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» Mon récit subsiste donc en son entier; et j'affirme à nouveau son absolue exactitude. >>

Le commencement de cette polémique avait précédé d'une quinzaine de jours le débat parlementaire du 7 juillet.

Elle avait eu son couronnement dans la déclaration faite le 7 juillet par Cavaignac.

Pour comprendre l'importance de ce point précis, il faut lire attentivement l'article de Jaurès, paru dans la Pelite République du 3 juillet.

I

Marseille, 29 juin.

La vérité est révolutionnaire.

Quand une société se décompose, quand elle n'est plus qu'injustice, sottise et corruption, il suffit, pour la faire disparaître, d'appeler contre elle la force de la vérité.

Ainsi a fait le parti socialiste, quand il a peu à peu arraché aux dirigeants et produit à la lumière les honteux secrets du Panama.

Lorsque, par exemple, Rouanet exhume ces lettres de Charles de Lesseps qui démontrent que les politiciens et les financiers coalisés voulaient exploiter l'inauguration de la statue de la Liberté à New-York pour lancer aux Etats-Unis une émission panamiste, le mystère du monde capitaliste, le système social d'hypocrisie et de mensonge est percé à jour.

Dans le rapport Rouanet, sont accumulées, si je puis dire, des forces explosives de vérité qui nous aideront à faire sauter le vieux monde.

Et dans l'affaire Dreyfus-Esterhazy aussi, il y a des vérités dormantes, encore inconnues, qui, en se réveillant et se révélant, ébranleront tout le vieux système militariste.

La haute armée jésuitique, l'oligarchie des grands chefs cléricaux, ont accumulé, dans la conduite de ces affaires, tant d'inepties, tant de mensonges, tant de trahisons, que quand le peuple en sera bien informé, la réaction d'Eglise et d'Etat-Major sera ébranlée dans sa base.

Quand une société, quand une institution ne vivent que par le mensonge, la vérité est révolutionnaire.

Et voilà pourquoi, passionnément, malgré tous les obstacles, malgré toutes les calomnies, je veux, dans la mesure de mes forces, faire éclater la vérité.

II

Inexactitude d'un compte rendu du Temps.

L'autre jour, dans le compte rendu de la réunion publique que j'ai donnée à Toulon, le Temps me faisait dire que je n'avais pas entretenu mes électeurs de l'affaire Dreyfus-Esterhazy, pour ne pas peser sur eux. C'est une erreur absolue.

Je n'ai pas dit cela, et M. Rochefort, qui à bâti tout son article sur cette portion du compte rendu, a bâti dans le vide.

Toujours, au contraire, j'ai tenu au courant mes amis de Carmaux, en pleine période électorale, de ce que je savais de l'affaire Dreyfus-Esterhazy.

Je pense, en effet, que le premier devoir d'un représentant est de communiquer à ceux qu'il représente toute la vérité.

Mes électeurs ont toujours su, à fond, quel était mon sentiment.

Si je rentrais à la Chambre demain, je l'affirmerais sans hésiter.

Et, sans hésiter, je l'affirme devant le pays.

Car il faut enfin que la lumière se fasse; il faut que, par chacun de nous, toute la vérité soit dite.

Il y a peu de jours, je m'expliquais à Toulon.

Ce soir, répondant à une invitation du Cercle Bellevue, à Marseille, je dirai de nouveau ce que je pense et ce que je sais.

Je l'affirmerai encore demain à Cette, dans la réunion publique où m'ont convié les délégués du Congrès corporatif.

III

L'affaire Dreyfus-Esterhazy domine en ce moment la politique.

A Marseille, d'où j'écris ces lignes, je vois bien par les journaux locaux que c'est l'affaire Dreyfus-Esterhazy qui domine en ce moment la politique, parce qu'elle domine les esprits et les consciences.

Le Radical sonne la cloche d'alarme : il faut en finir. Le Soleil du Midi, journal royaliste, a peur que M. Cavaignac se contente de quelques paroles sans lendemain et qu'après d'énergiques débuts, il ne mollisse.

