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gens s'étant hautement manifestée, notamment aux séances des autorités publiques, le préfet Kergariou rompit le silence qu'il avoit gardé jusqu'à présent, en publiant, le 20 mars, une proclamation sans date qui étoit imprimée depuis plusieurs jours, et dans laquelle il protestoit de sa fidélité au Roi. Son exemple fut suivi le lendemain 21 par le maire et le conseil municipal; mais ces proclamations tardives ne purent arrêter le mal qu'avoient produit le silence de ces autorités et le défaut de communications confidentielles entre elles et leurs administrés pendant douze jours. Aussi leurs proclamations ne tournèrent qu'à leur honte; la foiblesse et la tergiversation de ces fonctionnaires les avoient rendus la risée des troupes et des jacobins, et l'objet du mépris de leurs concitoyens.

Le conseil général du département s'étoit prononcé avec plus de franchise. Non-seulement il avoit déposé sa profession de foi dans une adresse au Roi; mais, autorisé par l'ordonnance du 11 mars, il avoit pris sur lui de prendre diverses mesures propres à concilier au Roi l'affection des habitans de la campagne. II ordonna la libre exportation des tabacs et des chanvres sur la rive droite du Rhin; ce qui fit entrer en dix jours de temps deux millions

dans le département; il modifia la perception des droits réunis, étendit la liberté de la culture des tabacs, dont la gêne avoit causé beaucoup de mécontentement en Alsace; enfin il garantit au receveur-général des contributions la rentrée exacte des impôts, afin qu'il pût verser dans la caisse de la division tous les fonds nécessaires pour la solde des troupes qui fut mise à jour. Ces mesures et les sacrifices sans nombre que les membres du conseil du département se déclarèrent prêts à fairepour maintenir les soldats dans le devoir, leur attirerent la haine du parti, et l'on accuse le maréchal de les avoir fait molester en toutes les occasions par sa soldatesque.

Le 22 mars les bons citoyens firent une dernière tentative auprès du gouverneur. Une députation du commerce et des principaux propriétaires se rendit auprès de lui pour lui offrir toutes les sommes nécessaires pour le paiement des troupes, si elles vouloient rester fidèles au roi. Le maréchal Suchet traita ces bons citover citoyens

comme des rébelles, et les mit à la porte, en leur déclarant que ses troupes n'avoient pas besoin de leur argent, et que, s'il lui en falloit, il sauroit le trouver sans leur assistance.

Les hommes de bien avec lesquels avoit été

TOME VI.

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concerté le plan proposé le 19 au maréchal Suchet, voyant qu'il songeoit à trahir la confiance du Roi, pensèrent alors à exécuter, sans son concours et malgré lui, la mesure qu'il avoit rejetée. Ils s'adressèrent au préfet et l'engagèrent à donner des ordres pour que dix mille paysans formés en bataillons entrassent dans la ville, le 23 mars, à l'instant où l'on voudroit en fermer les portes. Le 31 et le 55 régiment de ligne étant partis pour Béfort, et le 7o de chasseursp our Neufbrisach, la garnison se trouvoit réduite à 3000 hommes. Les paysans, réunis à la masse des citoyens, devoient s'emparer de Suchet et de son état-major, et se rendre de suite maîtres de l'arsenal, où l'on auroit trouvé de quoi armer la garde nationale. Ce coup de vigueur conservoit au Roi l'importante place de Strasbourg, et par suite toute l'Alsace, dont les habitans, très-attachés à la France, ne paroissent révolutionnaires que parce qu'ils craignent un démembrement de ce pays.

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Malheureusement cette proposition énergique effraya les personnes dont le concours étoit nécessaire pour son exécution. La révolution qui se prépare est purement militaire, disoient ces hommes honnêtes, mais foibles; les bourgeois et les paysans ne doivent ni ne peu-.

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vent s'en mêler. Evitons la guerre civile; ce sera un grand point de gagné; et si la guerre étrangère éclate, les militaires qui l'auront provoquée contre notre gré, la soutiendront seuls sans notre secours : l'inertie est l'unique moyen qui nous reste pour prouver notre dévouement au Roi.

C'est ainsi que les conseils de la pusillanimité perdirent la ville de Strasbourg, et que le mot magique de guerre civile paralysa les efforts des Ames élevées au-dessus des misérables considérations de l'égoïsme. La guerre civile! comme si elle n'existoit pas, lorsqu'une armée se révolte contre son souverain légitime et veut faire la loi à la nation dont elle est sortie et qu'elle doit protéger! Comme si résister à la rébellion n'étoit pas le premier devoir d'un bon citoyen! Misérables égoïstes, il viendra un temps où vous rougirez des raisonnemens sous lesquels vous prétendiez masquer votre coupable indifférence!

Les agens du crime, après avoir épuisé les moyens ordinaires pour exciter du mécontentement, répandirent qu'on avoit acquis des preuves de l'intention du Roi et des princes d'exclure de toutes les places les protestans, qui en Alsace forment la classe la plus indus

trieuse et la plus instruite des habitans ; ils prétendirent qu'il étoit question de les replacer dans l'état où les calvinistes avoient été dans le reste de la France à l'époque de la révocation de l'édit de Nantes, laquelle n'avoit pas reçu d'exécution en Alsace, où les protestans jouissoient de grands priviléges, non en vertu de l'édit de Nantes, mais par les traités et les capitulations. Les plus forcenés parmi les jacobins poussèrent l'audace jusqu'à semer le bruit d'une nouvelle Saint-Barthélemy qui se préparoit. Quoique cette fable, dont depuis vingt-cinq ans tous les conspirateurs s'étoient servis pour ré-. pandre de l'inquiétude, dût paroître usée, cependant beaucoup de protestans en furent les dupes; tantôt on prétendoit que le secret du complot avoit été trahi par des enfans, qui avoient recueilli les propos de leurs parens; tantôt des catholiques voulant sauver quelques amis protestans, leur avoit fait parvenir des avertissemens; tantôt on avoit intercepté des correspondances anonymes qui trahissoient le secret. Un ancien fonctionnaire, jusqu'alors fort estimable, qui se trouvoit à Paris après l'entrée de Buonaparte, eut la foiblesse d'écrire à ses amisque la police impériale lui avoit fait voir des pièces qui prouvoient jusqu'à l'évi

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