est aussi, de sorte qu'il n'a qu'à vouloir pour faire tout ce qu'il lui plaît.

C'est pourquoi il n'a eu besoin d'aucune matière précédente pour créer le monde. Comme il en trouve le plan et le dessein dans sa sagesse, et la source dans sa bonté, il ne lui faut aussi pour l'exécution que la seule volonté toute-puis

sante.

Mais quoiqu'il fasse de si grandes choses, il n'en a aucun besoin, et il est heureux en se possédant lui-même.

L'idée même du bonheur nous mène à Dieu; car si nous avons l'idée du bonheur, puisque d'ailleurs nous n'en pouvons voir la vérité en nous-mêmes, il faut qu'elle nous vienne d'ailleurs; il faut, dis-je, qu'il y ait ailleurs une nature vraiment bienheureuse; que si elle est bienheureuse, elle n'a rien à désirer, elle est parfaite; et cette nature bienheureuse, parfaite, pleine de tout bien, qu'est-ce autre chose que Dieu ?

Il n'y a rien de plus existant ni de plus vivant que lui, parce qu'il est et qu'il vit éternellement. Il ne peut pas qu'il ne soit, lui qui possède la plénitude de l'être, ou plutôt qui est l'Etre même, selon ce qu'il dit, parlant à

Moïse (Exod., III. 14 ) : JE SUIS CELUI QUI SUIS ; CELUI QUI EST, m'envoie à vous 1. VII. L'âme qui connoît Dieu, et se sent capable de l'aimer, sent dès là qu'elle est faite pour lui, et qu'elle tient tout de lui.

En la présence d'un Etre si grand et si parfait, l'âme se trouve elle-même un pur néant, et ne voit rien en elle qui mérite d'être estimé, si ce n'est qu'elle est capable de connoître et d'aimer Dieu.

Elle sent, par là, qu'elle est née pour lui. Car si l'intelligence est pour le vrai, et que. l'amour soit pour le bien, le premier vrai a droit d'occuper toute notre intelligence, et le souverain bien a droit de posséder tout notre amour.

Mais nul ne connoît Dieu, que celui que Dieu éclaire; et nul n'aime Dieu, que celui à qui il inspire son amour. Car c'est à lui de donner à sa créature tout le bien qu'elle possède, et par conséquent le plus excellent de tous les biens, qui est de le connoître et de l'aimer.

Ainsi, le même qui a donné l'être à la créature raisonnable, lui a donné le bien-être. Il lui donne la vie, il lui donne la bonne vie, il lui donne d'être juste, il lui donne d'être saint, il lui donne enfin d'être bienheureux.

VIII. L'âme connoit sa nature, en connoissant qu'elle est faite à l'image de Dieu.

Je commence ici à me connoître mieux que je n'avois jamais fait, en me considérant par rapport à celui dont je tiens l'être.

Moïse, qui m'a dit que j'étois fait à l'image et ressemblance de Dieu, en ce seul mot, m'a mieux appris quelle est ma nature, que ne peuvent faire tous les livres et tous les discours des philosophes.

J'entends, et Dieu entend. Dicu entend qu'il est, j'entends que Dieu est, et j'entends que je suis. Voilà déjà un trait de cette divine ressemblance. Mais il faut ici considérer ce que c'est qu'entendre à Dieu, et ce que c'est qu'entendre à moi.

Dieu est la vérité même et l'intelligence même, vérité infinie, intelligence infinie. Ainsi, dans le rapport mutuel qu'ont ensemble la vérité et

On voit par une note sur le manuscrit de Bossuet, que son dessein étoit de donner à cet article un peu d'étendue. Voici ce qu'on y lit : « Quelque part ici marquer la » démonstration de ce qui est, de ce qui est immuable, de » ce qui est éternel, de ce qui est parfait, antérieur à ce » qui n'est pas, à ce qui n'est pas toujours le même, à ce » qui n'est pas parfait. Saint Augustin; Boëce; saint Tho» mas. » (Edit. de Paris.)

l'intelligence, l'une et l'autre trouvent en Dieu leur perfection; puisque l'intelligence qui est infinie, comprend la vérité toute entière, et que la vérité infinie trouve une intelligence égale à elle.

Par là donc la vérité et l'intelligence ne font qu'un; et il se trouve une intelligence, c'est-àdire Dieu, qui, étant aussi la vérité même, est elle-même son unique objet.

