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que la France disposerait avant longtemps de sept cent mille hommes. Ces appréciations, dont on contestait l'exactitude, n'étaient pas considérées, parmi les familiers de la Cour, comme un argument propre à laisser une impression salutaire.

4861. ROTHAN, CONSUL GÉNÉRAL À FRANCFORT, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Orig. Prusse, Francfort, 1, no 51.)

Francfort, 27 avril 1867.

(Cabinet, 29 avril; Dir. pol., 30 avril.)

[Rothan insiste sur le caractère d'incertitude que présente encore la situation politique, et sur les préparatifs militaires de la Prusse. Si tout ce que l'on en dit n'est pas exact, il croit hors de doute que les autorités civiles seraient en mesure, dès à présent, de publier l'ordre de la mobilisation, et que les approvisionnements pour toutes les places fortes le long du Rhin seraient assurés ».

Il note d'ailleurs que les appréhensions jusqu'alors si vives tendent à se calmer, en particulier depuis la hausse qui vient de se produire aux Bourses de Paris et de Berlin.]

Ce qui m'a toujours frappé et ce qui me frappe encore, c'est l'attitude de la presse; car, depuis le commencement de ce. débat, à part les instructions calmantes que je me suis empressé de relever, et qui d'ailleurs ont été aussitôt transgressées, je n'y ai rien trouvé indiquant que le Gouvernement prussien eût sérieusement à cœur de sortir de la situation où il s'est engagé (1). Pour ceux qui connaissent l'extrême habileté dont M. de Bismarck a toujours su faire preuve lorsqu'il s'est agi de préparer l'opinion publique, le langage sec et cassant de ses journaux ne pouvait passer assurément pour un symptôme rassurant. Une polémique aussi absolue, en engageant de plus en plus la dignité du pays, n'est pas de nature, il faut en convenir, à faciliter au Gouvernement prussien les concessions qu'on lui demande dans l'intérêt de la paix. C'est ménager au prestige dont il dit avoir besoin en Allemagne une atteinte dont son influence ne tarderait pas à

(1) Cf. Benedetti, télégramme, 27 avril, 1 h. 35 soir, et 27 avril, no 112.

ressentir les effets. Le langage de la presse allemande, si violemment inspiré jusqu'à présent, sera curieux à étudier si, à la dernière heure, sous la pression morale des grandes Puissances et devant la France résolue et unanime dans ses sentiments, la Prusse devait tout à coup renoncer à ses prétentions. Ce serait, on peut l'affirmer, une cruelle mortification pour les défenseurs de sa politique.

4862. ROTHAN, CONSUL GÉNÉRAL À FRANCFORT, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Orig. Prusse, Francfort, 1, no 52 (1)).

Francfort, 27 avril 1867.

(Cabinet, 29 avril; Dir. pol., 30 avril.)

M. le Colonel de Tiller, que Votre Excellence connaît par mes rapports, est venu me trouver hier. Ce qu'il avait à me confier avait plus de gravité que les renseignements qu'il me fournit d'habitude. Ce n'est pas qu'il ait ajouté quelque chose aux renseignements contenus dans ma dépêche n° 51 (2), mais il avait à cœur de me révéler ce qu'il croyait être dans ce moment la pensée stratégique de la Prusse. Quantités d'indices qui ne sauraient échapper à l'œil et au jugement exercés d'un militaire, et des conversations échangées avec des officiers d'État-Major prussiens le portent à croire que la grande attaque de l'armée prussienne sera dirigée du côté de nos frontières du Nord. C'est là que serait notre partie la plus vulnérable, et c'est sur ces frontières si rapprochées de la capitale, en violant la neutralité belge, qu'on entendrait frapper les coups les plus décisifs. Porter le théâtre de la guerre sur le territoire ennemi, ou sur un territoire neutre au besoin, afin de ménager les Provinces rhénanes qui ne seraient prussiennes que dans la mesure la plus étroite, telle serait la pensée prédominante dans les conseils politiques et militaires du Roi de Prusse. «C'est à Jemappes et à Waterloo que nous nous rencontrerons avec l'armée française», auraient dit des officiers d'État-Major au Colonel de Tiller. « C'est Luxem

(1) En tête, note au crayon : «Guerre. »

(2) Du même jour.

bourg, aurait ajouté le commandant de cette place forte, qui pourrait bien devenir le point d'appui de l'aile gauche de notre base d'opérations." Une attaque combinée dans ce sens permettrait en effet à la Prusse de pousser rapidement, à l'heure voulue, sur le champ de bataille des forces énormes par les lignes parallèles de ses chemins de fer aboutissant à la Belgique et à la Hollande. M. de Tiller ne doutait pas que ce fût là le plan de campagne médité par l'État-Major général. Ce plan offrirait à la Prusse entre autres avantages celui de couper toute communication entre l'armée française et l'armée néerlandaise. Il lui permettrait en outre de s'emparer de la Hollande, qui est un objet d'ardentes convoitises pour sa politique.

Bien que les nouvelles arrivées en ce moment annoncent la réunion probable et prochaine d'un congrès, je n'en transmets pas moins ces confidences à Votre Excellence, car elles montrent combien était arrêtée dans les États-Majors prussiens la pensée d'une guerre offensive contre la France.

4863. LE VICOMTE DES MÉLOIZES, MINISTRE À MUNICH, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Orig. Bavière, 242, no 36.)

