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lui serait d'autant plus facile qu'il avait pu, durant son récent séjour à Paris, apprécier la sagesse et la modération des sentiments de l'Empereur, et qu'il était en situation d'en rendre personnellement témoignage. Sa Majesté n'avait pas, m'a-t-elle répliqué, perdu un instant pour en donner l'assurance dans les conversations qu'elle avait eues avec le Roi et les Princes de la Maison de Prusse; elle s'en était même expliquée avec M. de Bismarck, qu'elle avait reçu dans la matinée (1); mais, n'ayant pas eu l'occasion d'examiner avec ses interlocuteurs la question du Luxembourg dans tous les détails, elle n'avait pu se former une idée exacte des combinaisons qui trouveraient à Berlin un accueil favorable. Ce qui lui était démontré et dont il se louait hautement, c'est que personne n'envisageait la guerre comme inévitable, et qu'on était unanime pour reconnaître qu'il convenait de faire, pour la conjurer, les concessions nécessaires. «Je respire ici, a plusieurs fois répété le Roi, dans une atmosphère de paix, et il me semble désormais qu'il ne saurait être difficile de maintenir la concorde également désirée par toutes les Puissances."

Il existerait, suivant Sa Majesté, des malentendus qui entretiennent de regrettables défiances et que de sincères explications dissiperaient complètement. J'ai compris que le Roi faisait allusion aux bruits dont je vous ai rendu compte à plusieurs reprises et qui prêtent au Gouvernement de l'Empereur l'intention ou le placent dans la nécessité de recourir à la guerre pour faire diversion à ses embarras intérieurs. Je me suis permis de faire observer au Roi qu'il était heureusement en mesure de démentir ces rumeurs, et, en me félicitant de l'occasion que lui en fournissait sa présence à Berlin, j'ai exprimé la confiance que Sa Majesté réussirait à redresser des erreurs aussi complètement dépourvues de tout fondement. Le Roi a bien voulu m'assurer qu'il ne négligerait aucun effort pour raffermir les dispositions conciliantes qu'on lui avait témoignées depuis son arrivée à Berlin.

(1) La visite de Bismarck au roi des Belges est notée par HORST Kohl (t. 1o, p. 322), à la date du 25 avril.

4821. LE MARQUIS DE BANNEVILLE, AMBASSADEUR À BERNE, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Orig. Suisse, 595, n° 11.)

Berne, 25 avril 1867.

(Cabinet, 29 avril; Dir. pol., 30 avril.)

Ainsi que les conversations de M. Kern (1) avec Votre Excellence et les rapports de M. le Baron de Reinach vous l'avaient fait pressentir, j'ai trouvé à mon arrivée ici les esprits émus, mais résolus sur la conduite à tenir dans le cas où l'issue des négociations pendantes donnerait raison aux prévisions de guerre; préoccupés, sans en paraître trop effrayés, des dangers, encore assez mal définis du reste, que pourrait courir la Suisse, et des charges que le soin de sa conservation lui imposerait; avides enfin d'informations sur les dispositions présumées des grandes Puissances. Je n'ai aucune raison de supposer que les préoccupations du Gouvernement fédéral et ses résolutions éventuelles ne soient pas en parfait accord avec le sentiment général du pays. S'il n'était pas en mon pouvoir de dissiper les appréhensions, ni de satisfaire à toutes les demandes de renseignements qui m'étaient adressées, je pouvais du moins, en rapprochant l'abnégation et le désintéressement dont le Gouvernement de l'Empereur avait fait preuve l'année dernière, de la prudente modération de son attitude actuelle, bien établir la part de responsabilité qui reviendrait à chacun si la paix de l'Europe se trouvait de nouveau compromise. A cet égard, je dois le dire, je n'ai pas trouvé de contradicteurs, et je n'ai eu qu'à confirmer des impressions existantes et une opinion déjà formée. Je constate à ce propos un changement assez notable dans le ton des journaux suisses, dont le langage s'est, en général, beaucoup modéré à notre égard, en même temps qu'il s'empreignait d'une vive animosité contre la politique du Cabinet de Berlin.

J'ai déjà dit à Votre Excellence que M. Fornerod s'était montré très reconnaissant de l'accueil fait par le Gouvernement de l'Empereur aux assurances dont M. Kern avait été l'organe auprès de lui, et que le Président avait répétées à M. de Reinach. Elles

(1) Ministre de Suisse à Paris.

m'ont été renouvelées à diverses reprises en termes très explicites. M. Fornerod s'est'plu à énumérer tous les points de ses frontières, excepté la nôtre, où la Suisse pourrait être appelée à faire respecter la neutralité de son territoire. Comme son langage n'indiquait aucune préoccupation en ce qui nous concerne, ni la moindre allusion hypothétique à l'obligation où la Suisse pourrait être de défendre contre nous sa neutralité menacée, j'ai pris acte de ses paroles pour lui dire que nous tenions nos frontières pour bien gardées du moment [où la Suisse nous promettait de les couvrir; que nous ne lui demandions pas davantage; que je me félicitais, par conséquent, de l'entendre parler avec confiance des moyens dont disposerait la Confédération pour se faire respecter, et que je m'y confiais comme lui; que, le cas échéant, nos dispositions à son égard lui faciliteraient le libre emploi de ses forces, et que, enfin, je ne doutais pas que, selon les circonstances, elle ne pût compter sur nos bons offices et sur notre appui dans la mesure qui dépendrait de nous et qui lui conviendrait à ellemême.

