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4846. ROTHAN, CONSUL GÉNÉRAL À FRANCFORT, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Orig. Prusse, Francfort, 1, no 50.)

Francfort, 26 avril 1867.

(Cabinet, 29 avril; Dir. pol., 30 avril.)

Votre Excellence lira avec intérêt les appréciations d'un homme politique du Nord sur la situation, telle qu'elle se présentait à Berlin sous la date d'hier. Pressé, comme je le suis, par l'heure de la poste, je transcris textuellement, sans y ajouter de commentaires :

Pour ce qui est de la grande question qui nous préoccupe, on croit dans la diplomatie que la guerre est imminente et inévitable; on peut se tromper, parce que très peu de personnes connaissent la situation exacte de l'affaire. M. de Bismarck est revenu à Berlin (1). Hier soir les Ministres d'Autriche et de Russie ont été le voir, probablement pour lui communiquer les propositions de leurs Gouvernements (2). Bismarck a dit à quelqu'un que le Roi ne voulait pas la guerre, à moins qu'il n'y fût forcé; le Prince royal n'est pas belliqueux non plus (3). Quant à M. de Bismarck, il est aisé à voir qu'une guerre ne lui conviendrait nullement, parce qu'elle remettrait en question tous les résultats obtenus par la politique audacieuse et heureuse de l'an passé! Il sait fort bien que l'unité de la Prusse nouvelle n'est pas encore assez cimentée pour qu'il soit prudent de la mettre déjà à l'épreuve. La Confédération du Nord serait fort compromise; le Nord resterait intact, mais son avenir et sa constitution politique dépendraient entièrement de l'issue de la guerre. Il sait fort bien que le Sud (excepté les Grands-Duchés de Hesse et de Bade, celui de Bade même d'une manière moins sûre) est chancelant, que l'Autriche se laisserait leurrer peut-être par l'espoir de rétablir son ancienne position en Allemagne, que le Danemark est aussi hostile que jamais, Bismarck ne peut donc vouloir sans un motif très sérieux la guerre, et ce motif ne saurait être la forteresse du Luxembourg, bien que l'honneur militaire y soit engagé, surtout

(1) Le 24 avril.

(2) Cf. Gramont, télégramme, 26 avril, midi, et Benedetti, télégramme, 26 avril, 3 h. 16.

(3) Cf. Benedetti, 26 avril, n° 109.

si on mettait la Prusse brutalement en demeure d'évacuer. Mais cette difficulté pourrait à la rigueur être résolue si l'évacuation se traitait directement entre le Cabinet de Berlin et le Roi des PaysBas. La solution ne serait pas impossible, si la question était entamée de celte façon.

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Quant à la question de droit c'est-à-dire si le droit de garnison existe encore après que la place a cessé d'être forteresse fédérale, cette question est très compliquée, et il y a du pour et du contre. Il est vrai que les journaux qui passent pour être. inspirés officiellement déclarent que ce droit de garnison existe et qu'on n'y renoncera pas. Nous verrons si cette manière de voir est celle du Roi, et si ce point seul peut être, en bonne conscience, considéré comme assez grave pour amener la guerre,

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Quant aux exagérations qu'on entend et qu'on lit imprimées, j'en fais peu de cas. On dit que la forteresse de Luxembourg n'est qu'un premier point où l'on s'arrêtera pour le moment; si la Prusse évacue Luxembourg, demain on lui demandera de s'en aller de Mayence, etc. Ce sont des exagérations qu'on se permet de part et d'autre. Tant il y a que l'effervescence de l'opinion. publique, entretenue en grande partie par une presse malveillante ou inspirée d'un faux patriotisme, paraît amener un danger très réel je ne saurais pourtant croire qu'on ne soit parfaitement maître de la situation à Berlin comme à Paris, et que tout ce qu'on se dit sur la nécessité absolue de faire la guerre pour apaiser les passions déchaînées, ne soit fort exagéré.

