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Gouvernement prussien ne saurait admettre, et ce que son Ambassadeur à Londres peut par conséquent et doit décliner pour se conformer aux vues de sa Cour, sans qu'il soit permis toutefois d'en conclure que le Cabinet de Berlin repousse l'examen des combinaisons que les Puissances jugeraient propres à prévenir un conflit. Cette appréciation serait suggérée à M. d'Oubril par le langage que lui a tenu M. de Bismarck lui-même et qui le porte penser que, si la Prusse ne consentait pas à prendre, a priori, l'engagement de rappeler la garnison qu'elle entretient à Luxembourg, elle pourrait néanmoins accepter une transaction qui lui offrirait certaines garanties pour prix de cette concession, en donnant ainsi une légitime satisfaction à tous les intérêts. Mon Collègue de Russie m'a d'ailleurs avoué qu'il était chargé de s'exprimer en ce sens avec le Président du Conseil, et il attend son retour pour s'acquitter des ordres qu'il a reçus à cet égard.

Suivant le Représentant de la Russie, d'accord en ceci avec ceux de l'Angleterre et de l'Autriche, M. de Bismarck serait donc disposé à accueillir dans un sentiment de concorde les démarches de leurs Cours respectives, sans se dissimuler qu'elles doivent avoir pour résultat l'évacuation de la forteresse du Grand-Duché. Vous verrez cependant dans une autre dépêche(1) que les deux principaux journaux officieux de Berlin, la Gazette de l'Allemagne du Nord et la Gazette de la Croix, contiennent aujourd'hui des articles tendant à établir que la Prusse ne peut, dans aucune hypothèse, rappeler ses troupes de Luxembourg. La première de ces deux feuilles s'attache à démontrer que les intentions qu'on prête aux Puissances ne sauraient avoir les résultats satisfaisants qu'on en attend, et met le public en garde contre les dépêches télégraphiques qui, comme celle que je vous ai envoyée en copie, annoncent que l'on est à la veille d'une entente. Je continue cependant à avoir des raisons de croire que cette dépêche a été réellement remise à l'Agence Wolf par un officier du Cabinet du Roi (2).

(1) La dépêche précédente.

(2) Cf. Benedetti, 22 avril, n° 100.

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4806. LE BARON DE MONTGASCON, CHARGÉ D'AFFAIRES À CARLSRUHE, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Orig. Bade, 47, n° 15.)

Carlsruhe, 24 avril 1867.

(Cabinet, 26 avril; Dir. pol., 27 avril.)

Le Gouvernement badois se prépare à la guerre dans la mesure de ses forces. Il vient d'appeler sous les armes une partie de la réserve, et de décider le réarmement de la forteresse de Rastadt, avec une augmentation notable de l'effectif actuel de sa garnison. Ces préparatifs militaires se font avec toutes les précautions possibles pour éviter de les ébruiter; les journaux badois ont dû s'abstenir d'en parler, et c'est seulement quand l'exécution d'une mesure en est arrivée à ce point qu'il n'est plus possible de la tenir secrète que le Gouvernement grand-ducal se charge luimême de l'annoncer dans le journal officiel, à l'aide de communications destinées à en atténuer la portée, ou même à donner le change à l'opinion publique.

[Le Baron de Montgascon en donne en exemples l'appel d'une partie de la réserve, l'accroissement des cadres de l'armée grandducale, et le rétablissement de l'effectif ancien de la garnison de Rastadt.]

4807. BOURÉE, AMBASSADEUR À CONSTANTINOPLE, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Orig. Turquie, 370, no 68.)

Péra, 24 avril 1867. (Cabinet, 2 mai; Dir. pol., 4 mai.)

Mes dernières dépêches auront fait disparaître les préoccupations de Votre Excellence sur l'insuffisance de l'entente qui s'était établie entre mes Collègues et moi préalablement aux démarches que nous avons faites auprès de Fuad Pacha (1).

Comme vous le désiriez, je me suis recordé avant-hier avec le Général Ignatieff, à l'occasion d'un télégramme du Prince ViceChancelier qui lui annonçait qu'une démarche collective nous

(1) Cf. Moustier à Bourée, 12 avril, no 69.

serait prescrite. C'est dans ce sens que M. de Budberg vous entretenait vous-même, et c'est en réponse à cette ouverture que vous invitiez M. de Talleyrand à prier le Prince Gortchakoff de tracer un plan bien exact de ce que, selon lui, il y aurait lieu de faire dans les différentes éventualités et particulièrement dans celle d'un refus. Le Général Ignatieff et moi nous sommes tombés d'accord sur la convenance qu'il fût procédé ainsi, et notre entente est aussi complète que vous pouvez le désirer. Sans lui rien dire qui pût avoir l'apparence d'une justification que je ne lui devais pas, je lui ai tout naturellement donné connaissance textuelle des instructions qui m'avaient été envoyées par votre lettre n° 61 (1), et il y aura trouvé l'explication de ma déclaration réitérée que l'annexion de la Crète à la Grèce n'avait pas été demandée par moi. C'était rigoureusement vrai, et, de plus, cette négation avait l'avantage de réduire notre premier échec à ses justes proportions.

L'idée d'enquête à faire par des délégués des Puissances étant admise, il y aurait lieu, Monsieur le Marquis, de se demander si elle se fera avec l'agrément de la Porte, avec elle ou contre elle, avec son refus de concours ou avec son concours. Il y aurait à se faire bien d'autres questions d'exécution, qu'il ne m'appartient pas encore d'indiquer.

