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chemins de fer, ni de réaliser un emprunt, il est persuadé que l'Empereur Alexandre fera les plus grands efforts, tout en ne perdant pas de vue sa politique orientale, pour le maintien de la paix. Il est probable que cette situation, qui a aujourd'hui toutes les apparences de la neutralité, prendrait son véritable caractère si la guerre venait à éclater, et que la Russie, appuyée à la fois sur la Roumanie, entièrement sous sa dépendance par l'influence qu'y exerce le Cabinet de Berlin, et sur la Prusse, à laquelle elle rendrait en échange le service de tenir l'Autriche en échec, marcherait résolument vers le but traditionnel de ses ambitions.

Votre Excellence reconnaîtra toute la gravité de ces confidences. Je les lui transmets sans retard, car elles viennent d'un homme intelligent, qui sait en général voir les choses sous leur véritable jour et avec la perspicacité qui a toujours caractérisé sa famille. J'ai eu soin d'ailleurs, dès le début de cette lettre, de ne pas vous cacher que j'avais retrouvé M. de Rothschild, qui est quelque peu enclin à la vanité, sous le charme des attentions dont il a été l'objet à la Cour de Prusse.

4734. LE PRINCE DE LA TOUR D'AUVERGNE, AMBASSADEUR À LONDRES, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Déchiffrement. Angleterre, 740, n° 83 (1).)

Londres, 18 avril 1867. (Cabinet, 19 avril; Dir. pol., 28 avril.)

J'ai reçu les dépêches que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'adresser jusqu'au no 39 inclusivement (2).

Ainsi que Lord Stanley m'en avait exprimé le désir, je suis allé le voir ce matin (3). Il m'a dit que, Lord Cowley lui ayant annoncé qu'il serait reçu aujourd'hui par l'Empereur, il s'était empressé de l'inviter à offrir à Sa Majesté ses bons offices pour l'arrangement des difficultés soulevées par la question du Luxembourg, sous la seule réserve que l'existence du Royaume de Belgique ne se trou

(1) En tête, note à l'encre : «Copiée pour l'Empereur.»
(2) C'est la circulaire du 15 avril, envoyée à Londres le 17
(3) Cf. La Tour d'Auvergne, 17 avril.

seulement.

verait pas mise en cause. Il m'a ensuite parlé de la combinaison suggérée récemment par le Baron de Beust et qui consisterait à réunir le Grand-Duché de Luxembourg à la Belgique, qui se prêlerait, en retour, à une légère rectification de frontière du côté de la France (1). Lord Stanley ne m'a pas paru élever personnellement d'objections contre un pareil arrangement; mais il craignait que la Belgique, qui accepterait sans aucun doute le Luxembourg si on le lui offrait, ne fût pas disposée à céder en échange aucune partie du territoire qu'elle possède actuellement. Après avoir amicalement échangé nos idées sur ce point, j'ai rappelé à Lord Stanley que je n'étais pas autorisé à me prononcer en faveur de telle ou telle combinaison, que j'avais déjà eu l'occasion de lui faire connaître comment, en ce qui nous concernait, la question du Luxembourg était posée, et qu'il appartenait maintenant aux Puissances de trouver une combinaison qui, en sauvegardant suffisamment notre dignité et nos intérêts, assurât le maintien de la paix.

Les nouvelles parvenues à Lord Stanley relativement aux dispositions de la Prusse sont contradictoires. D'après ce qu'on lui mande de Berlin, la Prusse ne consentirait en aucun cas à l'évacuation de la forteresse du Luxembourg. De Vienne, au contraire, on lui écrit que M. de Bismarck ne serait pas éloigné, personnellement, de donner son adhésion à la combinaison suggérée par le Baron de Beust (2).

4735. LE VICOMTE DES MÉLOIZES, MINISTRE À MUNICH, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Orig. Bavière, 242, no 33.)

