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M. de Moustier, en faveur de la politique de paix préconisée par M. Rouher.

4757. BENEDETTI, AMBASSADEUR À BERLIN, AU MARQUIS DE MOUSTier." (Particulière. Déchiffrement. Mémoires et documents, Hollande, 150.)

Berlin, 20 avril 1867.

J'ai répondu sans retard à la dépêche télégraphique que vou avez bien voulu m'adresser hier, et je vous ai exprimé mon sentiment avec une entière franchise (1). Il m'a paru que nous ne pouvions à la fois invoquer dans les communications que nous échangeons avec les grandes Puissances les nombreux témoignages de modération que nous n'avons cessé de donner à l'Europe, et accueillir des protestations signées par des individus devenus sujets de la Prusse. En recevant M. Meding et en déférant au désir qu'il est chargé de vous exprimer, vous méconnaîtriez, ce me semble, la souveraineté de la Prusse sur ses récentes acquisitions, el l'on serait autorisé, dans une certaine mesure, à considérer l'accueil que vous feriez à l'Envoyé du Roi de Hanovre comme un acte d'hostilité. Dans tous les cas, je crois pouvoir vous assurer que cet incident déterminerait une nouvelle et plus ardente explosion du sentiment public en Allemagne, et qu'il peut en surgir immédiatement les complications les plus graves. Je me demande au surplus quel avantage nous pouvons tirer de la démarche qui vous est annoncée. Je n'y vois que celui d'encourager les répugnances que la Prusse rencontre dans ses nouvelles provinces; mais cet avantage n'aurait d'importance que si l'affaire du Luxembourg devait aboutir à la guerre, et, le jour où elle viendrait à éclater, elle donnerait à ces répugnances toute la portée dont elles sont susceptibles. Il ne me paraîtrait utile par conséquent de nous prêter aux vœux du Roi Georges que si nous préférons vider les armes notre différend avec la Prusse, et si nous avons intérêt à y procéder sans retard; mais, même dans ce dernier cas, il serait peut-être fâcheux de nous exposer aux reproches qu'on nous adresserait en nous voyant entrer dans la voie que nous ouvrirait un Prince déchu.

par

(1) Cf. les télégrammes de Moustier du 19 avril et de Benedetti du 20.

[Benedetti ajoute quelques détails sur la personnalité de M. Meding.]

Je n'ai rien de bien nouveau, ni de très important à ajouter aux informations que je vous ai transmises durant ces derniers jours. J'ai reçu ce matin votre expédition d'avant-hier (1); j'y répondrai par le courrier revenant de Pétersbourg qui passera ici aprèsdemain. Je me bornerai à vous dire aujourd'hui que rien encore ne révèle, dans le langage et l'attitude de la Cour, des Ministres et de la presse officieuse, l'intention d'acquiescer à un arrangement ayant pour base l'évacuation de la forteresse du Luxembourg, mais qu'on observe une certaine réserve qui ne l'exclut pas. Vous savez que M. de Bismarck, d'après ce qui m'est revenu, a toujours répété aux personnes qui ont pu l'interpeller que la Prusse ne saurait faire, dans l'état actuel des esprits, une pareille concession au maintien de la paix. Le Ministre d'Autriche ne m'a fait aucune confidence sur les entretiens qu'il a pu avoir avec le Président du Conseil; il m'a donné à entendre cependant qu'on désire éviter la guerre. Tel est aussi l'avis de la plupart de mes Collègues, et notamment du Ministre de Russie. M. d'Oubril me semble même, depuis deux jours, envisager l'état des choses avec plus de confiance et regretter l'absence de M. de Bismarck, comme s'il avait des communications à lui faire.

4758. ROTHAN, CONSUL GÉNÉRAL À FRANCFORT, AU MARQUIS DE MOUSTIER. (Orig. Prusse, Francfort, 1, no 45 (2).)

Francfort, 20 avril 1867. (Cabinet, 22 avril; Dir. pol., 23 avril.)