Le langage officiel du Gouvernement fédéral, Monsieur le Marquis, et le mot d'ordre dont s'inspire toute la presse suisse est aujourd'hui neutralité absolue, strictement observée et défendue envers et contre tous; d'alliance, aucune. Je crois en effet que c'est là le programme dont on désire très sincèrement et dont on espère pouvoir ne pas s'écarter. Qu'adviendrait-il cependant si des dangers sérieux menaçaient l'existence même de la Confédération, si elle se trouvait impuissante à empêcher l'envahissement et l'occupation d'une partie de son territoire? Je ne pense pas qu'elle s'interdit alors de rechercher son salut dans une alliance. On n'est pas d'ailleurs sans quelque incertitude sur la situation légale qui résulte pour la Suisse, au point de vue international, de la suppression des traités de 1815. Détruits pour tout le reste, subsistent-ils en ce qui concerne la garantie qui y est stipulée de la neutralité de la Suisse? Au doute que m'a exprimé à cet égard M. Fornerod sur les dispositions de certaines Puissances, je n'ai pu répondre que par l'assurance des bonnes intentions du Gouvernement de l'Empereur, ajoutant cependant que je ne pensais pas qu'aucune Puissance songeât à contester à la Suisse le bénéfice de la garantie de 1815. M. le Président de la Confédé

ration ne m'en a pas paru convaincu, et voici en quels termes le tour de notre conversation l'a amené à préciser sa pensée : «Dans le cas d'une guerre triomphante pour la France, m'a-t-il dit, qui la rendrait l'arbitre suprême des conditions de la paix, nous serions sans inquiétudes; nous sommes convaincus que, dans le Congrès où le droit nouveau de l'Europe serait constitué, notre neutralité serait de nouveau reconnue et garantie. Mais nous craignons qu'il n'en fût pas de même si, malheureuse pour la France, la guerre consacrait la suprématie de l'Allemagne. Alors nos inquiétudes seraient extrêmes, car nous pensons que nous aurions tout à redouter des appétits germaniques. Il ne m'a pas paru inutile, Monsieur le Marquis, de consigner ici textuellement ces paroles. Elles sont curieuses à plus d'un titre dans la bouche. du Président de la Confédération suisse; elles peuvent servir de complément et de commentaire à l'attitude prise en ce moment vis-à-vis de nous par le Gouvernement fédéral; et, bien que ceci soit moins certain, elles indiquent peut-être ce que, dans des circonstances prévues, nous serions fondés, en nous y reportant, à lui demander et à en attendre.

"

4822. LE COMTE DE COMMINGES-GUITAUD, MINISTRE À BRUXELLES, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Déchiffrement. Belgique, 246, n° 22.)

Bruxelles, 25 avril 1867. (Cabinet, 26 avril; Dir. pol., 27 avril.)

Le Général Chazal est venu hier chez moi pour protester énergiquement contre le caractère donné à sa mission (1) et qui lui a été révélé par l'article de la Patrie du 21. La lettre qu'il a adressée au directeur de ce journal et dont j'ai l'honneur de transmettre ci-joint la copie à Votre Excellence n'a été insérée qu'en partie. Le Général ne peut s'expliquer l'injure qu'on lui a faite en le croyant capable, lui Français, d'aller traiter à Berlin une alliance. pour le compte de la Belgique contre son pays natal, que par les

(1) Cf. sur la mission de Chazal les télégrammes de Comminges-Guitaud, 24 et 25 mars; de Benedetti, 26 mars; et la dépêche de Comminges-Guitaud du 27 mars.

influences qui s'exercent autour du Roi pour le perdre dans l'esprit de l'Empereur, en lui prêtant un rôle odieux. Pour faire cesser toute équivoque, aussitôt que le Roi reviendra, le Général compte lui déclarer que si, dans les éventualités qui se préparent, la politique ne permet pas à la Belgique de se prononcer en faveur de la France, il compte prendre sa retraite.

A peine arrivé en Autriche, et avant même d'avoir pu visiter les champs de bataille de la Bohême, le Général a reçu l'ordre de se rendre en Suisse, d'où on l'a rappelé en toute hâte à Bruxelles.

4823. DOTÉZAC, MINISTRE À COPENHAGUE, AU MARQUIS DE MOUstier. (Orig. Danemark, 251, no 24.)

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Devant l'émotion publique, qui, dans le cas d'une rupture entre la France et la Prusse, redoute un coup de main des Prussiens sur Copenhague, le Gouvernement danois s'est décidé à prendre des mesures de précaution. Toutefois, pour ne pas donner d'ombrage à Berlin, il les a circonscrites dans des limites assez restreintes, estimant d'ailleurs qu'elles suffisent à la situation actuelle.

[Dotézac expose brièvement les mesures militaires qui ont été prises pour garantir la capitale. Il constate l'attention anxieuse"> avec laquelle est suivie l'affaire du Luxembourg. Le Secrétaire de la Légation de Prusse, écrit-il, le Comte de Galen, affirmait récemment que, d'après une lettre qu'il avait reçue de Berlin, M. de Bismarck aurait dit au Prince royal de Saxe : « Ce n'est qu'après une guerre avec la France que l'Allemagne sera faite”; ou défaite, a répondu avec à-propos le Chargé d'Affaires d'Autriche."

Dotézac envoie au Marquis de Moustier le mémorandum que les deux Députés du Sleswig septentrional ont remis à leurs Collègues avant la clôture du Parlement fédéral. Il est convaincu qu'il avait été élaboré à Copenhague.

Affaires diverses.]

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