raisons

:

pas

Le moment est très grave; il s'agira maintenant de l'accueil qu'on fera ici aux ouvertures des grands Cabinets. Il me paraît peu vraisemblable qu'on agisse avec précipitation : il y a trop de pour que ceux qui conseillent n'y mettent du calme et de la clairvoyance. Les conseils de la Russie, s'ils sont conçus dans ce sens, auront beaucoup de poids. On spécule ici sur la Russie pour contenir l'Autriche, et la Russie de son côté se flatte que la Prusse la soutiendra en Orient (où les choses paraissent aller de mal en pis). L'Angleterre ne voudrait pas que la Russie fit trop de progrès en Orient, et de cette façon nous aurions une compli-. cation de questions qui nous promettrait une guerre de longue haleine. Et nous avons tous grandement besoin de la paix!

«Quel serait le résultat de la guerre? Supposons un résultat défavorable à la Prusse: nous verrions peut-être une restauration de l'ancien état de choses. La France, qui jusqu'ici a travaillé au progrès, aurait donc changé de politique; elle combattrait pour rétablir des choses qui n'ont plus raison d'être, elle rétablirait un ordre de choses qui n'aurait aucune chance de vitalité. Est-ce qu'on rétablirait peut-être en Italie les Princes détrônés?

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Ne perdons donc pas l'espoir que la paix puisse être conservée les passions se calmeront, les susceptibilités et les appréhensions disparaîtront, et on finira par pouvoir s'entendre. »

:

4847. MEROUX DE VALOIS, AGENT CONSULAIRE À KIEL, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Déchiffrement. Prusse, Consulats, 4, no 1298.) Kiel, 26 avril 1867.

(Cabinet, 28 avril; Dir. pol., 29 avril.) [Meroux de Valois annonce que le contingent des Duchés est appelé sous les armes pour le 11 mai.

Il indique qu'il arrive presque chaque jour des munitions pour les forts du Sleswig et de la baie de Kiel; mais il ne pense pas qu'il y ait beaucoup à s'inquiéter de ces préparatifs, et il estime qu'il suffirait de faire croire à une attaque des ports prussiens de la Baltique pour retenir loin du Rhin une bonne partie de l'armée prussienne. Il continue à recevoir de Copenhague l'assurance, que le peuple danois est décidé à unir sa fortune à celle de la France.]

4848. LE PRINCE DE LA TOUR D'AUVERGNE, AMBASSADEUR À LONDRES, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Orig. Angleterre, 740, n° 92 (1),)

Londres, 26 avril 1867. (Cabinet, 28 avril; Dir. pol., 29 avril.)

La dépêche télégraphique que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'adresser hier soir m'est exactement parvenue. L'Ambassadeur d'Autriche à Londres a en effet reçu ce matin, avec

(1) En tête, note à l'encre : «Copiée pour l'Empereur.» Cette dépêche, sauf une phrase et le post-scriptum, a été publiée dans les Doc. diplom., 1867, Affaire du Luxembourg, p. 46-47, et dans les Arch. diplom., 1867, t. II, p. 844-845.

ordre d'en donner connaissance au Principal Secrétaire d'État de la Reine, le texte d'une dépêche destinée au Ministre d'Autriche à Saint-Pétersbourg, dans laquelle le Baron de Beust, après s'être montré disposé à considérer comme douteux le droit de la Prusse de maintenir, sans le consentement du Souverain légitime, une garnison dans un pays qui ne lui appartient pas, invite le Comte de Revertera à demander au Prince Gortchakoff de combiner ses efforts avec ceux de l'Angleterre et de l'Autriche pour amener une solution pacifique de l'affaire du Luxembourg. C'est là du moins ce qui m'a paru résulter de la lecture que le Comte Apponyi a bien voulu me faire de quelques passages des dépêches qu'il avait reçues et qu'il se proposait de communiquer, dans la journée, au Principal Secrétaire d'Etat de la Reine.

