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I

Nous nous réjouissons du discours de Cavaignac.

La Chambre a voté hier l'affichage du discours de M. Cavaignac.

Si nous disons que nous nous en réjouissons, on commencera par ne pas le croire et puis on se rendra compte que ce n'est pas une apparence de satisfaction que nous nous donnons pour faire contre fortune bon cœur, mais bien une satisfaction réelle que nous éprouvons. Nous laissons de côté le lâchage d'Esterhazy, l'affirmation de la suprématie du pouvoir civil, qui ont quelque importance, mais nous retenons du discours de M. Cavaignac deux choses essentielles :

II

Pusillanimité de Mercier et de Billot.

1° Que M. Cavaignac n'a point la pusillanimité des généraux Mercier et Billot.

Il a dit : « Nous sommes maîtres chez nous » ; chose singulière, cette vérité si simple a fait l'effet d'un acte de courage.

Par conséquent, le temps où on chuchotait des histoires bas à l'oreille, en roulant de gros yeux effarés et en menaçant la France de la guerre, est passé.

Le jour où aura lieu la revision du procès Dreyfus, il ne s'agira plus de huis-clos, ni de mystères.

Il faudra parler franc et net et produire ouvertement toutes les preuves.

Voilà le premier point acquis.

III

Cavaignac a démontré la nullité du jugement de 1894.

Voici le second.

2o M. Cavaignac est venu démontrer lui-même l'absolue nullité du jugement de 1894.

D'après la note du Petit Temps d'avant-hier, M. le garde des sceaux aurait eu l'opinion que la preuve de la communication de pièces secrètes n'aurait pas été faite. L'Eclair et le Gaulois étaient partis sur cette piste.

Or, dans la séance d'hier, c'est M. le ministre de la guerre lui-même qui est venu apporter à son collègue le garde des sceaux, à la Cour de cassation et enfin à tout le monde, la preuve que Dreyfus avait été condamné sur des pièces secrètes, non communiquées à la défense.

Cette démonstration étant faite par M. le ministre de la guerre lui-même, la revision s'impose.

Elle s'impose d'autant plus que M. Cavaignac a déclaré nettement qu'« aucun motif de salut public ne ferait maintenir par lui et ses collègues, au bagne, un innocent »>.

Par conséquent, du moment que les ministres du cabinet Brisson n'invoquent pas le salut public, ils doivent professer le respect de la loi et ils se trouveraient sans excuse, en sanctionnant de leur approbation la violation du Code d'instruction criminelle et du Code de justice militaire.

Or, il n'y a eu de produit dans les débats du conseil de guerre, il n'y a eu de communiqué à la défense que le bordereau, et cependant hier, pour affirmer la culpabilité de Dreyfus, M. Cavaignac ne l'a pas invoqué.

Ces deux articles de Clemenceau et de Guyot furent confirmés par l'événement.

De la déclaration de Cavaignac surgit, en effet, l'argument fondamental de la révision.

CHAPITRE SIXIÈME

Les socialistes répudient Rochefort.

Mystification du marquis

de Vascagat.

Ainsi que cela résulte manifestement de la comparaison de ces divers articles, Rochefort et Drumont d'une part; Jaurès, Clemenceau et Guyot, de l'autre, l'avantage de l'argumentation appartenait aux tenants de l'innocence de Dreyfus.

Cassagnac ne s'aventurait guère, en écrivant que «< ce n'était pas une affaire finie ».

C'était, en effet, tout le contraire.

La nouveauté de la lutte qui s'engageait avec une ardeur féroce, autour des documents produits par Cavaignac, consistait dans la diminution considérable du prestige avec lequel Rochefort se trouvait en présence de ses lecteurs.

Rochefort venait, en effet, d'être répudié par le socialisme militant, qui formait la majorité de ses amis politiques de la veille.

Cette disqualification s'était produite dans des circonstances amusantes.

Avant d'être jeté à bas de son trône, le roi de la presse parisienne avait été mystifié par ses sujets.

La Petite République française du 3 juillet a raconté

en ces termes l'un des multiples épisodes de cette mystification sans pareille, sous le titre : « Le Grand Parti des Vascagat »:

Pauvre Boubou !

Il serait inexact de dire que la popularité de M. Rochefort diminue. Elle change seulement de caractère. A l'heure actuelle, il n'est pas d'homme en France, pas de paillasse à la foire de Neuilly, pas de Gugusse dans les cirques, qui soulève autant que lui l'enthousiasme rigolbochard de la foule. Surtous les points du territoire, on se paie sa tête, suivant la locution familière. Il suffit que son nom soit prononcé quelque part, pour qu'aussitôt l'idée d'une « bonne blague » à lui faire germe en quelques cerveaux.

On parlera longtemps, aux veillées, de l'adresse envoyée au grand patriote Henri Rochefort par le groupe Balagny réformé, s'il vous plaît !

Deux assassins, deux escrocs et un avorteur l'assuraient de leur inébranlable attachement et l'encourageaient à défendre, comme par le passé, l'honneur de l'état-major et la vertu d'Esterhazy.

On rira bien longtemps aussi de l'épître enflammée des Brandons de l'asile d'aliénés de Bourges,

Mais qu'est cela auprès de l'inénarrable, intraduisible, incomparable, inimaginable, effarante, ébouriffante, désopilante, ahurissante nouvelle venue de Marseille en droite ligne à l'Intransigeant?

Oui, qu'est-ce, qu'est-ce ? Je le demande aux échos du vieux quartier latin, illustré par tant d'aimables fumisteries! Je vous le demande, ombres de Sapeck, de Milord l'Arsouille, de Roquelaure.

Attention!

Mais pourquoi mettre ainsi à la torture le lecteur, avide de savoir? Coupons tout de suite, dans le numéro

de l'Intransigeant d'hier, ce petit carré que nous allons coller ici avec tout le soin possible:

« PARTI RÉPUBLICAIN SOCIALISTE FRANÇAIS

» Adhésion du Comité socialiste revisionniste de la première circonscription de Marseille.

» Dans sa séance du 26 juin 1898, le comité socialiste revisionniste de la première circonscription de Marseille, sur la proposition des citoyens Giraudon et Boissel, a voté à l'unanimité l'ordre du jour suivant:

<< Les socialistes de la première circonscription de Mar>>seille, indignés des attaques ignobles que dirige contre » le courageux citoyen Rochefort la bande des dreyfu>> sards et des sans-patrie, saluent avec respect l'illustre journaliste et vouent à l'exécration de tous les patriotes » les syndicataires de la trahison.

>>

>> Sur la proposition du citoyen Ripert, l'assemblée >> nomme une commission chargée d'organiser un cer>>cle s'inspirant du Parti républicain socialiste français. » Sont désignés à cet effet les citoyens Marchi, Siès, Umbelaye, Vieilh, Tourdre et Rascous.

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>> Ont été chargés de constituer les groupes de quar>> tier les citoyens Vascagat (à Endoume) et Lecœur (à » la Joliette-Pierres-Plates).

» Le président, J. BOISSEL.

» Le secrétaire, V. GRAILLE. »

Traduction.

La bonne farce marseillaise que nous venons de placer sous vos yeux, mesdames et messieurs, ne dit rien aux esprits vulgaires.

Pour la goûter, il faut en effet être initié aux finesses de la malicieuse langue provençale. Et l'on arrive, ainsi à traduire Marchi, Siès, Umbelaye, Vieilh, Tourdre et Rascous... par ces mots de langage courant Mar

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