Le télégraphe nous annonce ce matin l'arrivée du Comte de Tauffkirchen à Vienne. Cette nouvelle est significative (3). Sans con

(1) Cf. les dépêches de Moustier à Benedetti du 18 avril, en particulier le n° 82.

(2) Une partie de cette dépèche a été publiée, avec des remaniements, par ROTHAN (L'Affaire du Luxembourg, p. 450-451).

(3) Cf. p. 52, note 2. Au moment où Rothan écrivait, Tauffkirchen avait échoué déjà dans sa mission. Il s'était entretenu avec Beust le matin du 18 avril. Le 19, il avait écrit à Hohenlohe: A mon avis, le seul conseil à donner au Roi est de me rappeler." (HOHENLOHE, Mémoires, t. 1°, p. 301.)

naître les instructions du Secrétaire général du Ministère des Affaires étrangères, il est permis de croire qu'elles se rattachent à la neutralité de l'Autriche, plus importante encore pour la Bavière qu'elle ne le serait pour la Prusse. C'est une nouvelle occasion qui s'offre à notre diplomatie pour s'assurer des pensées secrètes du Cabinet de Vienne.

Il ressort du journal que vient de publier le Prince Alexandre de Hesse, et dont je vous ai envoyé quelques exemplaires à l'usage de nos officiers d'État-Major (1), que la Bavière, qui accuse l'Autriche d'avoir violé ses engagements en l'excluant de la paix qu'elle signait avec la Prusse, avait autorisé cet abandon en manquant au traité secret qu'elle avait conclu à Vienne au mois de juin dernier. Au lieu des cent mille hommes qu'elle devait fournir, il n'en parut en effet tardivement que quarante-cinq mille sur les champs de bataille, se refusant à agir dans le sens de la défense commune, et n'obéissant qu'à des considérations exclusivement bavaroises. On comprend dès lors combien il importe au Cabinet de Munich de s'assurer en cas de guerre la sécurité de ses frontières orientales. Cela serait d'autant plus nécessaire si, comme on l'affirme, les portes d'Ulm devaient s'ouvrir pour les Prussiens, comme celles de Rastadt, à la première nouvelle de la rupture des négociations.

L'influence de la diplomatie autrichienne ne s'est pas relevée à Munich. On avait beaucoup auguré de la mission du Comte de Trauttmansdorff (2) pour combattre l'action de la Prusse. Mais cet Agent, distingué d'ailleurs, ne paraît pas réunir les qualités militantes qu'il aurait fallu pour ramener à son pays les sympathies qu'il a perdues en Bavière. Au lieu de se mêler aux hommes politiques qui ont le plus d'action dans les Chambres et par suite sur les décisions nationales, il se serait maintenu de préférence, cédant à ses goûts personnels, dans les cercles aristocratiques, dont les passions hostiles à la Prusse n'avaient besoin ni de contrôle ni d'encouragement. C'est ainsi que, se laissant aller à des préjugés ou à des convenances personnelles, il est arrivé souvent aux diplomates autrichiens de négliger des intérêts qui auraient

(1) Cf. Rothan, 17 avril,

(2) Trauttmansdorff avait été accrédité comme ministre d'Autriche à Munich le 4 février 1867. ·

dû dominer toute autre considération, et que ces fautes élémentaires se sont révélées dans les circonstances décisives, au détriment de leur pays!