4808. ROTHAN, CONSUL GÉNÉRAL À FRANCFORT, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Orig. Prusse, Francfort, 1, no 48.)

Francfort, 24 avril 1867. (Cabinet, 25 avril; Dir. pol., 26 avril.)

Un Allemand des Provinces annexées est venu ce matin spontanément au Consulat général pour me parler des armements formidables de la Prusse et des combinaisons ténébreuses de sa politique, toutes choses d'ailleurs qui n'avaient pas besoin de m'être révélées. Mais il a ajouté, confirmant en cela ce que je vous ai laissé pressentir, qu'il entrerait positivement dans les convenances de la Prusse, avant de nous laisser le temps de

(1) Du 29 mars.

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nous retourner, de nous accabler par le nombre, et de nous enlever au dehors, dès le début, notre prestige moral en envahissant et en profanant notre sol. On espérerait aussi qu'une invasion, se bornât-elle à quelques parcelles de notre territoire, réveillerait à l'intérieur de douloureux et accablants souvenirs, et que par suite il deviendrait plus facile aux Agents allemands à Paris, mêlés aux ouvriers, de seconder l'oeuvre que méditeraient les partis hostiles.

Toujours est-il que les mesures seraient prises de telle façon,

ayant été étudiées et arrêtées de longue main, qu'il suffirait d'un ordre télégraphique pour ébranler une armée de six cent mille hommes, avec une réserve qui ne s'élèverait pas à un chiffre moindre, depuis que, dans les Provinces annexées et c'est il y a deux jours que cela a eu lieu — on a publié la loi de 1819 qui rend obligatoire le service de la Landwehr pour tout homme valide jusqu'à l'âge de quarante ans. Tous ces corps d'armée seraient amplement pourvus d'armes et de munitions accumulées depuis longtemps dans les arsenaux; car après Sadowa, que la Prusse avait préparé depuis cinq ans, loin de désarmer, elle n'a fait qu'ajouter nuit et jour à ses armements. Dirigées contre l'ennemi traditionnel, animées du souffle militaire, et peut-être aussi surexcitées par les appétitions qui se sont manifestées lors de la dernière guerre, ces troupes auraient sur l'armée française, prise au dépourvu, du jour au lendemain, avec un armement mixte, incomplet, et la désorganisation dans les cadres, une supériorité incontestable.

Le mouvement serait d'ailleurs si rapidement combiné, car l'attaque se produirait de plusieurs côtés à la fois, que la question pourrait être résolue avant que notre flotte ne fût en état de pénétrer dans la Baltique, pour y frapper les coups qu'on appréhende de ce côté, et avant que nos alliances projetées, soit à Copenhague, soit à Stockholm, eussent eu le temps de se conclure.

Il m'en coûte, Votre Excellence ne saurait en douter, de faire ainsi froidement le récit des projets qui se trameraient contre nous, et cela dans un moment où des négociations se poursuivent encore, et [peuvent] d'un instant à l'autre donner un démenti à ces prévisions. Mais, après avoir suivi en quelque sorte pas à past

la pensée de M. de Bismarck, depuis le jour où je vous révélais l'existence de ses traités d'alliance, il doit m'être permis, en sentinelle avancée, de signaler aujourd'hui le danger, m'appuyant sur des renseignements toujours exacts et sur des prévisions qui ne se sont que trop vite réalisées.

La personne dont je vous parlais tout à l'heure ne s'est pas bornée à me dire que, pour peu que nous donnions à la Prusse un prétexte, soit diplomatique, soit militaire (concentration de troupes ou appel sous les drapeaux), elle profiterait instantanément des avantages considérables qu'elle entend tirer de l'avance qu'elle a sur nous; mais elle a voulu aussi me prouver combien notre politique serait habile si, déjouant ces combinaisons machiavéliques, il nous convenait plus que jamais de pousser la modération jusqu'à ses limites extrêmes. Il lui semblait que la grande pensée qui avait présidé à l'Exposition universelle ne devait pas céder à des excitations passionnées; que, appuyée sur le jugement des grandes Puissances, qui toutes se prononceraient avec énergie contre l'occupation prussienne, la sagesse de l'Empereur ne se révélerait jamais plus forte qu'en écartant, sous l'empire de considérations de l'ordre le plus élevé, le prétexte d'une guerre incalculable dans ses conséquences. Ce serait isoler la Prusse moralement, en la laissant en rébellion contre l'arrêt unanime des grandes Puissances. L'Europe ne s'y méprendrait pas. Il n'est pas un homme sensé à l'étranger qui interpréterait une pareille résolution, solennellement émise, dans le sens d'une faiblesse. Ce serait rejeter M. de Bismarck dans les embarras intérieurs dont il aurait voulu se tirer, et lui enlever le moyen sur lequel il compte pour unifier l'Allemagne, aujourd'hui encore si divisée. Le Gouvernement de l'Empereur prouverait, en tout cas, qu'un grand pays comme la France choisit son heure, et qu'il n'expose pas la puissance dont il est le gardien aux convenances d'un homme d'État téméraire.

Telles sont les considérations qu'un Allemand homme de bien, d'un jugement froid et sûr, plein de sympathies pour la France, développait devant moi, il n'y a qu'un instant.

J'ajouterai que le Colonel de Kohausen, avant de partir pour Coblenz où l'appelle son service, est venu me voir dans une pensée analogue. Reçu souvent par l'Empereur, il a conservé pour

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