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vraie vertu : combien moins donc doit-on pécher pour l'amitié ? L'ami est ennemi quand il nous veut conduire au péché, et mérite de perdre l'amitié quand il veut perdre et damner l'ami; ains, c'est l'une des plus assurées marques d'une fausse amitié, que de la voir pratiquée envers une personne vicieuse de quelque sorte de péché que ce soit. Si celui que nous aimons est vicieux, sans doute notre amitié est vicieuse; car puisqu'elle ne peut regarder la vraie vertu, il est force qu'elle considère quelque vertu folâtre et quelque qualité sensuelle.

La société faite pour le profit temporel entre les marchands, n'a que l'image de la vraie amitié ; car elle se fait, non pour l'amour des personnes, mais pour l'amour du gain.

Enfin, ces deux divines paroles sont deux grandes colonnes pour bien assurer la vie chrétienne : l'une est du Sage: Qui craint Dieu, aura pareillement une bonne amitié ; l'autre est de S. Jacques : L'amitié de ce monde est ennemie de Dieu.

CHAPITRE XX I I I.

Des exercices de la mortification extérieure.

CEUX qui traitent des choses rustiques et champêtres, assurent que si on écrit quelque mot sur une amande bien entière, et qu'on la remette dans son noyau, le pliant et serrant bien proprement et le plantant ainsi, tout le fruit de l'arbre qui en viendra se trouvera écrit et gravé du même mot. Pour moi, Philothée, je n'ai jamais pu approuver la méthode de ceux qui, pour réformer l'homme, commencent par l'extérieur, par les contenances, par les habits, par les cheveux.

Il me semble au contraire qu'il faut commencer par l'intérieur : Convertissez-vous à moi, dit Dieu, de tout votre cœur; mon enfant, donne-moi ton cœur; car aussi le cœur étant la source des actions, elles sont telles qu'il est. L'époux divin invitant l'ame : Mets-moi, dit-il, comme un cachet sur ton cœur, comme un cachet sur ton bras. Oui

vraiment ; car quiconque a Jésus-Christ en son cœur, il l'a bientôt après en toutes ses actions extérieures. C'est pourquoi, chère Philothée, j'ai voulu avant toutes choses, graver

et inscrire sur votre cœur ce mot saint et sacré :

Vive Jésus! assuré que je suis, qu'après cela votre vie, laquelle vient de votre cœur comme un amandier de son noyau, produira toutes ses actions qui sont ses fruits, écrites et gravées du même mot de salut ; et que comme ce doux Jésus vivra dedans votre cœur, il vivra aussi en tous vos déportemens, et paroîtra en vos yeux, en votre bouche, en vos mains, voire même en vos cheveux, et pourrez saintement dire, à l'imitation de S. Paul: Je vis, mais non plus moi, ains Jésus-Christ vit en moi. Bref, qui a gagné le cœur de l'homme a gagné tout l'homme. Mais ce cœur même, par lequel nous voulons commencer, requiert qu'on l'instruise comme il doit former son train et maintien extérieur, afin que non-seulement on y voie la sainte dévotion, mais aussi une grande sagesse et discrétion. Pour cela, je vous vais brièvement donner plusieurs avis.

Si vous pouvez supporter le jeûne, vous ferez bien de jeûner quelques jours, outre les jeûnes que l'église nous commande; car outre l'effet ordinaire du jeûne, d'élever l'esprit, réprimer la chair, pratiquer la vertu, et acquérir plus grande récompense au ciel, c'est un grand bien de se maintenir en la possession de gourmander la gourmandise même, et tenir l'appétit sensuel et le corps sujet à la loi de

l'esprit ; et bien qu'on ne jeûne pas beaucoup, l'ennemi néanmoins nous craint davantage quand il connoît que nous savons jeûner. Les mercredi, vendredi et samedi, sont les jours esquels les anciens chrétiens s'exerçoient le plus à l'abstinence. Prenez-en donc de ceux-là pour jeûner, autant que votre dévotion et la discrétion de votre directeur vous le conseilleront.

Je dirois volontiers comme S. Jérôme dit à la bonne dame Leta: Les jeûnes longs et immodérés me déplaisent bien fort, sur-tout en ceux qui sont en áge encore tendre. « J'ai ap

pris par expérience, que le petit ânon étant » las en chemin, cherche de s'écarter » : c'est-àdire, les jeunes gens portés à des infirmités par l'excès des jeûnes, se convertissent aisément aux délicatesses. Les cerfs courent mal en deux temps, quand ils sont trop chargés de venaison, et quand ils sont trop maigres. Nous sommes grandement exposés aux tentations quand notre corps est trop nourri et quand il est trop abattu ; car l'un le rend insolent en son aise, et l'autre le rend désespéré en son mal-aise ; et comme nous ne le pouvons porter quand il est trop gras, aussi ne nous peut-il porter quand il est trop maigre. Le défaut de cette modération ès jeûnes, disciplines, haires et âpretés, rend inutiles au service

de la charité les meilleures années de plusieurs; comme il fit même à S. Bernard, qui se repentit d'avoir usé de trop d'austérité ; et d'autant qu'ils l'ont maltraité au commencement, ils sont contraints de le flatter à la fin. N'eussentils pas mieux fait de lui faire un traitement égal et proportionné aux offices et travaux auxquels leurs conditions les obligeoient ?

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Le jeûne et le travail mattent et abattent la chair. Si le travail que vous ferez vous est nécessaire, ou fort utile à la gloire de Dieu, j'aime mieux que vous souffriez la peine du travail que celle du jeûne. C'est le sentiment de l'église, laquelle pour les travaux utiles au service de Dieu et du prochain, décharge ceux qui les font, du jeûne même commandé. L'un a de la peine à jeûner, l'autre en a à servir les malades, visiter les prisonniers, confesser prêcher, assister les désolés, prier, et semblables exercices; cette peine vaut mieux que celle-là; car outre qu'elle matte également, elle a des fruits beaucoup plus desirables; et partant généralement il est mieux de garder plus de forces corporelles qu'il n'est requis, que d'en ruiner plus qu'il ne faut ; car on peut toujours les abattre quand on veut, mais on ne les peut pas réparer toujours quand on

veut.

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Il me semble que nous devons avoir en

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