Images de page
PDF
ePub

Que serait l'Allemagne, telle qu'on la poursuit aujourd'hui pacifiquement, et, j'ajouterai, par voie de subterfuge? Que deviendrait l'Allemagne, si elle devait se constituer à la suite d'une guerre heureuse? Cette double question, je me la suis posée souvent, et je crois qu'elle a dû se présenter à l'esprit de tous ceux qui tiennent pour éminemment provisoire l'état de choses sorti des derniers événements.

Dans la première hypothèse, nous n'aurions après tout en face de nous qu'une grande Confédération, plus centralisée, il est vrai, politiquement et militairement, et par conséquent plus dangereuse que l'ancienne Confédération germanique. Mais elle ne serait en somme composée que des mêmes éléments, c'est-à-dire de Princes et d'États jaloux de leur autonomie, et qui, bien que maintenus par la loi du plus fort, n'en continueraient pas moins à être un embarras et une cause d'affaiblissement pour le pouvoir central. La Prusse pourrait-elle se refuser à admettre dans son Parlement, qui, il y a peu jours, lui causait encore de si grands tracas, des Représentants du Sud, les uns plus libéraux que les autres? Je ne le pense pas; et, dans ce cas, le parti féodal militaire se verrait bientôt débordé par les passions démocratiques, bien que M. de Bismarck ait cru, en prévision de la fusion constitutionnelle du Nord avec le Midi, conjurer ce péril en s'opposant de toutes ses forces, jusqu'à vouloir déposer son portefeuille, à l'adoption de l'amendement sur les Diètes (indemnité aux Députés).

Ce serait donc, à mon avis, rendre à la Prusse un assez mauvais service que de la placer dans l'alternative, ou d'admettre dans le sein du Parlement des éléments embarrassants, ou de les en exclure, ce qui évidemment serait fatal à son influence dans le Midi de l'Allemague. J'ajouterai, et ceci aussi je l'ai indiqué dans un de mes rapports, qu'à l'avènement du Prince royal, que son passé condamnera à une politique plus constitutionnelle, le mouvement qui se produira en Allemagne se portera irrésistiblement vers la Prusse, et que, dans cette hypothèse, nous serions fort embarrassés de nous jeter à la traverse de ces aspirations libérales et nationales à la fois.

Que M. de Bismarck disparaisse d'ailleurs de la scène, et c'est une prévision qui pourrait bien se réaliser d'un instant à l'autre,

car il souffre d'une maladie qui peut mettre subitement sa vie en danger, admettons, dis-je, cette fin subite, et Dieu veuille prochaine pour notre politique, et nous verrons aussitôt, la pensée aujourd'hui si énergiquement dirigeante disparue, la confusion renaître à Berlin, comme nous l'avons vue, et plus forte encore, l'automne dernier, lorsque le Président du Conseil a dû se retirer à la campagne. On peut admettre d'ailleurs que la répugnauce des provinces annexées pour le régime prussien, et l'antipathie de race du Midi pour le Nord, habilement entretenues par la diplomatie étrangère, seraient un obstacle, pendant de longues années, à une assimilation compacte et homogène des éléments germaniques.

Il me reste maintenant, en imposant silence à mes sentiments intimes, à examiner la seconde hypothèse, qui est celle d'une Allemagne se faisant à la suite d'une guerre heureuse, par conséquent sans notre assentiment, et peut-être sur les ruines de la France. Les résistances autonomiques et les agitations libérales dont nous pourrions, dans la première hypothèse, dans des conditions plus heureuses, dans une situation militaire irréprochable, et avec des alliances efficaces, tirer les plus grands avantages, seraient brisées peut-être à jamais. Ce serait en un mot F'unification et la centralisation appuyées sur un million de baïonnettes. Ce serait peut-être aussi, s'il faut en croire les professeurs, l'avènement définitif de la race germanique.

5027. Meroux DE VALOIS, AGENT CONSULAIRE À KIEL, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Déchiffrement. Prusse, Consulats, 4, no 1305.)

Kiel, 9 mai 1867.

(Cabinet, 11 mai; Dir. pol., 13 mai.)

[La première partie de la dépêche est relative aux préparatifs de défense faits par les Allemands à Kiel.]

On m'écrit de Copenhague que la Reine Victoria a fait inviter le Roi de Danemark à garder la plus stricte neutralité. Je tiens cette nouvelle d'une très bonne source.

5028. LE PRINCE DE LA TOUR D'AUVERGNE, AMBASSADEUR À LONDRES, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Télégr. Déchiffrement. Angleterre, 740.)

Londres, 9 mai 1867, 51 soir. (Reçu à 6 1/2 soir.)

Nous venons de parapher les articles du projet de traité (1), à l'exception de l'article 4 (2), qui est réservé jusqu'à ce que le Roi de Prusse ait fait connaître le délai qui lui est nécessaire pour l'évacuation; mais je ne prévois pas, d'après le langage de M. l'Ambassadeur de Prusse, de difficultés sur ce point. Il est question d'un délai de trois ou quatre semaines, à compter de l'échange des ratifications. J'espère, si vous m'y autorisez, que nous serons en mesure de signer le traité samedi prochain (3).

5029. LE PRINCE DE LA TOUR D'AUVERGNE, AMBASSADEUR À LONDRES, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Orig. Angleterre, 740, n° 109.)

Londres, 9 mai 1867.

(Cabinet, 10 mai 1867; Dir. pol., 9 mars 1868.)