J'ai vu

Munich, 18 avril 1867. (Cabinet, 20 avril; Dir. pol., 22 avril.)

aujourd'hui le Prince de Hohenlohe, et je n'ai pas cru devoir lui cacher l'impression que sa réponse à l'adresse des cent quinze Députés m'avait causée, en présentant la question du

(1) Cf. Moustier à La Tour d'Auvergne, télégramme, 18 avril.

(2) Cf. La Tour d'Auvergne, 17 avril; Moustier à Berlin, Londres, SaintPétersbourg et Vienne, 18 avril, n° 83.

Luxembourg comme engageant en même temps l'intégrité et l'honneur de l'Allemagne (1).

En ce qui concerne le premier point, lui ai-je dit, que pouvons-nous faire de mieux que de nous en remettre au vœu des populations? et, quant aux susceptibilités de l'honneur national, les efforts des Gouvernements ne doivent-ils pas tendre à rassurer bien plutôt qu'à exciter l'opinion?

Le Ministre est convenu que les déclarations du Gouvernement de l'Empereur ne laissent rien à désirer relativement à l'application du principe des nationalités, et il s'est excusé de sa sortie concernant l'honneur de l'Allemagne sur la crainte qu'il avait que nous n'ayons la pensée de remplacer par nos troupes la garnison prussienne de la forteresse, ce qui, m'a-t-il dit, ne serait pas compatible avec les susceptibilités de l'honneur national.

Il a ajouté que ses nouvelles de Berlin indiquaient un sincère désir de nous satisfaire quant à l'évacuation de la forteresse à l'aide de quelque combinaison propre à ménager toutes les susceptibilités.

Le Ministre a cherché à m'expliquer ensuite le voyage du Comte de Tauffkirchen à Berlin et à Vienne, en disant que le Gouvernement bavarois avait à s'entendre avec les Gouvernements de Prusse et d'Autriche sur diverses questions, au nombre desquelles il m'a cité la reconstitution du Zollverein et l'entrée de la Hesse méridionale dans la Confédération du Nord (2). Il m'a fait remar

(1) Cf. des Méloizes, télégramme, 13 avril.

(2) D'après les Mémoires de HOHENLOHE, ce fut à l'instigation de Bismarck et pour sonder les dispositions de l'Autriche à l'égard de la Prusse que Hohenlohe envoya Tauffkirchen à Vienne, après la tentative inutile de Fröbel (cf. t. XV, p. 311, note 3). Les Mémoires résument ainsi les instructions de Tauffkirchen :

1° Découvrir et, si possible, écarter les obstacles qui s'opposent à la conclusion d'une alliance entre la Prusse et l'Autriche.

2° Provoquer la signature de cette alliance (générale ou limitée à la question spéciale du Luxembourg) et y représenter la Bavière, à condition que le Roi l'ait ratifiée. 3° Obtenir de la Prusse, en échange, que la Bavière prenne part, dans de bonnes conditions, aux futures négociations qui fixeront la position de la Bavière et du Midi vis-à-vis de la Confédération du Nord; convenir de ces conditions à la réserve d'une ratification de Sa Majesté. (T. I", p. 301.)

Tauffkirchen passa par Berlin, où Bismarck le reçut à merveille. «Bismarck, écrivait-il le 14 avril, m'a surpris par l'attention qu'il m'a prêtée. Il a l'air d'avoir grand besoin de l'Autriche.» (Ibid.)

quer que cette admission ne pouvait avoir lieu qu'à la suite d'une entente quant à l'interprétation à donner au traité de Prague, ajoutant qu'il l'avait déconseillée et qu'on y avait finalement

renoncé.

