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sinon quand Dieu n'est pas aimé, marques infaillibles de l'honnêteté. Le miel d'Héraclée trouble la vue, et cette amitié mondaine trouble le jugement; en sorte que ceux qui en sont atteints, pensent bien faire en mal faisant, et cuident que leurs excuses, prétextes et paroles soit de vraies raisons. Ils craignent la lumière, et aiment les ténèbres; mais l'amitié sainte a les yeux clairvoyans et ne se cache point, ains paroît volontiers devant les gens de bien. Enfin, le miel d'Héraclée donne une grande amertume en la bouche: ainsi les fausses amitiés se convertissent et terminent en paroles et demandes charnelles et puantes ; ou en cas de refus, à des injures, calomnies, impostures, tristesses, confusions et jalousies qui aboutissent bien souvent en abrutissement et forcenerie; mais la chaste amitié est toujours également honnête, civile et amiable, et jamais ne se convertit qu'en une plus parfaite et pure union d'esprits, image vive de l'amitié bienheureuse que l'on exerce

ciel.

au

S. Gregoire de Nazianze dit que le paon faisant son cri, lorsqu'il fait sa roue et pavonade, excite grandement les femelles qui l'écoutent à la lubricité. Quand on voit un homme pavoner, se parer, et venir comme cela cajoler, chucheter et barguigner aux oreilles d'une

femme ou d'une fille, sans prétention d'un juste mariage; ah! sans doute, ce n'est que pour la provoquer à quelque impudicité ; et la femme d'honneur bouchera ses oreilles pour ne point ouïr le cri de ce paon, et la voix de l'enchanteur qui la veut enchanter finement: que si elle écoute, ô Dieu ! quel mauvais augure de la future perte de son cœur !

Les jeunes gens qui font des contenances grimaces et caresses, ou disent des paroles esquelles ils ne voudroient pas être surpris par leurs pères, mères, maris, femmes ou confesseurs, témoignent en cela qu'ils traitent d'autre chose que de l'honneur et de la conscience. Notre-Dame se trouble voyant un ange en forme humaine, parce qu'elle étoit seule, et qu'il lui donnoit des extrêmes, quoique célestes louanges. O Sauveur du monde ! la pureté craint un ange en forme humaine, et pourquoi donc l'impureté ne craindra - t - elle un homme, encore qu'il fût en figure d'ange, quand il la loue des louanges sensuelles et humaines ?

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CHAPITRE XX I.

Avis et remèdes contre les mauvaises amitiés.

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MAIS quels remèdes contre cette engeance et fourmilière de folles amours, folâtreries, impuretés? Soudain que vous en aurez les premiers ressentimens, tournez-vous court de l'autre côté, et avec une détestation absolue de cette vanité, courez à la croix du Sauveur et prenez sa couronne d'épine pour en environner votre cœur, afin que ces petits renardeaux n'en approchent. Gardez bien de venir à aucune sorte de composition avec cet ennemi; ne dites pas, je l'écouterai, mais je ne ferai rien de ce qu'il me dira; je lui prêterai l'oreille, mais je lui refuserai le cœur. O ma Philothée pour Dieu, soyez rigoureuse en telles occasions : le cœur et les oreilles s'entretiennent l'un à l'autre ; et comme il est impossible d'empêcher un torrent qui a pris sa descente par le pendant d'une montagne, aussi est-il difficile d'empêcher que l'amour qui est tombé en l'oreille, ne fasse soudain sa chute dans le cœur. Les chèvres, selon Alcméon, haleinent par les oreilles, et non par les naseaux; il est vrai qu'Aristote le nie, or ne sais-je ce

que c'en est, mais je sais bien pourtant que notre cœur haleine par l'oreille, et que comme il aspire et exhale ses pensées par la langue, il respire aussi par l'oreille, , par laquelle il reçoit les pensées des autres. Gardons donc soigneusement nos oreilles de l'air des folles paroles; car autrement soudain notre cœur en seroit empesté. N'écoutez nulle sorte de propositions sous quel prétexte que ce soit ; en ce seul cas il n'y a point de danger d'être incivile et

agreste.

Ressouvenez-vous que vous avez voué votre cœur à Dieu, et que votre amour lui étant sacrifié, ce seroit donc un sacrilége de lui en ôter un seul brin: sacrifiez-le-lui plutôt derechef par mille résolutions et protestations, et vous tenant entre icelles comme un cerf dans son fort, réclamez Dieu; il vous secourra, et son amour prendra le vôtre en sa protection, afin qu'il vive uniquement pour lui.

Que si vous êtes déjà prise dans les filets de ces folles amours, ô Dieu ! quelle difficulté de vous en déprendre ! Mettez-vous devant sa divine majesté, connoissez en sa présence la grandeur de votre misère, votre foiblesse et vanité, puis avec le plus grand effort de cœur qu'il vous sera possible, détestez ces amours commencées, abjurez la vaine profession que vous en avez faite, renoncez à toutes les pro

messes reçues, et d'une grande et très-absolue volonté, arrêtez en votre cœur et vous résolvez de ne jamais plus rentrer en ces jeux et entretiens d'amour..

Si vous vous pouviez éloigner de l'objet, je l'approuverois infiniment; car comme ceux qui ont été mordus des serpens, ne peuvent pas aisément guérir en la présence de ceux qui ont été autrefois blessés de la même morsure; aussi la personne qui est piquée d'amour, guérira difficilement de cette passion, tandis qu'elle sera proche de l'autre qui aura été atteinte de la même piqûre. Le changement de lieu sert extrêmement pour appaiser les ardeurs et inquiétudes, soit de la douleur, soit de l'amour. Le garçon duquel parle S. Ambroise, au livre second de la Pénitence, ayant fait un long voyage, revint entièrement délivré des folles amours qu'il avoit exercées, et tellement changé, que sa sotte amoureuse le rencontrant, et lui disant: Ne me connois-tu pas? je suis bien moi-même : Oui-dà, répondit-il ; mais moi je ne suis pas moi-même : l'absence lui avoit apporté cette heureuse mutation; et S. Augustin témoigne que pour alléger la douleur qu'il eut en la mort de son ami, il s'ôta de Tagaste, où icelui étoit mort, et s'en alla à Carthage.

Mais qui ne peut s'éloigner, que doit-il

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