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4731. BENEDETTI, AMBASSADEUR À BERLIN, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Déchiffrement. Prusse, 363, no 94.)

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Ce qui domine dans les préoccupations diverses qui inquiètent les esprits, à Berlin, c'est la conviction que le Gouvernement de l'Empereur prend activement les mesures nécessaires pour mettre sur le pied de guerre toutes les forces militaires de la France. Les informations qui arrivent de Paris semblent unanimes pour donner à ces bruits l'autorité de faits certains.

Je vous signale dans une autre dépêche (1) la publication importante d'un message télégraphique, conçu dans ce sens, remis aux journaux par une agence industrielle de Berlin, l'Agence Wolf, qui en conteste (2) et même en relève la gravité par une note dont elle a jugé convenable de la faire suivre, afin de justifier la responsabilité qu'elle assume en livrant de pareilles nouvelles à la publicité. Pour ma part, je ne serais pas surpris si, comme on le pratiquait l'année dernière à pareille époque, cette dépêche avait été rédigée dans les bureaux du Ministère des Affaires étrangères à Berlin, au lieu d'avoir été envoyée de Paris; vous pourriez du reste, et il serait bon de le faire, vous en assurer en vous adressant à notre administration des télégraphes. Cette dépêche aurait été expédiée de Paris hier 17. Quoi qu'il en soit, des personnes qui entretiennent des relations avec les Ministres et s'inspirent de leurs dispositions ne cachent pas que le Gouvernement prussien ne saurait rester inactif pendant que la France se prépare à la guerre, et elles laissent pressentir qu'il ne tarderait pas à nous demander des explications. Je reçois ces confidences en assurant que nous ne provoquons en aucune façon les inquiétudes qu'on témoigne, et je m'abstiens de répondre que nous serions bien mieux fondés à demander à la Prusse de nous fournir des explications sur les traités qu'elle a conclus avec les États du Midi et la

(1) N° 93.

(2) Sic. Il y a sans doute une erreur de déchiffrement. Benedetti avait dû

écrire constate.

convention militaire récemment signée avec la Hesse (1). Je tiens pour constant, au surplus, que, dans les bureaux du Ministère de la Guerre à Berlin, on a pris toutes les dispositions nécessaires pour assurer la prompte mobilisation des différents corps d'armée dès qu'elle serait ordonnée. Il me revient même que des hommes isolés ont reçu l'ordre de rejoindre leurs corps respectifs, mais je suppose qu'il s'agit de militaires en congé et non d'hommes appartenant à la réserve. On dit également qu'on a acheté des chevaux, mais ces bruits n'ont encore rien de certain.

M. de Bismarck, très fatigué sans être souffrant, est parti ce matin pour la campagne, où il compte passer quelques jours pour reprendre des forces.

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P.-S. J'apprends d'une source digne de foi que, dans l'entrevue qu'il a eue avec le Président du Conseil et dont je vous ai rendu compte dans ma dépêche n° 89 (2), le fils du Ministre des États-Unis n'était pas seul, et qu'il s'y est rendu en compagnie du Sénateur Worthman, récemment arrivé à Berlin. Interpellé par une personne liée avec lui, ce jeune homme n'a pas contesté qu'il ne soit question d'une importante acquisition de bâtiments cuirassés que la Prusse se propose de faire en Amérique, mais il a nié que des pourparlers à ce sujet aient été ouverts avec le Gouvernement des États-Unis, qui ne voudra, dans aucune hypothèse, prendre parti dans une querelle entre des Puissances européennes, à moins toutefois qu'il ne s'agisse, a-t-il ajouté, de la Russie, qui serait assurée de trouver à Washington les plus vives sympathies et même un concours armé. Je ne puis vous garantir que M. Worthman soit l'intermédiaire chargé de négocier cette cession de navires. Je sais seulement qu'il s'est entretenu du Luxembourg avec M. de Bismarck, qui lui aurait formellement déclaré que la Prusse ne peut renoncer à l'occupation.

(1) Cf. Benedetti, 16 avril, no 87.

(2) Du 16 avril.

4732. LE BARON DE MONTGASCON, CHARGÉ D'AFFAIRES À CARLSRUHE, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Orig., avec déchiffrement. Bade, 47, n° 14.)

Carlsruhe, 18 avril 1867. (Cabinet, 20 avril; Dir. pol., 22 avril.)

[Les membres de la Famille grand-ducale qui se trouvaient à Berlin sont revenus à Carlsruhe. Le Prince Guillaume de Bade n'y est pas resté moins de trois mois. Comme le notait, dans sa dépêche du 5 janvier, le Marquis de Cadore, on avait expliqué son départ en le disant chargé de négocier avec la Prusse une convention militaire secrète.]

Le Gouvernement grand-ducal persiste à nier l'existence de cet acte, tant dans les communications de son journal officiel que dans ses relations avec le Corps diplomatique. C'est ce que M. le Ministre des Affaires étrangères a fait encore avant-bier, de la manière la plus catégorique, dans l'entretien que j'ai eu l'honneur d'avoir avec lui à ce sujet.

[Déchiffrement] Cependant, Monsieur le Marquis, par une singularité dont je n'ai pas à examiner les causes, les populations du Grand-Duché persistent à croire à l'existence de cette convention, qui peut avoir une si grande influence sur les destinées de

leur

pays, et, il faut bien le reconnaître, à l'égard de ces arrangements secrets entre les Cabinets de Carlsruhe et de Berlin, les dispositions de l'esprit public trahissent plus d'inquiétude que de satisfaction. Malgré les dénégations, chaque jour voit naître et s'accréditer de nouveaux bruits qui ont tous le même fondement; la persuasion générale où l'on est ici que la Famille grand-ducale a fait à l'unité de la grande Patrie allemande selon les uns, à l'hégémonie prussienne selon les autres, tous les sacrifices qu'il a pu convenir au Cabinet de Berlin d'exiger.