Il n'en est pas ainsi des autres choses qui entendent. Car, quand j'entends cette vérité, Dieu est, cette vérité n'est pas mon intelligence. Ainsi l'intelligence et l'objet, en moi, peuvent être deux; en Dieu, ce n'est jamais qu'un. Car il n'entend que lui-même, et il entend tout en lui-même; parce que tout ce qui est, et n'est pas lui, est en lui comme dans sa cause.

Mais c'est une cause intelligente qui fait tout par raison et par art, qui par conséquent a en elle-même, ou plutôt qui est elle-même l'idée et la raison primitive de tout ce qui est.

Et les choses qui sont hors de lui n'ont leur être ni leur vérité, que par rapport à cette idée éternelle et primitive.

Car les ouvrages de l'art n'ont leur être et leur vérité parfaite, que par le rapport qu'ils ont avec l'idée de l'artisan.

L'architecte a dessiné dans son esprit un palais ou un temple, avant que d'en avoir mis le plan sur le papier; et cette idée intérieure de l'architecte, est le vrai plan et le vrai modèle de ce palais ou de ce temple.

Ce palais ou ce temple seront le vrai palais ou le vrai temple que l'architecte a voulu faire, quand ils répondront parfaitement à cette idée intérieure qu'il en a formée.

S'ils n'y répondent pas, l'architecte dira: Ce n'est pas là l'ouvrage que j'ai médité. Si la chose est parfaitement exécutée selon son projet, il dira: Voilà mon dessein au vrai, voilà le vrai temple que je voulois construire.

Ainsi tout est vrai dans les créatures de Dieu, parce que tout répond à l'idée de cet architecte éternel, qui fait tout ce qu'il veut, et comme il veut. C'est pourquoi Moïse l'introduit dans le monde qu'il venoit de faire, et il dit qu'après avoir vu son ouvrage, il le trouva bon, c'est-à-dire, qu'il le trouva conforme à son dessein; et il le vit bon, vrai et parfait, où il avoit vu qu'il le falloit faire tel, c'est-à-dire, dans son idée éternelle.

Mais ce Dieu, qui avoit fait un ouvrage si bien entendu, et si capable de satisfaire tout ce qui entend, a voulu qu'il y eût parmi ses ouvrages quelque chose qui entendit et son ouvrage et ļui-même.

Il a donc fait des natures intelligentes, et je me trouve être de ce nombre. Car j'entends et que je suis, et que Dieu est, et que beaucoup d'autres choses sont, et que moi et les autres choses ne serions pas, si Dieu n'avoit voulu que nous fussions.

Dès là j'entends les choses comme elles sont, ma pensée leur devient conforme, car je les pense telles qu'elles sont; et elles se trouvent conformes à ma pensée, car elles sont comme je les pense.

Voilà donc quelle est ma nature, pouvoir être conforme à tout, c'est-à-dire, pouvoir recevoir l'impression de la vérité; en un mot, pouvoir l'entendre.

J'ai trouvé cela en Dieu; car il entend tout, il sait tout. Les choses sont comme il les voit; mais ce n'est pas comme moi, qui, pour bien penser, dois rendre ma pensée conforme aux choses qui sont hors de moi. Dieu ne rend pas sa pensée conforme aux choses qui sont hors de lui: au contraire, il rend les choses qui sont hors de lui, conformes à sa pensée éternelle. Enfin, il est la règle, il ne reçoit pas de dehors l'impression de la vérité, il est la vérité même ; il est la vérité qui s'entend parfaitement ellemême.

En cela donc je me reconnois fait à son image; non à son image parfaite, car je serois comme lui la vérité même; mais fait à son image, capable de recevoir l'impression de la vérité.

IX. L'âme qui entend la vérité reçoit en ellemême une impression divine, qui la rend conforme à Dieu.

Et quand je reçois actuellement cette impres sion, quand j'entends actuellement la vérité que j'étois capable d'entendre, que m'arrive-t-il, sinon d'être actuellement éclairé de Dieu, et rendu conforme à lui?

D'où me pourroit venir l'impression de la vérité? Me vient-elle des choses mêmes? Est-ce le soleil qui s'imprime en moi, pour me faire connoître ce qu'il est, lui que je vois si petit, malgré sa grandeur immense? Que fait-il en moi, ce soleil si grand et si vaste, par le prodigieux épanchement de ses rayons? que fait-il, que d'exciter dans mes nerfs quelque léger tremblement, d'imprimer quelque petite marque dans mon cerveau? N'ai-je pas vu que la sensation, qui s'élève ensuite, ne me représente rien de ce qui se fait, ni dans le soleil, ni dans mes organes; et que si j'entends que le soleil est si grand, que ses rayons sont si vifs, et traversent en moing

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