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Il a été publié plusieurs récits du voyage de Buonaparte de Fontainebleau à l'ile d'Elbe. Ces morceaux contiennent sans doute des détails intéressans et vrais; mais aucun n'ayant été publié par des personnes qui avoient accompagné l'ex-Empereur, il en résulte que l'on ne peut regarder ce qu'ils rapportent comme authentique, et que sans donner dans un pyrrhonisme extrême, on est fondé à ne pas ajouter une foi implicite à toutes les particularités qu'ils racontent. Il seroit cependant nécessaire d'avoir sur cette époque de la vie de Napoléon des documens précis et avérés, afin que le public, en les lisant, pût avoir quelques données de plus pour porter avec certitude son jugement sur le caractère de cet homme singulier.

La lacune qui existe à cet égard dans ce qui a été publié en françois a été remplie par deux rapports officiels qui ont paru en allemand. L'un est du colonel comte de Truchsess-Waldbourg, qui, en qualité de commissaire prussien, a accompagné Buonaparte jusqu'à son embarquement; l'autre, du général Koller, com

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missaire autrichien, qui est allé avec Buonaparte jusqu'à l'île d'Elbe.

La nature de ces relations les range parmi les pièces authentiques qui tiennent leur place dans les preuves historiques; l'on a donc cru rendre service au public en publiant en françois ces deux rapports, que l'on a fondus ensemble en prenant pour base celui du colonel prussien, jusqu'à l'époque de l'embarquement. L'on verra que dans plusieurs points ces deux relations s'accordent avec tous les récits qui avoient déjà paru en France; elles ne parlent pas de quelques faits qu'ils contiennent, mais en revanche elles offrent plusieurs particularités très intéressantes que l'on y chercheroit

vainement.

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NAPOLÉON BUONAPARTE,

DE FONTAINEBLEAU A FRÉJUS
ET A L'ILE D'ELBE,.

Du 17 avril au 5 mai 1814;

Rédigé d'après les rapports officiels des commissaires Autrichien et Prussien qui l'ont accompagné.

J'ARRIVAI (1) à Fontainebleau le 16 avril au soir, et, après avoir le 17 fait ma visite au grand-maréchal Bertrand et au général Drouot, le premier m'invita à prendre un logement dans le château. Après la messe, les commissaires des quatre Puissances, savoir le général Koller pour l'Autriche, le général Schuwaloff pour la Russie, le colonel Campbell pour l'An

(1) C'est, comme il a été dit dans l'avertissement, le comte de Truchsess-Waldbourg, commissaire Prussien, qui parle.

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gleterre, et moi pour la Prusse, ainsi que le major Autrichien comte Clam-Martiniz, qui étoit adjoint au général Koller comme aide-decamp, furent présentés dans une audience particulière à l'ex-Empereur des François. On sait que TOS instructions nous enjoignoient de lui donner le titre d'Empereur, et de le traiter avec toutes les marques de distinction qui y sont attachées. Il nous reçut d'une manière assez froide; son embarras étoit très-visible et son mécontentement très-remarquable, d'apercevoir parmi nous un commissaire du roi de Prusse, Souverain que, dans ses anciens projets, il eût voulu effacer de la liste des Monarques de l'Europe. Il me demanda entre autres choses, s'il y avoit aussi des troupes prussiennes le long de la route que nous avions à parcourir; et sur ma réponse négative, il dit : << Mais en ce cas, vous ne devriez pas vous don<< ner la peine de m'accompagner. » Je répli– quai que c'étoit non une peine mais un honneur. Il persista dans son opinion, et lui ayant répondu que je ne pouvois ni ne devois renoncer à cet honneur, puisque le Roi m'y avoit destiné, il me quitta d'un air qui annonçoit de l'embarras et du dépit. Il témoigna aussi au général Koller le déplaisir que lui causoit la pré

sence d'un commissaire Prussien; ce général lui représenta qu'il avoit lui-même demandé des commissaires des Puissances alliées; alors l'Empereur lui répondit, que l'on auroit aussi bien pu envoyer des plénipotentiaires de bien d'autres Puissances. Il fut beaucoup plus affable avec le colonel Campbell, s'informa avec beaucoup d'intérêt de ses blessures, des batailles où il avoit gagné ses ordres, et prit delà occasion de parler de la guerre d'Espagne, de faire le plus grand éloge du maréchal Wellington, de s'informer en détail de son caractère, de ses habitudes, etc. Ayant entendu que le général Campbell étoit Écossois, il tourna la conversation sur les poemes d'Ossian, et les loua à cause de l'esprit guerrier qui y domine.

Le départ avoit été fixé pour ce jour-là; mais l'Empereur trouva un prétexte pour le différer, parce qu'à la route par Auxerre, Lyon, Grenoble, Gap et Digne, il préféra de prendre celle de Briare, Roanne, Lyon, Valence et Avignon. Ce désir que le général Bertrand nous fit connoître par une note, fut motivé sur ce qu'en vertu du traité, l'Empereur avoit la liberté de se faire escorter par sa garde, qu'elle étoit sur la route qu'il proposoit; que

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