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voici une petite pièce, qu'il adresse voirement aux femmes, mais bonne encore pour les hommes: Ta naturelle beauté suffit pour ton mari; que si elle est pour plusieurs hommes, comme un filet tendu pour une troupe d'oiseaux, qu'en arrivera-t-il ? Celui-là te plaira qui se plaira en la beauté : tu rendras œillade pour œillade, regard pour regard: soudain suivront les souris et petits mots d'amour láchés à la dérobée pour le commencement; mais bientôt on s'apprivoisera, et passera-t-on à la cajolerie manifeste. Garde bien, 6 ma langue parleuse, de dire ce qui arrivera par après; si dirai-je néanmoins encore cette vérité. Rien de tout ce que les jeunes gens et les femmes disent, ou font ensemble en ces folles complaisances, n'est exempt de grands aiguillons. Tous les fatras d'amourettes se tiennent l'un à l'autre, et s'entre-suivent tous, ne plus ne moins qu'un fer tiré par l'aimant en tire plusieurs autres consécutivement.

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O qu'il dit bien, ce grand évêque ! Que pen, sez-vous faire ? Donner de l'amour ? non pas mais personne n'en donne volontairement qui n'en prenne nécessairement. Qui prend, est pris en ce jeu. L'herbe aproxis reçoit et conçoit le feu aussi-tôt qu'elle le voit : nos cœurs en sont de même ; soudain qu'ils voient une ame enflammée d'amour pour eux, ils

sont incontinent embrasés pour elle. J'en veux bien prendre, me dira quelqu'un, mais non pas fort avant. Hélas! vous vous trompez ; ce feu d'amour est plus actif et pénétrant qu'il ne vous semble: vous cuiderez n'en recevoir qu'une étincelle, et vous serez tout étonné de voir qu'en un moment il aura saisi tout votre cœur, réduit en cendre toutes vos résolutions, et en fumée votre réputation. Le Sage s'écrie: Qui aura compassion d'un enchanteur piqué par le serpent? Et je m'écrie après lui : O fous et insensés! cuidez-vous charmer l'amour, pour le pouvoir manier à votre gré ? Vous vous voulez jouer avec lui, il vous piquera et mordra mauvaisement ; et savez-vous ce qu'on en dira? Chacun se moquera de vous, et on rira de quoi vous avez voulu enchanter l'amour, et que sur une fausse assurance vous avez voulu mettre dedans votre sein une dangereuse couleuvre qui vous a gâtés et perdus d'ame et d'honneur.

O Dieu ! quel aveuglement est celui-ci, de jouer ainsi à crédit, sur des gages si frivoles, la principale pièce de notre ame? Oui, Philothée; car Dieu ne veut l'homme que pour l'ame, ni l'ame que pour la volonté, ni la volonté que pour l'amour. Hélas! nous n'avons pas d'amour à beaucoup près de ce que nous en avons besoin. Je veux dire, il s'en faut

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infiniment que nous en ayons assez pour aimer Dieu; et cependant, misérables que nous sommes nous le prodiguons et épanchons en choses sottes, vaines et frivoles, comme si nous en avions de reste. Ah! ce grand Dieu, qui s'étoit réservé le seul amour de nos ames en reconnoissance de leur création, conservation et rédemption, exigera un compte bien étroit de ces folles déduites que nous en faisons. Que s'il doit faire un examen si exact des paroles oisives, qu'est-ce qu'il fera des amitiés oiseuses, impertinentes, folles et pernicieuses?

Le noyer nuit grandement aux vignes et aux champs esquels il est planté, parce qu'étant si grand, il attire tout le suc de la terre, qui ne peut par après suffire à nourrir le reste des plantes : ses feuillages sont si touffus, qu'ils font un ombrage grand et épais ; et enfin il attire les passans à soi, qui, pour abattre son fruit, gâtent et foulent tout autour. Ces amourettes font les mêmes nuisances à l'ame; car elles l'occupent tellement, et tirent si puissamment ses mouvemens, qu'elle ne peut pas après suffire à aucune bonne œu-.. vre : les feuilles, c'est-à-dire les entretiens, amusemens et muguetteries, sont si fréquentes, qu'elles dissipent tout le loisir ; et enfin, elles attirent tant de tentations, distractions,

soupçons et autres conséquences, que tout le cœur en est foulé et gâté. Bref, ces amourettes bannissent non-seulement l'amour céleste, mais encore la crainte de Dieu, énervent l'esprit, affoiblissent la réputation : c'est, en un mot, le jouet des cours, mais la peste des cœurs..

CHAPITRE XI X.

Des vraies amitiés.

O PHILOTHÉE ! aimez un chacun d'un grand amour charitable; mais n'ayez point d'amitié qu'avec ceux qui peuvent communiquer avec vous de choses vertueuses; et plus les vertus que vous mettrez en votre commerce seront exquises, plus votre amitié sera parfaite. Si vous communiquez ès sciences, votre amitié est certes fort louable: plus encore si vous communiquez aux vertus, en la prudence, discrétion, force et justice. Mais si votre mutuelle et réciproque communication se fait de la charité, de la dévotion, de la perfection chrétienne, ô Dieu! que votre amitié sera précieuse ! Elle sera excellente, parce qu'elle vient de Dieu; excellente, parce qu'elle tend à Dieu; excellente, parce que son lien c'est Dieu; excellente, parce qu'elle durera éternellement en Dieu. O qu'il fait bon aimer en

terre comme l'on aime au ciel, et apprendre à s'entre- chérir en ce monde comme nous ferons éternellement en l'autre ! Je ne parle pas ici de l'amour simple de charité, car il doit être porté à tous les hommes; mais je parle de l'amitié spirituelle, par laquelle deux ou trois, ou plusieurs ames se communiquent leur dévotion, leurs affections spirituelles, et se rendent un seul esprit entr'elles. Qu'à bon droit peuvent chanter telles heureuses ames: O que voici combien il est bon et agréable les frères habitent ensemble ! Oui, car le baume délicieux de la dévotion distille de l'un des cœurs en l'autre par une continuelle participation, si qu'on peut dire que Dieu a répandu sur cette amitié sa bénédiction, et la vie jusques aux siècles des siècles.

que

Il m'est avis que toutes les autres amitiés ne sont que des ombres au prix de celle-ci, et que leurs liens ne sont que des chaînes de verre ou de jayet, en comparaison de ce grand lien de la sainte dévotion qui est tout d'or.

Ne faites point d'amitié d'autre sorte, je veux dire des amitiés que vous faites ; car il ne faut pas ni quitter, ni mépriser pour cela les amitiés que la nature, et les précédens devoirs vous obligent de cultiver; des parens, des alliés, des bienfaiteurs, des voisins et au

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