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grands travaux en leurs lits, dans les hôpitaux et ès rues, la goutte, la gravelle, la fièvre ardente. Hélas ! ils n'ont eu nul repos : aurez-vous point de compassion d'eux ? Et pensez-vous point qu'un jour vous gémirez comme eux, tandis que d'autres danseront comme vous avez fait ?

IV. Notre-Seigneur, Notre-Dame, les anges et les saints, vous ont vu au bal. Ah! que vous leur avez fait grande pitié, voyant votre cœur amusé à une si grande niaiserie et attentif à cette fadaise!

v. Hélas! tandis que vous étiez là, le temps s'est passé, la mort s'est approchée; voyez qu'elle se moque de vous, et qu'elle vous appelle à sa danse, en laquelle les gémissemens de vos péchés serviront de violon, et où vous ne ferez qu'un seul passage de la vie à la mort ; cette danse est le vrai passe-temps des mortels, puisqu'on y passe en un moment du temps à l'éternité ou des biens ou des peines. Je vous remarque ces petites considérations, mais Dieu vous en suggérera bien d'autres à même effet, si vous avez sa crainte.

CHAPITRE X X X I V.

Quand on peut jouer ou danser.

POUR jouer et danser loisiblement, il faut que ce soit par récréation, et non par affection; pour peu de temps, et non jusqu'à se lasser ou étourdir, et que ce soit rarement; car qui en fait ordinaire, il convertira la récréation en occupation. Mais en quelle occasion peut-on jouer et danser? Les justes occasions de la danse, et du jeu indifférent, sont plus fréquentes. Celles des jeux défendus sont plus rares; comme aussi tels jeux sont beaucoup plus blâmables et périlleux. Mais en un mot, dansez et jouez selon les conditions que je vous ai marquées, quand pour condescendre et complaire à l'honnête conversation en laquelle vous serez, la prudence et discrétion vous le conseilleront; car la condescendance " comme surgeon de la charité, rend les choses indifférentes bonnes, et les dangereuses permises. Elle ôte même la malice à celles qui sont aucunement mauvaises : c'est pourquoi les jeux de hasard, qui autrement seroient blâmables, ne le sont pas, si quelquefois la juste condescendance nous y porte. J'ai été

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consolé d'avoir lu en la Vie de S. Charles Borromée, qu'il condescendoit avec les Suisses en certaines choses, esquelles d'ailleurs il étoit fort sévère; et que le B. Ignace de Loyola étant invité à jouer, l'accepta. Quant à sainte Élisabeth de Hongrie, elle jouoit et dansoit parfois, se trouvant ès assemblées de passetemps, sans intérêt de sa dévotion, laquelle étoit bien enracinée dedans son ame, si que comme les rochers qui sont autour du lac de Riette, croissent étant battus des vagues, ainsi sa dévotion croissoit parmi les pompes et vanités, auxquelles sa condition l'exposoit. Ce sont les grands feux qui s'enflamment au vent, mais les petits s'éteignent, si on ne les y porte

à couvert.

CHAPITRE X X X V.

Qu'il faut être fidèle ès grandes et petites

occasions.

L'ÉPOUX sacré au Cantique des Cantiques, dit que son épouse lui a ravi le cœur par un de ses yeux, et l'un de ses cheveux. Or, entre toutes les parties extérieures du corps humain, il n'y en a point de plus noble, soit pour l'artifice, soit pour l'activité, que l'œil,

ni point de plus vile que les cheveux. C'est pourquoi le divin époux veut faire entendre qu'il n'a pas seulement agréables les grandes œuvres des personnes dévotes, mais aussi les moindres et plus basses, et que pour le servir à son goût, il faut avoir grand soin de le bien servir aux choses grandes et hautes, et aux choses petites et abjectes, puisque nous pouvons également, et par les unes et par les autres, lui dérober son cœur par amour.

Préparez-vous donc, Philothée, à souffrir beaucoup de grandes afflictions pour NotreSeigneur, et même le martyre : résolvez-vous de lui donner tout ce qui vous est de plus précieux, s'il lui plaisoit de le prendre : père, mère, frère, mari, femme, enfans, vos yeux mêmes et votre vie ; car à tout cela vous devez apprêter votre cœur. Mais tandis que la divine Providence ne vous envoie pas des afflictions si sensibles et si grandes, et qu'il ne requiert pas de vous vos yeux, donnez-lui pour le moins vos cheveux. Je veux dire, supportez tout doucement les menues injures, ces petites incommodités, ces pertes de peu d'importance qui vous sont journalières; car par le moyen de ces petites occasions employées avec amour et dilection, vous gagnerez entièrement son cœur, et le rendrez tout vôtre : ces petites charités quotidiennes, ce mal de

que

tête, ce mal de dents, cette défluxion, cette bizarrerie du mari ou de la femme, ce cassement d'un verre, ce mépris ou cette moue, cette perte de gants, d'une bague, d'un mouchoir, cette petite incommodité l'on se fait d'aller coucher de bonne heure, et de se lever matin pour prier, pour se communier, cette petite honte que l'on a de faire certaines actions de dévotion publiquement. Bref, toutes ces petites souffrances étant prises et embrassées avec amour contentent extrêmement la bonté divine, laquelle pour un seul verre d'eau a promis la mer de toute félicité à ses fidèles; et parce que ces occasions se présentent à tout moment, c'est un grand moyen pour assembler beaucoup de richesses spirituelles que de les bien employer.

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Quand j'ai vu en la Vie de sainte Catherine de Sienne tant de ravissemens et d'élévations d'esprit, tant de paroles de sapience, et même des prédications faites par elle, je n'ai point douté qu'avec cet œil de contemplation, elle n'eût ravi le cœur de son époux céleste; mais j'ai été également consolé quand je l'ai vue en la cuisine de son père tourner humblement la broche, attiser le feu, apprêter la viande, pêtrir le pain, et faire tous les plus bas offices de la maison avec un courage plein d'amour et de dilection envers son Dieu; et n'estime pas

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