[Tantôt on parle à Carlsruhe de l'arrivée de généraux prussiens qui prendraient le commandement des principales villes du Grand-Duché; tantôt, de l'arrivée de troupes prussiennes qui tiendraient garnison dans Rastadt. Le malaise qui résulte de tous ces bruits est assez grave pour que le Gouvernement grand-ducal ait cru devoir insérer en tête de la Gazette de Carlsruhe un communiqué qui traite de fausses nouvelles, inventées dans le but

d'exciter la presse française contre l'Allemagne, et particulièrement contre le Grand-Duché de Bade, les bruits relatifs à une convention militaire et à l'occupation de la forteresse de Rastadt par les troupes prussiennes ».]

4733. ROTHAN, CONSUL GÉNÉRAL À FRANCFORT, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Confidentielle. Orig. Prusse, Francfort, 1, no 43.)

Francfort, 18 avril 1867.

(Cabinet, 20 avril; Dir. pol., 22 avril.)

Le Baron de Rothschild est revenu hier matin de Berlin. J'ai eu avec lui un long entretien, qu'il m'a fallu de grands efforts pour rendre intéressant, car, sous le charme encore de l'accueil qui lui avait été fait, il reprenait sans cesse le récit de ses audiences et de ses invitations royales. Il avait vu M. de Bismarck la veille de son départ, et l'avait laissé agité et nerveux, conséquences naturelles pour sa santé ébranlée des préoccupations qu'il a dû éprouver pendant le cours de ces dernières semaines. Il n'avait pas semblé à M. de Rothschild qu'il eût perdu l'espoir d'une solution pacifique, mais il ne cachait pas que, pour la Prusse, l'évacuation de la place, sans des garanties indispensables pour son honneur militaire, était un des problèmes les plus délicats à résoudre, car il s'agirait pour le moins d'obtenir l'engagement que, une fois sortie, la garnison ne serait pas exposée à se voir remplacée un jour par des troupes françaises.

L'éventualité d'une grande guerre incalculable dans ses conséquences ne l'effrayait pas, car il disait n'avoir autorisé ni par ses actes ni par ses paroles des exigences aussi fortes que celles qu'on voulait imposer à son pays.

C'est à peu près tout ce que M. de Rothschild m'a confié de ses entretiens avec le Premier Ministre. Mais il est d'autres impressions qu'il a rapportées de son séjour à Berlin et que mon patriotisme ne peut s'empêcher de tenir pour fort exagérées, bien qu'elles cadrent avec des appréciations que j'ai émises parfois dans mes dépêches. D'après M. de Rothschild, jamais l'armée prussienne n'aurait été dans un état plus admirable et animée d'un

sentiment plus vif de sa force et de son invincibilité. Son armement et son approvisionnement seraient au grand complet. Les coffres-forts de l'État regorgeraient d'argent. On aurait des fusils, des canons et des chevaux à revendre, selon l'expression du Général de Roon, c'est-à-dire à en fournir à tout le Midi de l'Allemagne. La confiance dans le fusil à aiguille et principalement dans le maniement de cette arme n'aurait rien perdu de sa force, surtout en face du fusil Chassepot, auquel on reproche une portée trop grande pour être efficace, ce qui, entre les mains d'hommes inexpérimentés, sera plutôt un inconvénient. On croit d'ailleurs que les cartouches laisseraient beaucoup à désirer, qu'elles sont facilement explosibles, au point qu'il serait question d'en expérimenter de nouvelles.

On reconnaît toutefois une supériorité à notre canon, et c'est le seul avantage qu'on veuille nous concéder. Mais on dit que nous manquerions d'hommes, exercés bien entendu; que nos munitions et tous nos préparatifs se ressentiront de la hâte avec laquelle ils auront été exécutés. On ne douterait pas de l'assistance la plus patriotique de l'Allemagne entière, et l'on serait certain, tout en reconnaissant les grandes qualités qui distinguent notre armée, son élasticité et son intelligence, que le succès infaillible serait du côté de la Prusse. On se défendrait vivement de vouloir la guerre, on serait convaincu au contraire qu'elle entrerait dans les convenances de notre politique, et, ne pouvant pas y échapper, on l'accepterait volontiers dès à présent plutôt que de devoir la subir dans des conjonctures moins heureuses, avec une armée française préparée de longue main. On ne se dissimulerait pas, toutefois, les coups terribles que nous serions en

état de porter au commerce, à la flotte et aux ports de mer prussiens; mais ces pertes, cruelles sans doute, seraient largement compensées par le résultat final. Quant aux alliances, et c'était là le point le plus important que je tenais à dégager de ces impressions par trop prussiennes, M. de Rothschild n'a pu, comme de raison, émettre que des suppositions. Il croit, sans aller jusqu'à un traité secret, que les rapports entre les Cours de Pétersbourg el de Berlin n'ont jamais été plus intimes; mais, en raison de l'état actuel de la Russie, qui, au point de vue des finances surtout, serait déplorable, n'ayant plus la perspective de vendre ses

ORIG. DIPL.

XVI.

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IMPRIMERIE NATIONALE.

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