Munich, 27 avril 1867. (Cabinet, 1 mai; Dir. pol., 2 mai.)

J'ai eu l'honneur de mander hier à Votre Excellence que le Prince de Hohenlohe annonçait s'être prononcé à Berlin pour l'adoption des propositions du Cabinet de Vienne (1). Voici comment les choses se seraient passées.

Le Gouvernement prussien avait exprimé le désir de savoir: 1° si le Gouvernement bavarois considérait l'alliance du 22 août comme s'appliquant à la question du Luxembourg; 2° si, la guerre éclatant, le Cabinet de Munich serait disposé à en accepter la responsabilité morale. Le Prince de Hohenlohe a répondu affirmativement sur la première question; il a fait observer, quant à la seconde, que, si la Prusse invoquait l'alliance, la Bavière n'avait pas de responsabilité morale à encourir, et qu'elle pourrait d'autant moins l'accepter qu'elle n'était nullement ins

(1) Cf. le post-scriptum de la dépêche du 26 avril.

en m'en donnant la nouvelle, qu'il considérait l'adhésion de la Prusse comme impliquant son consentement à l'évacuation de la forteresse, puisque, par suite de l'arrangement proposé, cette place devait perdre toute son importance au point de vue agressif ou défensif. «J'aime à penser, a-t-il dit, ne voulant pas désespérer de la raison humaine, que le Gouvernement prussien le comprendra ainsi."

Votre Excellence a bien voulu me donner des détails pleins d'intérêt sur la mission dont le Comte de Tauffkirchen s'est acquitté avec si peu de succès auprès de la Cour d'Autriche (1), Le Comte de Revertera m'en avait parlé, et m'avait dit que non seulement le Baron de Beust avait repoussé les ouvertures de la Bavière, mais qu'il avait conseillé de ne pas les lui adresser, rappelant avec amertume que, d'habitude, le Cabinet de Munich n'était pas heureux dans ses tentatives de rapprochement entre l'Autriche et la Prusse. Quant aux allusions du Comte de Tauffkirchen, tendant à laisser croire que l'assentiment de la Russie était acquis aux propositions dont il était porteur, je ne puis y voir qu'une façon peu consciencieuse d'argumenter, ou que la marque d'une confiance dont on l'aurait bien précairement flatté; car, je me fais un devoir de le répéter, rien, selon moi, ne la justifierait dans le langage et dans l'attitude de l'Empereur Alexandre et du Prince Gortchakoff. Les assurances que je n'ai cessé de recevoir ici contre toute participation à une coalition qui menacerait la France ont été catégoriques et amicalement offertes. Je ne croirais pas pouvoir élever de doutes sur leur sincérité sans faire une cruelle injure au caractère du Souverain et à celui de son Ministre.

(1) Cf. Moustier à Talleyrand, 25 avril. Pour être parvenue à Saint-Pétersbourg le 27 avril, il faut que la dépêche de Moustier ait été rédigée et expédiée antérieurement à la date que porte la minute. Cf. p. 166, note 1.

4865. LE MARQUIS DE CHATEAURENARD, MINISTRE À STUTTGART, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Orig., avec déchiffrement. Wurtem

berg, 87, n° 22.)

Stuttgart, 27 avril 1867. (Cabinet, 28 avril; Dir. pol., 29 avril.)

[Bruit d'une crise ministérielle partielle. Le Marquis de Châteaurenard est en effet informé que le Ministre de la Justice, M. de Neurath, et le Ministre de la Guerre, M. de Hardegg, ont remis au Roi leur démission. Le premier invoque un désir déjà ancien de se retirer des affaires; la démission du second est attribuée à un dissentiment survenu entre le Roi et lui sur un détail d'administration militaire.]

[Déchiffrement] Ces motifs ont pu en effet servir de prétexte, mais en réalité le changement de Ministres est tout politique; à mes yeux, il est dû à l'action de la Prusse. A Berlin, on est mécontent de ce qu'il n'a été rien fait jusqu'à ces derniers jours en Wurtemberg pour la réorganisation de l'armée. On a pensé qu'avec un nouveau Ministre de la Guerre les choses marcheraient mieux et plus vite. Quant à M. Neurath, il était partisan de l'Autriche, et ne s'est pas suffisamment converti à la Prusse. Ce dernier reproche pourrait s'adresser également à tous les autres membres du Cabinet, sauf à M. de Varnbüler; mais sans doute qu'on ne les a pas jugés à Berlin d'une importance suffisante pour exiger leur remplacement. M. Neurath seul pouvait, par sa situation personnelle, son ancienneté dans le Ministère, faire une opposition sérieuse à M. de Varnbüler. Désormais le Ministre des Affaires étrangères dominera sans contradiction, et Votre Excellence sait qu'il est tout acquis à la politique de M. de Bismarck.

La Légation prussienne attend chaque jour l'arrivée d'un Atta

ché militaire.

4866. Le Duc de GRAMONT, AMBASSADEUR À VIENNE, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Confidentielle. Orig. Autriche, 494, no 52.)

Vienne, 27 avril 1867.

(Cabinet, 30 avril; Dir. pol., 20 mai.)

J'ai eu l'honneur d'informer Votre Excellence par le télégraphe de mon arrivée à Vienne dans la matinée du 23. Le soir même,

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