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Les comètes paroissent pour l'ordinaire plus grandes que les étoiles, et tiennent beaucoup plus de place à nos yeux: elles ne sont pas néanmoins comparables, ni en grandeur, ni en qualité aux étoiles, et ne semblent grandes, sinon parce qu'elles sont proches de nous, et en un sujet plus grossier, au prix des étoiles. Il y a de même certaines vertus, lesquelles pour être proches de nous, sensibles, et s'il faut ainsi dire, matérielles., sont grandement estimées et toujours préférées par le vulgaire : ainsi préfère-t-il communément l'aumône temporelle à la spirituelle; la haire, le jeûne, la nudité, la discipline et les mortifications du corps, à la douceur, à la débonnaireté, à la modestie, et autres mortifications du cœur qui néanmoins sont bien plus excellentes. Choisissez donc, Philothée, les meilleures vertus, et non pas les plus estimées : les plus excellentes, et non pas les plus apparentes; les meilleures, et non pas les plus braves.

Il est utile qu'un chacun choisisse un exercice particulier de quelque vertu, non point` pour abandonner les autres, mais pour tenir plus justement son esprit rangé et occupé. Une belle jeune fille, plus reluisante que le soleil, ornée et parée royalement, et couronnée d'une couronne d'olives, apparut à saint Jean, évêque d'Alexandrie, et lui dit: Je suis

pour

la fille aînée du roi ; si tu me peux avoir ton amie, je te conduirai devant sa face. Il connut que c'étoit la miséricorde envers les pauvres, que Dieu lui recommandoit: si que par après, il s'adonna tellement à l'exercice d'icelle, que pour cela il est par-tout appelé S. Jean l'Aumônier. Euloge Alexandrin desirant faire quelque service particulier à Dieu, et n'ayant pas assez de force, ni pour embrasser la vie solitaire, ni pour se ranger sous l'obéissance d'un autre, retira chez soi un misérable tout perdu et gâté de ladrerie, pour exercer en icelui la charité et mortification. Ce que pour faire plus dignement, il fit vœu de l'honorer, traiter et servir, comme un valet feroit son maître et seigneur. Or, sur quelque tentation survenue, tant au ladre qu'à Euloge, de se quitter l'un l'autre, ils s'adressèrent au grand S. Antoine, qui leur dit : Gardez bien, mes enfans, de vous séparer l'un de l'autre ; car étant tous deux proche de votre fin, si l'ange ne vous trouve pas ensemble, vous courez grand péril de perdre

Vos couronnes.

Le roi S. Louis visitoit, comme par un prix fait, les hôpitaux, et servoit les malades de ses propres mains. S. François aimoit sur-tout la pauvreté, qu'il appeloit sa dame; S. Dominique la prédication, de laquelle son ordre a

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pris le nom. S. Grégoire le Grand se plaisoit à caresser les pèlerins, à l'exemple du grand Abraham et comme icelui reçut le roi de gloire sous la forme d'un pélerin. Tobie s'exerçoit en la charité d'ensevelir les défunts. Sainte Élizabeth, toute grande princesse qu'elle étoit, aimoit sur-tout l'abjection de soi-même. Sainte Catherine de Gênes étant devenue veuve, se dédia au service de l'hôpital. Cassian raconte qu'une dévote damoiselle, desireuse d'être exercée en la vertu de patience, recourut à S. Athanase, lequel, à sa requête, mit avec elle une pauvre veuve, chagrine, colère, fâcheuse et insupportable, laquelle gourmandant perpétuellement cette dévote fille, lui donna bon sujet de pratiquer dignement la douceur et condescendance. Ainsi entre les serviteurs de Dieu, les uns s'adonnent à servir les malades, les autres à secourir les pauvres, les autres à procurer l'avancement de la doctrine chrétienne entre les petits enfans, les autres à ramasser les ames perdues et égarées : les autres à parer les églises et orner les autels, et les autres à moyenner la paix et concorde entre les hommes. En quoi ils imitent les brodeurs, qui, sur divers fonds, couchent en belle variété les soies, l'or et l'argent pour en faire toutes sortes de fleurs; car ainsi ces ames pieuses qui entreprennent quelque par

ticulier exercice de dévotion se servent d'icelui comme d'un fonds pour leur broderie spirituelle, sur lequel elles pratiquent la variété de toutes les autres vertus, tenant en cette sorte leurs actions et affections mieux. unies et rangées, par le rapport qu'elles en font à leur exercice principal, et font ainsi, paroître leur esprit,

En son beau vêtement de drap d'or recamé,
Et d'ouvrages divers à l'aiguille semé.

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Quand nous sommes combattus de quelque vice, il faut, tant qu'il nous est possible, embrasser la pratique de la vertu contraire, rapportant les autres à icelle : car par ce moyen nous vaincrons notre ennemi, et ne laisserons pas de nous avancer en toutes les vertus. Si je suis combattu par l'orgueil, ou par la colère il faut qu'en toute chose je me penche et plie du côté de l'humilité et de la douceur, et qu'à cela je fasse servir les autres exercices de l'oraison, des sacremens, de la prudence, de la constance, de la sobriété; car comme les sangliers, pour aiguiser leurs défenses, les frottent et fourbissent avec leurs autres dents, lesquelles réciproquement en demeurent toutes fort affilées et tranchantes; ainsi l'homme ver. tueux ayant entrepris de se perfectionner en la vertu, de laquelle il a plus de besoin pour

sa défense, il la doit limer et affiler par l'exercice des autres vertus, lesquelles en affinant celle-là, en deviennent toutes plus excellentes et mieux polies. Comme il avint à Job, qui, s'exerçant particulièrement en la patience contre tant de tentations, desquelles il fut agité, devint parfaitement saint et vertueux en toutes sortes de vertus. Ains il est arrivé comme dit S. Grégoire de Nazianze, que par une seule action de quelque vertu bien et parfaitement exercée, une personne a atteint au comble des vertus, alléguant Rahab, laquelle ayant exactement pratiqué l'office d'hospitalité, parvint à une gloire suprême : mais cela s'entend quand telle action se fait excellemment avec grande ferveur et charité.

CHAPITRE II.

Suite du même discours du choix des vertus.

S. Augustin dit excellemment, que ceux qui commencent en la dévotion, commettent certaines fautes, lesquelles sont blâmables selon la rigueur des loix de la perfection, et sont néanmoins louables pour le bon présage qu'elles donnent d'une future excellence de piété à laquelle même elles servent de dispo

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