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courage. Or, les imperfections et péchés véniels ne nous sauroient ôter la vie spirituelle ; car elle ne se perd que par le péché mortel. Il reste donc seulement qu'elles ne nous fassent point perdre le courage. Délivrez-moi, Seigneur, disoit David, de la couardise et découragement : c'est une heureuse condition pour nous en cette guerre, que nous soyons toujours vainqueurs, pourvu que nous voulions combattre.

CHAPITRE V I.

De la première purgation, qui est celle des péchés mortels.

La première purgation qu'il faut faire, c'est celle du péché; le moyen de la faire, c'est le saint Sacrement de pénitence : cherchez le plus digne confesseur que vous pourrez, prenez en main quelqu'un des petits livres qui ont été faits pour aider les consciences à se bien confesser, comme Grenade, Bruno, Arias, Auger: lisez-les bien, et remarquez de point en point en quoi vous avez offensé, à prendre depuis que vous eûtes l'usage de raison, jusques à l'heure présente ; et si vous vous défiez de votre mémoire, mettez en écrit ce que vous aurez remarqué : et ayant ainsi préparé et ramassé les humeurs peccantes de votre con

science, détestez-les, et les rejetez par une contrition et déplaisir aussi grand que votre cœur pourra souffrir, considérant ces quatre choses que par le péché vous avez perdu la grace de Dieu, quitté votre part de paradis, accepté les peines éternelles de l'enfer, et renoncé à l'amour éternel de Dieu. Vous voyez bien, Philothée, que je parle d'une confession générale de toute la vie, laquelle, certes, je confesse bien n'être pas toujours absolument nécessaire : mais je considère bien aussi qu'elle vous sera extrêmement utile en ce commencement; c'est pourquoi je vous la conseille extrêmement. Il arrive souvent que les confessions ordinaires de ceux qui vivent d'une vie commune et vulgaire, sont pleines de grands défauts: car souvent on ne se prépare point, ou fort peu: on n'a point la contrition requise, ains il advient maintes fois que l'on se va confesser avec une volonté tacite de retourner au péché, d'autant qu'on ne veut pas éviter l'occasion du péché, ni prendre les expédiens nécessaires à l'amendement de la vie; et en tous ces cas ici la confession générale est requise pour assurer l'ame. Mais outre cela, la confession générale nous appelle à la connoissance de nous-mêmes, nous provoque à une salutaire confusion pour notre vie passée, nous fait admirer la miséricorde de

Dieu, qui nous a attendus en patience, elle appaise nos cœurs, délasse nos esprits, excite en nous des bons propos, donne sujet à notre père spirituel de nous faire des avis plus convenables à notre condition, et nous ouvre le cœur, pour avec confiance nous bien déclarer aux confessions suivantes.

Parlant donc d'un renouvellement général de notre cœur, et d'une conversion universelle de notre ame à Dieu, par l'entreprise de la vie dévote, j'ai bien raison, ce me semble, Philothée, de vous conseiller cette confession générale.

CHAPITRE V. II.

De la seconde purification, qui est celle des affections du péché.

Tous les Israélites sortirent en effet de la terre d'Égypte; mais ils n'en sortirent pas tous d'affection; c'est pourquoi emmi le désert, plusieurs d'entr'eux regrettoient de n'avoir pas les oignons et les chairs d'Égypte. Ainsi il y a des pénitens, qui sortent en effet du péché, et n'en quittent pourtant pas l'affection; c'est-à-dire, ils se proposent de ne plus pécher, mais c'est avec un certain contrecœur qu'ils ont de se priver et abstenir des malheureuses délectations du péché; leur cœur

renonce au péché, et s'en éloigne; mais il ne laisse pas pour cela de se retourner souventefois de ce côté-là, comme fit la femme de Loth du côté de Sodôme; ils s'abstiennent du péché, comme les malades font des melons, lesquels ils ne mangent pas, parce que le médecin les menace de mort s'ils en mangent; mais ils s'inquiètent de s'en abstenir : ils en parlent, et marchandent s'il se pourroit faire, ils le veulent au moins sentir, et estiment bienheureux ceux qui en peuvent manger; car ainsi ces foibles et lâches pénitens s'abstiennent pour quelque temps du péché, mais c'est à regret ils voudroient bien pouvoir pécher sans être damnés, ils parlent avec ressentiment et goût du péché, et estiment contens ceux qui les font. Un homme résolu de se venger, changera de volonté en la confession; mais tôt après on le trouvera parmi ses amis qui prend plaisir à parler de sa querelle, disant que si ce n'eût été la crainte de Dieu, il eût fait ceci et cela, et que la loi divine, et cet article de pardonner est difficile ; que plût à Dieu qu'il fût permis de se venger. Ah! qui ne voit qu'encore que ce pauvre homme soit hors du péché, il est néanmoins tout embarrassé de l'affection du péché, et qu'étant hors d'Égypte en effet, il y est encore en appétit, desirant les aulx et les oignons qu'il y souloit

manger, comme fait cette femme, qui, ayant détesté ses mauvaises amours, se plaît néanmoins d'être muguetée et environnée. Hélas! que telles gens sont en grand péril!

O Philothée ! puisque vous voulez entreprendre la vie dévote, il ne vous faut pas seulement quitter le péché, mais il faut tout-àfait émonder votre cœur de toutes les actions qui dépendent du péché; car outre le danger qu'il y auroit de faire rechute, ces misérables affections allanguiroient perpétuellement votre esprit, et l'appesantiroient en telle sorte, qu'il ne pourroit pas faire les bonnes œuvres promptement, diligemment et fréquemment ; en quoi gît néanmoins la vraie essence de la dévotion. Les ames, lesquelles sorties de l'état du péché, ont encore ces affections et allanguissemens, ressemblent à mon avis aux filles qui ont les pâles couleurs, lesquelles ne sont pas malades, mais toutes leurs actions sont malades; elles mangent sans goût, dorment sans repos, rient sans joie, et se traînent plutôt que de cheminer; car de même ces ames font le bien avec des lassitudes spirituelles si grandes, qu'elles ôtent toute la grace à leurs bons exercices, qui sont peu en nombre, et petits en effet.

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