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sent et tournent; il n'en reste plus que les mauvais et les verts. On se trouve aux champs dans quelque bicoque où tout manque; on n'a ni lit, ni chambre, ni table, ni service. Enfin, il est facile d'avoir souvent besoin de quelque chose, pour riche qu'on soit : or cela, c'est être pauvre en effet de ce qui nous manque. Philothée, soyez bien aise de ces rencontres, acceptez-les de bon cœur, souffrez-les gaiement.

Quand il vous arrivera des inconvéniens qui vous appauvriront, ou de beaucoup, ou de peu, comme font les tempêtes, les feux, les inondations, les stérilités, les larcins, les procès; ô c'est alors la vraie saison de pratiquer la pauvreté, recevant avec douceur ces diminutions de facultés, et s'accommodant patiemment et constamment à cet appauvrissement. Ésaü se présenta à son père avec ses mains toutes couvertes de poil, et Jacob en fit de même; mais parce que le poil qui étoit ès mains de Jacob ne tenoit pas à sa peau, ains à ses gants, on lui pouvoit ôter son poil sans l'offenser ni écorcher. Au contraire, parce que le poil des mains d'Ésai tenoit à sa peau, qu'il avoit toute velue de son naturel ; qui lui eût voulu arracher son poil, il lui eût bien donré de la douleur; il eût bien crié, il se fût bien échauffé à la défense. Quand nos moyens nous tiennent au cœur, si la tempête, si le larron, si le chi

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caneur nous en arrache quelque partie quelles plaintes, quels troubles, quelles impatiences en avons-nous ? Mais quand nos biens ne tiennent qu'au soin que Dieu veut que nous en ayons, et non pas à notre cœur, si on nous les arrache, nous n'en perdons pourtant pas le sens ni la tranquillité. C'est la différence des bêtes et des hommes quant à leurs robes; car les robes des bêtes tiennent à leur chair, et celles des hommes y sont seulement appliquées, en sorte qu'ils puissent les mettre et ôter quand ils veulent.

CHAPITRE XV I.

Pour pratiquer la richesse d'esprit emmi la pauvreté réelle.

:

MAIS Si vous êtes réellement pauvre, trèschère Philothée, ô Dieu ! soyez-le encore d'esprit faites de nécessité vertu, et employez cette pierre précieuse de la pauvreté pour ce qu'elle vaut. Son éclat n'est pas découvert en ce monde, mais si est-ce pourtant qu'il est extrêmement beau et riche.

Ayez patience, vous êtes en bonne compagnie: Notre-Seignenr, Notre-Dame, les Apôtant de saints et de saintes ont été pauvres ; et pouvant être riches, ils ont méprisé

tres,

de l'être. Combien y a-t-il de grands mondains, qui avec beaucoup de contradictions sont allés rechercher avec un soin non-pareil la sainte pauvreté dedans les cloîtres et les hôpitaux ? Ils ont pris beaucoup de peine pour la trouver; témoins S. Alexis, sainte Paule, S. Paulin, S. Angèle, et tant d'autres; et voilà, Philothée, que plus gracieuse en votre endroit, elle se vient présenter chez vous; vous l'avez rencontrée sans la chercher, et sans peine ; embrassez-la donc comme la chère amie de Jésus-Christ, qui naquit, vécut et mourut avec la pauvreté, qui fut sa nourrice

toute sa vie.

Votre pauvreté, Philothée, a deux grands priviléges, par le moyen desquels elle vous peut beaucoup faire mériter. Le premier est qu'elle ne vous est point arrivée par votre choix, mais par la seule volonté de Dieu qui vous a fait pauvre, sans qu'il y ait eu aucune concurrence de votre volonté propre. Or, ce que nous recevons purement de la volonté de Dieu, lui est toujours très-agréable, pourvu que nous le recevions de bon cœur et pour l'amour de sa sainte volonté; où il y a moins du nôtre, il y a plus de Dieu : la simple et pure acceptation de la volonté de Dieu rend une souffrance extrêmement pure.

Le second privilége de cette pauvreté, c'est

qu'elle est une pauvreté vraiment pauvre. Une pauvreté louée, caressée, estimée, secourue et assistée, tient de la richesse; elle n'est pour le moins pas du tout pauvre : mais une pauvreté méprisée, rejetée, reprochée et abandonnée, elle est vraiment pauvre. Or, telle est pour l'ordinaire la pauvreté des séculiers; car, parce qu'ils ne sont pas pauvres par leur élection, mais par nécessité, on n'en tient pas grand compte. Et en ce qu'on n'en tient pas grand compte, leur pauvreté est plus pauvre que celle des religieux, bien que celleci d'ailleurs ait une excellence fort grande et trop plus recommandable, à raison du vœu et de l'intention pour laquelle elle a été choisie.

Ne vous plaignez donc pas, ma chère Philothée, de votre pauvreté ; car on ne se plaint que de ce qui déplaît, et si la pauvreté vous déplaît, vous n'êtes plus pauvre d'esprit, ains riche d'affection.

Ne vous désolez point de n'être pas si bien secourue qu'il seroit requis; car en cela consiste l'excellence de la pauvreté. Vouloir être pauvre, et n'en recevoir point d'incommodité, c'est une trop grande ambition; car c'est vouloir l'honneur de la pauvreté et la commodité des richesses.

N'ayez point de honte d'être pauvre, ni de demander l'aumône en charité. Recevez celle

qui vous sera donnée avec humilité; acceptez le refus avec douceur. Ressouvenez-vous souvent du voyage que Notre-Dame fit en Egypte pour y porter son cher enfant, et combien de mépris, de pauvretés et de misères il lui convint supporter. Si vous vivez comme cela, vous serez très-riche en votre pauvreté.

CHAPITRE XV I I.

De l'amitié, et premièrement de la mauvaise et frivole.

L'AMOUR tient le premier rang entre les passions de l'ame; c'est le roi de tous les mouvemens du cœur : il convertit tout le reste à soi, et nous rend tels que ce qu'il aime. Prenez donc bien garde ma Philothée, de n'en point avoir de mauvais ; car tout aussi-tôt vous seriez toute mauvaise. Or, l'amitié est le plus dangereux amour de tous, parce que les autres amours peuvent être sans communication; mais l'amitié étant totalement fondée sur icelle, on ne peut presque l'avoir avec une personne, sans participer à ses qualités.

1. Tout amour n'est pas amitié ; car on peut aimer sans être aimé, et lors il y a de l'amour, mais non pas de l'amitié, d'autant que l'amitié est un amour mutuel ; et s'il n'est pas mu

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