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livrer de vos misères, pour vous consoler en vos afflictions, pour vous appuyer en vos foiblesses. Dites - leur que deux sortes de gens doivent souvent communier : les parfaits, parce qu'étant bien disposés, ils auroient grand tort de ne point s'approcher de la source et fontaine de perfection; et les imparfaits, afin de pouvoir justement prétendre à la perfection : les forts, afin qu'ils ne deviennent foibles, et les foibles, afin qu'ils deviennent forts; les malades, afin d'être guéris; les sains, afin qu'ils ne tombent en maladie; et que pour vous, comme imparfaite, foible et malade, vous avez besoin de souvent communiquer avec votre perfection, votre force et votre médecin. Dites-leur que ceux qui n'ont pas beaucoup d'affaires mondaines, doivent souvent communier, parce qu'ils en ont la commodité; et ceux qui ont beaucoup d'affaires mondaines , parce qu'ils en ont nécessité, et que celui qui travaille beaucoup, et qui est chargé de peines, doit aussi manger les viandes solides, et souventefois. Dites-leur que vous recevez le saint Sacrement, pour apprendre à le bien recevoir, pour ce que l'on ne fait guère bien une action à laquelle on ne s'exerce pas souvent.

Communiez souvent, Philothée, et le plus souvent que vous pourrez, avec l'avis de votre

père spirituel; et, croyez-moi, les lièvres deviennent blancs parmi nos montagnes en hiver, parce qu'ils ne voient ni ne mangent que la neige; et à force d'odorer et manger la beauté, la bonté et la pureté même en ce divin sacrement, Vous deviendrez toute belle, toute bonne et toute pure.

TROISIÈME PARTIE,

contenant plusieurs avis touchant l'exercice des vertus.

CHAPITRE PREMIER.

Du choix que l'on doit faire quant à l'exercice des vertus.

LEroi des abeilles ne se met point aux champs, qu'il ne soit environné de tout son petit peuple; et la charité n'entre jamais dans un cœur, qu'elle n'y loge avec soi tout le train des autres vertus, les exerçant et mettant en besogne, ainsi qu'un capitaine fait ses soldats; mais elle ne les met pas en œuvre, ni tout-àcoup, ni également, ni en tout temps, ni en tous lieux. Le juste est comme l'arbre planté sur le cours des eaux, qui porté fruit en son temps, parce que la charité arrosant une ame, produit en elle les œuvres vertueuses, chacune en sa saison. La musique tant agréable de soi-même, est importune en un deuil, dit le proverbe. C'est un grand défaut

est

"Sur

en plusieurs, qui, entreprenant l'exercice de quelque vertu particulière, s'opinâtrent d'en produire des actions en toutes sortes de rencontres, et veulent comme ces anciens philosophes, ou toujours pleurer, ou toujours rire, et font encore pis, quand ils blâment et censurent ceux qui, comme eux, n'exercent pas toujours ces mêmes vertus. Il se faut réjouir avec les joyeux, et pleurer avec les pleurans, dit l'Apôtre; et la charité est patiente, bénigne, libérale, prudente, condescendante.

Il y a néanmoins des vertus, lesquelles ont leur usage presque universel, et qui ne doivent pas seulement faire leurs actions à part, ains doivent encore répandre leurs qualités ès actions de toutes les autres vertus. Il ne se présente pas souvent des occasions de pratiquer la force, la magnanimité, la magnificence. Mais la douceur, la tempérance, l'honnêteté et l'humilité sont de certaines vertus, desquelles toutes les actions de notre vie doivent être teintes. Il y a des vertus plus excellentes qu'elles : l'usage néanmoins de celles-ci est plus requis. Le sucre est plus excellent que le sel ; mais le sel a un usage plus fr¿quent et plus général. C'est pourquoi il faut toujours avoir bonne et prompte provision de ces vertus générales, puisqu'il s'en faut servir presque ordinairement.

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Entre les exercices des vertus, nous devons préférer celui qui est plus conforme à notre devoir, et non pas celui qui est plus conforme à notre goût, C'étoit le goût de sainte Paule, d'exercer l'âpreté des mortifications corporelles, pour jouir plus aisément des douceurs spirituelles; mais elle avoit plus de devoir à l'obéissance de ses supérieurs. C'est pourquoi S. Jérôme avoue qu'elle étoit répréhensible en ce que contre l'avis de son évêque, elle faisoit des abstinences immodérées. Les Apôtres au contraire, commis pour prêcher l'Évangile, et distribuer le pain céleste aux ames jugèrent extrêmement bien, qu'ils eussent eu tort de s'incommoder en ce saint exercice, pour pratiquer la vertu du soin des pauvres, quoique très - excellente. Chaque vacation a besoin de pratiquer quelque spéciale vertu : autres sont les vertus d'un prélat, autres celles d'un prince, autres celles d'un soldat, autres celles d'une femme mariée, autres celles d'une veuve ; et bien que tous doivent avoir toutes les vertus, tous néanmoins ne les doivent pas également pratiquer; mais un chacun se doit particulièrement adonner à celles qui sont requises au genre de vie auquel il est appelé.

Entre les vertus qui ne regardent pas notre devoir particulier, il faut préférer les plus excellentes, et non pas les plus apparentes.

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