La Cour de Stuttgart ne paraît pas encore avoir dit son dernier mot. C'est le seul point de l'Allemagne où la Prusse ait rencontré jusqu'à présent quelque résistance, et où l'opinion publique ait facilité au Souverain ses tendances particularistes. Aussi, j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, tous les moyens sont-ils mis en action pour faire sortir le Wurtemberg de la situation expectante dans laquelle il voudrait se maintenir. Pour faciliter sa tâche à M. de Rosenberg (1), le Gouvernement prussien n'a pas hésité à mettre la Cour de Stuttgart en cause devant l'opinion publique. Un article paru dans le numéro d'hier de la Gazette allemande du Nord, contient à son adresse un avertissement significatif: on exalte le patriotisme qui s'est manifesté dans les États du Sud; on félicite les assemblées populaires des résolutions qu'elles ont prises en face des éventualités de la guerre, et particulièrement celle de Heilbronn, qui a invité le Gouvernement wurtembergeois à tenir compte plus sérieusement qu'il ne l'a fait jusqu'à présent des devoirs qui lui incombent, et de réunir sans plus de retard les Chambres afin de leur soumettre la loi militaire. Sans vouloir, ajoute le journal de M. de Bismarck, exagérer le danger de la guerre, et sans adresser précisément un reproche au Gouvernement wurtembergeois, il serait néessaire qu'il tînt compte de l'avertissement que lui donne une de ses villes les plus importantes, d'autant plus que la publicité s'est emparée du mauvais vouloir que le Cabinet de Stuttgart manifesterait à l'endroit des engagements qu'il a contractés au mois d'août dernier.

Le Gouvernement badois, qui n'a jamais eu les mêmes scrupules, et qui depuis longtemps s'est fait l'agent le plus actif de la Prusse dans le Midi de l'Allemagne, se jetant ainsi à la traverse de l'action légitime que la France et l'Autriche auraient pu exercer sur les trois autres Cours, le Gouvernement badois, disje, loin d'encourir le blâme qui est publiquement infligé au Wurtemberg, éprouve le besoin de se défendre contre le reproche contraire. Il prétend aussi dans ses Gazettes, bien qu'il ait reçu

(1) Ministre de Prusse à Stuttgart.

de Berlin une quantité considérable de fusils à aiguille, et qu'il ait rappelé une partie de la réserve sous les drapeaux pour l'initier au maniement de cette arme, qu'il ne se livre à aucun préparatif extraordinaire. On voit que les exemples donnés l'an dernier par M. de Bismarck, à la veille de la guerre, n'ont pas été perdus pour la Cour de Bade. Le jeu qu'on a joué à cette époque, il est facile de le voir, on est tout disposé à le recommencer cette année en niant les armements, et en cherchant à prêter à ceux qui nous sont inspirés par des mesures de précaution urgente un caractère agressif.

[Rothan, en terminant, donne quelques détails sur les tendances prussiennes d'un journal francfortois, l'Europe.]

4759. LE PRINCE DE LA TOUR D'AUVERGNE, AMBASSADEUR À LONDRES, au Marquis de MousTIER. (Orig. Angleterre, 740, no 85 (1).)

Londres, 20 avril 1867.

(Cabinet, 21 avril; Dir. pol., 26 avril.)

Je viens de voir Lord Stanley. Ainsi qu'il me l'avait annoncé hier (2), il a télégraphié à Berlin pour savoir si la Prusse serait disposée à consentir, sous une condition quelconque, à l'évacuation de la forteresse du Luxembourg. Il a chargé, en même temps, Lord Loftus de faire remarquer à M. de Bismarck que la question n'avait vraiment pas, pour l'Allemagne, assez d'importance pour justifier une guerre avec la France, dans laquelle pouvaient se trouver sérieusement compromis les avantages considérables que la Prusse venait d'acquérir, en même temps que les intérêts du commerce maritime de l'Allemagne. Si la réponse de M. de Bismarck était favorable, et que la Prusse, en vue du maintien de la paix, renonçât à l'occupation de la forteresse, Lord Stanley inclinerait à penser que la combinaison qui soulèverait le moins de difficultés, la plus pratique suivant lui par conséquent, serait soit la neutralisation du Luxembourg entre les mains du Roi des Pays

(1) En tête, note à l'encre : «Copiée pour l'Empereur.» (2) Cf. La Tour d'Auvergne, 19 avril.

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