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se plaint point de son mal, ni ne desire qu'on le plaigne; il en parle naïvement, véritablement et simplement, sans se lamenter, sans se plaindre, sans l'agrandir : que si on le plaint, il souffre patiemment que l'on le plaigne, sinon qu'on le plaigne de quelque mal qu'il n'a pas ; car alors il déclare modestement qu'il n'a point ce mal-là, et demeure en cette sorte paisible entre la vérité et la patience, contenant son mal et ne s'en plaignant point.

És contradictions qui vous arriveront en l'exercice de la dévotion (car cela ne manquera pas), ressouvenez-vous de la parole de NotreSeigneur : La femme, tandis qu'elle enfante, a des grandes angoisses; mais voyant son enfant né, elle les oublie, d'autant qu'un homme lui est né au monde ; car vous avez conçu en votre ame le plus digne enfant du monde, qui est Jésus-Christ: avant qu'il soit produit et enfanté du tout, il ne se peut que vous ne vous ressentiez du travail ; mais ayez bon courage, car ces douleurs passées, la joie éternelle vous demeurera d'avoir enfanté un tel homme au monde. Or, il sera entièrement enfanté pour vous, lorsque vous l'aurez entièrement formé en votre cœur et en vos œuvres par imitation de sa vie.

Quand vous serez malade, offrez toutes vos douleurs, peines et langueurs, au service de

Notre-Seigneur, et le suppliez de les joindre aux tourmens qu'il a reçus pour vous. Obéissez au médecin, prenez les médecines, viandes et autres remèdes pour l'amour de Dieu, vous ressouvenant du fiel qu'il prit pour l'amour de nous : desirez de guérir pour lui rendre service ne refusez point de languir pour lui obéir, et disposez-vous à mourir, si ainsi il lui plaît, pour le louer et jouir de lui. Ressouvenez-vous que les abeilles, au temps qu'elles font le miel, vivent et mangent d'une munition fort amère, et qu'ainsi nous ne pouvons jamais faire des actes de plus grande douceur et patience, ni mieux composer le miel des excellentes vertus, que tandis que nous mangeons le pain d'amertume et vivons parmi les angoisses. Et comme le miel qui est fait des fleurs de thym, herbe petite et amère, est le meilleur de tous; ainsi la vertu qui s'exerce en l'amertume des plus viles, basses et abjectes tribulations, est la plus excellente de toutes.

Voyez souvent de vos yeux intérieurs JésusChrist crucifié, nu, blasphémé, calomnié, abandonné, et enfin accablé de toutes sortes d'ennuis, de tristesses et de travaux ; et considérez que toutes vos souffrances, ni en qualité ni en quantité, ne sont aucunement comparables aux siennes, et que jamais vous ne

souffrirez rien pour lui, au prix de ce qu'il a

souffert pour vous.

Considérez les peines que les martyrs souffrirent jadis, et celles que tant de personnes endurent, plus grièves sans aucune proportion que celles esquelles vous êtes, et dites : Hélas! mes travaux sont des consolations, et mes peines des roses, en comparaison de ceux qui sans secours sans assistance, sans allégement, vivent en une mort continuelle, accablés d'afflictions infiniment plus grandes.

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CHAPITRE IV.

De l'humilité pour l'extérieur. EMPRUNTEZ, dit Élisée à une pauvre veuve, et prenez force vaisseaux vides, et versez l'huile en iceux. Pour recevoir la grace de Dieu en nos cœurs, il les faut avoir vides de notre propre gloire. La crécerelle criant et regardant les oiseaux de proie, les épouvante par une propriété et vertu secrète ; c'est pourquoi les colombes l'aiment sur tous les autres oiseaux, et vivent en assurance auprès d'icelle ainsi l'humilité repousse Satan, et conserve en nous les graces et dons du SaintEsprit ; et pour cela tous les saints, mais particulièrement le roi des saints et sa mère, ont

toujours honoré et chéri cette digne vertu plus qu'aucune autre entre toutes les morales.

Nous appelons vaine la gloire qu'on se donne, ou pour ce qui n'est pas en nous ou pour ce qui est en nous, mais non pas à nous; ou pour ce qui est en nous et à nous, mais qui ne mérite pas qu'on s'en glorifie. La noblesse de la race, la faveur des grands, l'honneur populaire, ce sont choses qui ne sont pas en nous, mais ou en nos prédécesseurs, ou en l'estime d'autrui. Il y en a qui se rendent fiers et morgans pour être sur un bon cheval, pour avoir un panache à leur chapeau, pour être habillés somptueusement; mais qui ne voit cette folie? car s'il y a de la gloire pour cela, elle est pour le cheval, pour l'oiseau et pour le tailleur. Et quelle lâcheté de courage est-ce d'emprunter son estime d'un cheval, d'une plume, d'un godron ? Les autres se prisent et regardent pour des moustaches relevées, pour une barbe bien peignée, pour des cheveux crêpés, pour des mains douillettes; pour savoir danser, jouer, chanter; mais ne sont-ils pas lâches de courage de vouloir enchérir leur valeur et donner du surcroît à leur réputation par des choses si frivoles et folâtres ? Les autres, pour un peu de science, veulent être honorés et respectés du monde, comme si chacun devoit aller à l'école chez

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eux et les tenir pour maîtres : c'est pourquoi on les appelle pédans. Les autres se pavanent sur la considération de leur beauté, et croient que tout le monde les muguette : tout cela est extrêmement vain, sot et impertinent; et la gloire qu'on prend de si foibles sujets, s'appelle vaine, sotte et frivole.

On connoît le vrai bien comme le vrai baume on fait l'essai du baume en le distillant dedans l'eau ; car s'il va au fond et qu'il prenne le dessous, il est jugé pour être du plus fin et précieux : ainsi, pour connoître si un homme est vraiment sage, savant, généreux, noble, il faut voir si ses biens tendent à l'humilité, modestie et soumission; car alors ce seront de vrais biens; mais s'ils surnagent et qu'ils veuillent paroître, ce seront des hiens d'autant moins véritables, qu'ils seront plus apparens. Les perles qui sont conçues ou nourries au vent et au bruit des tonnerres n'ont que l'écorce de perle, et sont vides de substance; ainsi les vertus et belles qualités des hommes qui sont reçues et nourries en l'orgueil, en la jactance et en la vanité, n'ont qu'une simple apparence du bien, sans suc, sans moelle et sans solidité.

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Les honneurs, les rangs, les dignités, sont comme le safran, qui se porte mieux et vient plus abondamment d'être foulé aux pieds. Ce

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