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toujours foulé et maltraité. Il est mieux, dit le même S. Augustin écrivant à Profuturus, de refuser l'entrée à l'ire juste et équitable, que de la recevoir pour petite qu'elle soit, parce qu'étant reçue, il est malaisé de la faire sortir, d'autant qu'elle entre comme un petit surgeon, et en moins de rien elle grossit et devient une poutre. Que si une fois elle peut gagner la nuit, et que le soleil se couche sur notre ire, ce que l'Apôtre défend, se convertissant en haine, il n'y a quasi plus moyen de s'en défaire; car elle se nourrit de mille fausses persuasions, puisque jamais nul homme courroucé ne pensa son courroux être injuste.

Il est donc mieux d'entreprendre de savoir vivre sans colère, que de vouloir user modérément et sagement de la colère; et quand par imperfection et foiblesse nous nous trouvons surpris d'icelle, il est mieux de la repousser vîtement, que de vouloir marchander avec elle; car pour peu qu'on lui donne de loisir, elle se rend maîtresse de la place, et fait comme le serpent, qui tire aisément tout son corps d'où il peut mettre la tête. Mais comment la repousserai-je, me direz-vous? Il faut, ma Philothée, qu'au premier ressentiment que vous en aurez, vous ramassiez promptement vos forces, non point brusquement ni impé

tueusement, mais doucement, et néanmoins sérieusement; car comme on voit ès audiences de plusieurs sénats et parlemens, que les huissiers criant, paix - là ! font plus de bruit que ceux qu'ils veulent faire taire; aussi il arrive maintes fois que voulant avec impétuosité réprimer notre colère, nous excitons plus de trouble en notre cœur qu'elle n'avoit pas fait; et le cœur étant ainsi troublé, ne peut plus être maître de soi-même.

Après ce doux effort, pratiquez l'avis que S. Augustin, jà vieil, donnoit au jeune évêque Auxilius: Fais, dit-il, ce qu'un homme doit faire. Que s'il t'arrive ce que l'homme de Dieu dit au Psalme: Mon œil est troublé de grande colère, recours à Dieu, criant: Ayez miséricorde de moi, Seigneur, afin qu'il étende sa dextre pour réprimer ton courroux. Je veux dire qu'il faut invoquer le secours de Dieu, quand nous nous voyons agités de colère, à l'imitation des Apôtres tourmentés du vent et de l'orage emmi les eaux x; car il mandera à nos passions qu'elles cessent, et la tranquillité se fera grande; mais toujours je vous avertis que l'oraison qui se fait contre la colère présente et pressante, doit être pratiquée doucement, tranquillement, et non point violemment : ce qu'il faut observer en tous les remèdes dont l'on use contre ce mal.

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Avec cela, soudain que vous vous appercevrez avoir fait quelque acte de colère, réparez la faute par un acte de douceur exercé promptement à l'endroit de la même personne contre laquelle vous vous serez irrité; car tout ainsi que c'est un souverain remède contre le mende s'en dédire sur-le-champ, aussitôt que l'on s'apperçoit de l'avoir dit; ainsi est-ce un bon remède contre la colère, de la réparer soudainement par un acte contraire de douceur; car (comme l'on dit ) les plaies fraîches sont plus aisément remédiables.

songe que

Au surplus, lorsque vous êtes en tranquillité, et sans aucun sujet de colère, faites grande provision de douceur et débonnaireté, disant toutes vos paroles et faisant toutes vos actions, petites et grandes, en la plus douce façon qu'il vous sera possible. Vous ressouvenant que l'épouse, au Cantique des Cantiques, n'a pas seulement le miel en ses lèvres et au bout de sa langue, mais elle l'a encore dessous la langue, c'est-à-dire dans la poitrine, et n'y a pas seulement du miel, mais encore du lait; car aussi ne faut-il pas seulement avoir la parole douce à l'endroit du prochain, mais encore toute la poitrine, c'est-à-dire tout l'intérieur de notre ame; et ne faut pas seulement avoir la douceur du miel, qui est aromatique et odorant, c'est-à-dire, la suavité de la con

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versation civile avec les étrangers, mais aussi la douceur du lait entre les domestiques et proches voisins en quoi manquent grandement ceux qui, en la rue, semblent des anges, et en la maison, des diables.

CHAPITRE IX.

De la douceur envers nous-mêmes.

L'UNE des bonnes pratiques que nous saurions faire de la douceur, c'est celle de laquelle le sujet est en nous-mêmes, ne nous dépitant jamais contre nous - mêmes ni contre nos imperfections; car encore que la raison veut que, quand nous faisons des fautes, nous en soyons déplaisans et marris, si faut-il néanmoins que nous nous empêchions d'en avoir une déplaisance aigre et chagrine, dépiteuse et colère. En quoi font une grande faute plusieurs, qui, s'étant mis en colère, se courroucent de s'être courroucés, entrent en chagrin de s'être chagrinés, et ont dépit de s'être dépités; car par ce moyen ils tiennent leur cœur confit et détrempé en la colère: et si bien il semble que la seconde colère ruine la première, si est-ce néanmoins qu'elle sert d'ouverture et de passage pour une nouvelle colère à la première occasion qui s'en présen

tera; outre que ces colères, dépits et aigreurs que l'on a contre soi-même, tendent à l'orgueil, et n'ont origine que de l'amour-propre, qui se trouble et s'inquiète de nous voir imparfaits. Il faut donc avoir un déplaisir de nos fautes, qui soit paisible, rassis et ferme car tout ainsi qu'un juge châtie bien mieux les méchans, faisant les sentences par raison et en esprit de tranquillité, que non pas quand il les fait par impétuosité et passion, d'autant que jugeant avec passion, il ne châtie pas les fautes selon qu'elles sont, mais selon qu'il est lui-même; ainsi nous nous châtions bien mieux nous-mêmes par des repentances tranquilles et constantes, que non pas par des repentances aigres, empressées et colères, d'autant que ces repentances faites avec impétuosité, ne se font pas selon la gravité de nos fautes, mais selon nos inclinations. Par exemple, celui qui affectionne la chasteté, se dépitera avec une amertume non-pareille de la moindre faute qu'il commettra contre icelle, et ne se fera que rire d'une grosse médisance qu'il aura commise. Au contraire, celui qui hait la médisance, se tourmentera d'avoir fait une légère murmuration, et ne tiendra nul compte d'une grosse faute commise contre la chasteté ; et ainsi des autres : ce qui n'arrive pour autre chose, sinon d'autant qu'ils ne

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