L'Ambassadeur de Russie m'a prévenu de son côté que le Prince Gortchakoff examinait, dans une dépêche qu'il venait de lui adresser, les différentes combinaisons au moyen desquelles il serait, suivant lui, possible d'obtenir de la Prusse l'évacuation de la forteresse du Luxembourg, et l'invitait à suggérer à Lord Stanley l'idée de recourir, pour faciliter une entente entre les Puissances, à une délibération collective, en indiquant Londres comme le lieu où cette délibération pourrait le plus convenablement s'ouvrir.

Enfin, M. le Ministre d'Italie m'a fait savoir qu'il était chargé par son Gouvernement d'annoncer au Principal Secrétaire d'État de la Reine que le Cabinet de Florence désirait associer ses efforts à ceux des Puissances qui agissent en faveur du maintien de la paix (1), et qu'il se flattait que les relations d'amitié qui l'unissaient à la France et à la Prusse pourraient donner quelque poids à ses conseils, aussi bien à Paris qu'à Berlin.

Lord Stanley n'a repoussé aucune de ces ouvertures, mais il croit qu'avant d'entrer en discussion sur la valeur pratique de telle ou telle combinaison il convient de savoir si la Prusse est, ou non, disposée à retirer ses troupes du Luxembourg. A l'heure où je l'ai quitté aujourd'hui, il n'avait pas encore reçu de réponse de Berlin à ce sujet (2).

P.-S. 27 avril.

- J'ai reçu le télégramme que Votre Excel

(1) Cf. Malaret, 26 avril.

(2) Cf. Benedetti, télégramme, 26 avril, 5 h. soir.

lence a bien voulu m'adresser ce matin (1). J'en ai fait connaître le contenu à Lord Stanley, qui m'a communiqué, de son côté, les informations qui lui sont parvenues de Berlin cette nuit et dont je viens de vous transmettre le résumé par le télégraphe (2). Lord Stanley attend d'ailleurs, pour apprécier exactement la situation, le rapport détaillé que lui adresse Lord Loftus au sujet de son entrevue avec M. de Bismarck, et qui n'arrivera à Londres que lundi.

4849. LE VICOMTE DES MÉLOIZES, MINISTRE À Munich, au Marquis DE MOUSTIER. (Orig. Bavière, 242, no 35.)

Munich, 26 avril 1867.

(Cabinet, 28 avril; Dir. pol., 29 avril.)

[Le Vicomte des Méloizes signale l'attitude hostile à la politique prussienne qu'a prise depuis peu de temps le principal organe du parti catholique bavarois, le Messager du Peuple (Volksbote). Ce journal s'attache à démontrer que, si la guerre éclatait entre la France et la Prusse, la Bavière devrait s'abstenir de toute participation à un conflit engagé sur une question qui lui est étrangère. Cette idée répond d'ailleurs à un sentiment assez répandu en Bavière, en dehors du parti prussien. D'autre part, le Roi a trop montré, pendant la dernière campagne, l'aversion que la guerre lui inspire, pour qu'on puisse considérer comme impossible de le gagner à l'idée de maintenir la paix.

P. S.

Le Prince de Hohenlohe annonce qu'il s'est prononcé à Berlin pour l'acceptation des propositions du Cabinet de Vienne. »]

4850. BENEDETTI, AMBASSADEUR À BERLIN, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Télégr. Déchiffrement. Prusse, 363.)

Berlin, 27 avril 1867, 135 soir. On aurait donné à la presse un nouveau mot d'ordre, qui serait résumé dans la dépêche télégraphique suivante que les journaux de Berlin se font adresser de Brême :

«Par suite du changement survenu dans l'attitude de la France,

(1) Très probablement le télégramme expédié le 26 à 10 h. 1/2 du soir et que La Tour d'Auvergne dut recevoir le 27, dans la nuit ou le matin. (2) Cf. La Tour d'Auvergne, télégramme, 27 avril, 3 h. 35 soir.

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