La seconde réunion de la Conférence a eu lieu aujourd'hui (4). Lord Stanley, après nous avoir annoncé que les membres du Cabinet, auxquels il en avait référé, l'avaient autorisé, en vue d'assurer le maintien de la paix, à associer l'Angleterre à la garantie collective qui doit accompagner la neutralisation du

(1) Cf. le projet de traité annexé à la dépêche de La Tour d'Auvergne du 5 mai, n° 103.

(2) L'article 4 était ainsi rédigé :

Art. 4. Conformément aux stipulations contenues dans les articles 2 et 3, S. M. le Roi de Prusse déclare que ses troupes actuellement en garnison dans la forteresse de Luxembourg recevront l'ordre d'évacuer cette place dans un délai de...... que Sa Majesté a jugé suffisant pour retirer de ladite forteresse le matériel de guerre y contenu. Le délai susmentionné comptera du jour de.....(Arch. diplom., 1867, t. II, p. 761.)

(3) Le 11 mai.

(4) Le protocole n° 2 de la séance du 9 mai a été publié dans les Doc. diplom., 1867, Affaire du Luxembourg, p. 70-75, et dans les Arch. diplom., 1867, t. II, p. 762-766.

Grand-Duché de Luxembourg, nous a donné de nouveau lecture du projet de traité. Quelques amendements sans importance ont été adoptés à la suite d'une courte discussion. Deux d'entre eux, présentés par M. l'Ambassadeur de Russie, et appuyés par moi, ont pour objet d'atténuer, autant qu'il est possible de le faire sans altérer les conditions essentielles de l'arrangement, les inconvénients et les charges qu'entraînent pour la ville de Luxembourg l'évacuation et le démantèlement de la forteresse. MM. les Plénipotentiaires du Luxembourg ont essayé de leur côté, mais sans succès, de soulever la question des rapports du GrandDuché avec le Zollverein. L'Ambassadeur de Prusse a déclaré que cette question était en dehors du programme de la Conférence, et qu'il n'était pas autorisé à la traiter. L'Ambassadeur d'Autriche a fait la même déclaration, et le Représentant de la Russie s'est joint à eux pour constater également l'inopportunité de la démarche de MM. les Plénipotentiaires du Grand-Duché. Les articles du projet, dont j'ai l'honneur de vous transmettre, ci-joint, le texte rectifié (1), ont été ensuite, sur la demande de Lord Stanley, paraphés par tous les Plénipotentiaires, à l'exception de l'article IV, qui est réservé, M. le Plénipotentiaire de Prusse ne s'étant pas encore trouvé en mesure de nous faire connaître le délai que son Souverain juge suffisant pour l'évacuation et le retrait du matériel de guerre de la forteresse de Luxembourg; mais les communications confidentielles que j'ai échangées à ce sujet avec M. le Comte de Bernstorff m'autorisent à penser que la Prusse ne demandera pas plus de trois à quatre semaines, à compter de l'échange des ratifications. M. de Bernstorff attend du reste d'un moment à l'autre la réponse de M. de Bismarck.

Je pense que nous serons en mesure de signer le traité, dans le cas où il serait approuvé par Votre Excellence, samedi prochain. Je vous serai reconnaissant de vouloir bien me faire parvenir par le télégraphe les ordres de l'Empereur à cet égard.

P.-S. La ville de Luxembourg a envoyé à Londres une députation pour se plaindre de la situation qui sera faite au Grand-Duché par la neutralisation, et des charges qu'imposerait aux habitants de la ville de Luxembourg la démolition de la for

[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors]

teresse. J'ai reçu individuellement les membres de la députation, et j'ai cherché à leur faire comprendre que nous étions liés par les bases que toutes les Puissances avaient acceptées. J'ai ajouté que, dans la pensée de leur être agréable, M. l'Ambassadeur de Russie avait présenté, d'accord avec moi, deux amendements à l'article III et à l'article V du projet de traité, qui laissaient au Roi Grand-Duc une latitude un peu plus grande en ce qui concerne la démolition de la forteresse et le chiffre de la garnison qui pourra être conservée à Luxembourg. La députation m'a paru reconnaissante des dispositions que je lui témoignais.

5030. LE MARQUIS DE MOUSTIER AU PRINCE DE LA TOUR D'AUVERGNE, AMBASSADEUR À LONDRES. (Télégr. Minute. Angleterre, 740.)

Paris, 10 mai 1867, 2a1/2 soir.

J'ai reçu vos dépêches. Je partage de tous points les considérations développées dans votre lettre particulière (1). Vous pouvez signer le traité, et il serait bien désirable que ce pût être dès demain (2).

5031. BENEDETTI, AMBASSADEUR À Berlin, au Marquis de Moustier. (Télégr. Déchiffrement. Mémoires et documents, Hollande, 150.)

Berlin, 10 mai 1867, 2" 50 soir.
(Reçu à 5 soir.)

Le Comte de Bismarck ayant rendu compte au Roi de l'entretien d'avant-hier soir (3), et le Comte de Bernstorff ayant fail connaître le résultat de la seconde séance tenue par la Conférence (4), Sa Majesté a contremandé la réunion du Conseil où l'on devait délibérer sur la mobilisation de l'armée.

En me communiquant cette résolution du Roi, le Président

(1) Il s'agit de la lettre de La Tour d'Auvergne du 8 mai. (2) Cf. La Tour d'Auvergne, télégramme, 9 mai.

(3) Cf. Benedetti, 9 mai, no 128.

(4) Cf. La Tour d'Auvergne, 9 mai.

« PrécédentContinuer »