Le Petit Marseillais, journal opportuniste, comprenant que l'état-major et Esterhazy sont en péril, imagine, pour les sauver, le roman le plus inepte; mais comme la vérité s'impose malgré tout peu à peu, il convient que le bordereau est de la main d'Esterhazy. Bref, c'est autour de la question Dreyfus-Esterhazy que s'ameutent à cette heure les partis et les foules. Et quel est notre devoir, à nous socialistes?

Ce n'est pas d'avoir, sur le fond même de l'affaire, telle ou telle opinion.

Il y a là une question de fait, qui ne relève que de la conscience et de la pensée de chacun de nous.

Quand, trois mois avant les élections, M. Rochefort a signifié au parti socialiste qu'il combattrait tous ceux qui ne se rangeraient pas comme lui à l'opinion du commandant Pauffin de Saint-Maurel et du général de Boisdeffre, il exerçait contre la conscience socialiste un intolérable chantage; et il cherchait un prétexte pour

rompre avec le parti socialiste, coupable de ne pas se plier à toutes ses fantaisies.

Qui de nous songerait à exercer, en sens inverse, la même intolérance?

Sur le fond de l'affaire Dreyfus-Esterhazy, chaque socialiste peut et doit avoir son opinion personnelle.

Mais nous, nous avons le devoir d'exiger que les garanties légales ne soient pas refusées à un accusé, quel qu'il soit, par la justice militaire.

Tous nous avons le devoir d'exiger que la paix soit rendue à la conscience publique et au pays, non par un régime de violence, mais par la pleine lumière et la pleine vérité.

IV

M. Cavaignac s'imagine-t-il être le pape du patriotisme?

Aussi, bien loin de regretter l'arrivée de M. Cavaignac au ministère de la guerre, je m'en félicite de tout

cœur.

Il prétend ou on prétend en son nom qu'il a des documents décisifs.

Qu'il les produise et au plus tôt.

Devant la vérité, quelle qu'elle soit, nous nous inclinons d'avance.

Mais il ne faut pas que M. Cavaignac s'imagine qu'il est une sorte de pape du patriotisme et qu'en son esprit seulement, comme en un puits lugubre, est la vérité.

Que M. Cavaignac parle : nous nous réservons de discuter ses affirmations et de les contrôler.

M. Rochefort annonce que M. Cavaignac tranchera la controverse en publiant les rapports du capitaine Lebrun-Renault.

C'est une plaisanterie.

Je renouvelle à ce sujet et devant les généraux, devant les juges, devant M. Dupuy lui-même, confronté avec

moi, je renouvellerai sous serment le récit que j'ai fait à Toulon.

Ce n'est pas, comme l'insinue la Libre Parole, un propos que j'ai recueilli au passage.

C'est à moi-même que, M. Dupuy a déclaré ceci :

dans la salle des témoins,

«Ayant appris, quelques jours après la dégradation de Dreyfus, que le capitaine Lebrun-Renault parlait d'aveux qui lui auraient été faits par le condamné, je l'ai fait appeler; il a protesté devant moi d'abord et ensuite devant le général Mercier, auquel je l'avais conduit, que Dreyfus n'avait pas fait d'aveux. Et je sais, d'autre part, que c'est seulement en octobre 1897, trois ans après la condamnation, que le capitaine Lebrun-Renault a signé le procès-verbal contenant les aveux. »

Voilà ce que m'a dit M. Dupuy. Je l'affirme à nouveau, je le jure, et je pense bien qu'à la Cour d'assises, M. Dupuy n'osera pas me démentir.

Aussi bien, dans sa réponse, m'a-t-il démenti?

Il reconnaît que le rapport signé du capitaine LebrunRenault est d'octobre 1897.

C'est ce que j'avais dit.

Et sur le reste, qui est l'essentiel, c'est-à-dire sur sa conversation personnelle avec Lebrun-Renault, il ne répond pas.

Ce silence diplomatique est tout le contraire d'un démenti.

Je ne crois pas, je le répète, que M. Dupuy ose me démentir.

Et il s'y décidait, s'il cédait lui aussi aux misérables calculs de prudence et d'ambition qui ont fait louvoyer tant de courages et sombrer tant de consciences, il ajouterait simplement un mensonge de plus à tous les mensonges dont cette affaire est surchargée.

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