On ne comprend pas trop en quoi cette idée abandonnée aussitôt que conçue a motivé la présence à Berlin et à Vienne du Comte Tauffkirchen, le bras droit, l'alter ego du Ministre. Mais il n'est pas besoin de bien grands efforts pour pénétrer de pareils secrets. Rien de plus naturel que, en présence d'une nouvelle éventualité de guerre à laquelle la Bavière est d'autant moins préparée que campagne de l'année dernière a vidé ses arsenaux, elle éprouve le besoin de s'entendre avec la Prusse. Rien de plus concevable aussi que, dans la position qu'elle a prise vis-à-vis de l'Autriche, son alliée d'hier, peut-être son ennemie de demain, elle éprouve le besoin d'aller pressentir les dispositions du Cabinet de Vienne.

la

Ces prévisions de guerre ont inspiré à la Gazette d'Augsbourg des appréciations qui me paraissent avoir de l'intérêt. J'ai l'honneur d'en placer la traduction sous les yeux de Votre Excellence.

4736. LE BARON DE TALLEYRAND, AMBASSADEUR À SAINT-PÉTERSBOURG, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Orig. Russie, 238, no 33.)

Saint-Pétersbourg, 18 avril 1867. (Cabinet, 23 avril; Dir. pol., 26 avril.)

[Le Baron de Talleyrand communique au Prince Gortchakoff les pièces jointes à la lettre du Marquis de Moustier du 8 avril. Gortchakoff a reconnu que l'attitude de Moustier était parfaitement conforme aux idées échangées entre les deux Gouvernements, mais il a critiqué la façon dont Bourée avait appliqué ses instructions.]

Après ces explications, l'incident relatif au Général Ignatieff et à M. Bourée pouvant être considéré comme épuisé, j'ai prié le Prince Gortchakoff de me donner son opinion sur ce qu'il lui paraissait opportun de faire en ce moment. Nous partagions l'avis que le refus que nous venions d'essuyer de la part de la Porte

n'était pas son dernier mot; aussi étions-nous disposés à examiner les idées que le Vice-Chancelier pourrait nous suggérer.

Le Prince me répondit qu'il estimait urgent d'arrêter avant tout l'effusion du sang, par une démarche collective des Représentants à Constantinople de France, de Russie, d'Autriche, de Prusse et d'Italie, qui réitéreraient également la demande faite isolément par chacun d'eux, et sans succès, de consulter les populations crétoises. Pour qu'une semblable démarche, à laquelle il attache une extrême importance, aboutisse à bien, il est indispensable que le langage des Ambassadeurs soit identique et énergique. Si l'on tombe d'accord, il lui semble impossible que la Porte ne soit pas fortement impressionnée par cette imposante démonstration de l'unité de vues qui règne entre toutes les Puissances, sauf l'Angleterre.

Ayant prié le Vice-Chancelier de vouloir bien examiner avec moi les hypothèses qui pourraient se présenter et, en première ligne, celle d'un nouveau refus de la part du Gouvernement turc. il me répliqua qu'il venait d'écrire très longuement au Baron de Budberg sur toutes ces matières, que son courrier devancerait le mien de vingt-quatre heures, qu'on aurait toujours le temps d'aviser après avoir reçu une réponse de la Porte à la démarche collective des Représentants, et que, enfin, il ne prévoyait en aucun cas la nécessité de recourir à d'autres armes qu'à celles de la persuasion pour exercer sur le Gouvernement turc une suffisante pression; c'était, pour le moment, tout ce qu'il pouvait me dire à cet égard.

Je lui ai également parlé de l'idée que M. de Budberg avait puisée dans une dépêche de Votre Excellence en date du 18 mars et qu'il proposait de mettre en pratique, celle de demander une enquête européenne en Crète. Le Prince Gortchakoff, bien qu'il mette en première ligne la démarche collective dont il a été question plus haut, recommande cependant très vivement une combinaison qui pourrait peut-être offrir le grand avantage d'amener l'Angleterre à se joindre à nous. Le Baron de Brunnow a déjà sondé Lord Stanley sur ce sujet, et la réponse du Secrétaire d'État a été que Lord Lyons resterait libre d'envoyer comme ses Collègues, s'il le jugeait convenable, un Secrétaire d'Ambassade en Crète. Ce serait là un mode différent de consulter les populations,

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