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toujours la guerre ; si nous sommes longuement devant le confesseur, il demandera que c'est que nous pouvons tant dire; si nous y sommes peu, il dira que nous ne disons pas tout, il épiera tous nos mouvemens; et pour une seule petite parole de colère, il protestera que nous sommes insupportables; le soin de nos affaires lui semblera avarice, et notre douceur niaiserie : et quant aux enfans du monde, leurs colères sont générosités; leurs avarices, ménages; leurs privautés, entretiens honorables les araignées gâtent toujours l'ouvrage des abeilles.

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Laissons cet aveugle, Philothée; qu'il crie tant qu'il voudra comme un chat-huant pour inquiéter les oiseaux du jour soyons fermes en nos desseins, invariables en nos résolutions, la persévérance fera bien voir si c'est à certes et tout de bon, que nous sommes sacrifiés à Dieu et rangés à la vie dévote. Les comètes et les planètes sont presque également lumineuses en apparence; mais les comètes disparoissent en peu de temps, n'étant que de certains feux passagers, et les planètes ont une clarté perpétuelle. Ainsi l'hypocrisie et la vraie vertu ont beaucoup de ressemblance en l'extérieur; mais on reconnoît aisément l'une d'avec l'autre, parce que l'hypocrisie n'a point de durée, et se dissipe comme la

fumée en montant; mais la vraie vertu est tou jour ferme et constante. Ce ne nous est pas une petite commodité pour bien assurer le commencement de notre dévotion, que d'en recevoir de l'opprobre et de la calomnie; car nous évitons par ce moyen le péril de la vanité et de l'orgueil, qui sont comme les sagefemmes d'Égypte, auxquelles le Pharaon infernal a ordonné de tuer les enfans mâles d'Israel le même jour de leur naissance. Nous sommes crucifiés au monde, et le monde nous doit être crucifié : il nous tient pour fous, tenons-le pour insensé.

CHAPITRE II.

Qu'il faut avoir bon courage.

La lumière, quoique belle et desirable à nos yeux, les éblouit néanmoins après qu'ils ont été en des longues ténèbres; et devant que l'on se voie apprivoisé avec les habitans de quelques pays, pour courtois et gracieux qu'ils soient, on s'y trouve aucunement étonné. Il se pourra bien faire, ma chère Philothée, qu'à ce changement de vie plusieurs soulèvemens se feront en votre intérieur, et que ce grand et général adieu que vous avez dit aux

folies et niaiseries du monde, vous donnera quelque ressentiment de tristesse et découragement si cela vous arrive, ayez un peu de patience, je vous prie, car ce ne sera rien; ce n'est qu'un peu d'étonnement que la nouveauté vous apporte; passé cela, vous recevrez dix mille consolations. Il vous fâchera peut-être d'abord de quitter la gloire que les fous et moqueurs vous donnoient en vos vanités. Mais, ô Dieu ! voudriez-vous bien perdre l'éternelle que Dieu vous donnera en vérité. Les vains amusemens et passe-temps esquels vous avez employé les années passées, se représenteront encore à votre cœur pour l'apâter et faire retourner de leur côté; mais auriez-vous bien le courage de renoncer à cette heureuse éternité, pour de si trompeuses légèretés? Croyez-moi, si vous persévérez, vous ne tarderez pas de recevoir des douceurs cordiales si délicieuses et agréables, que vous confesserez que le monde n'a rien que du fiel en comparaison de ce miel; et qu'un seul jour de dévotion vaut mieux que mille années de la vie mondaine.

Mais Vous voyez que la montagne de la perfection chrétienne est extrêmement haute. Eh! mon Dieu ! ce dites-vous, comment pourrai-je monter? Courage, Philothée, quand les petits mouchons des abeilles commencent à

prendre forme, on les appelle nymphes, et lors ils ne sauroient encore voler sur les fleurs, ni sur les monts, ni sur les collines voisines pour amasser le miel; mais petit à petit se nourrissant du miel que leurs mères ont préparé, ces petites nymphes prennent des ailes et se fortifient, en sorte que par après ils volent à la quête par tout le paysage. Il est vrai, nous sommes encore de petits mouchons en la dévotion, nous ne saurions monter selon notre dessein, qui n'est rien moindre que d'atteindre à la cime de la perfection chrétienne; mais si nous commençons à prendre forme par nos desirs et résolutions, les ailes nous commencent à sortir, il faut donc espérer qu'un jour nous serons abeilles spirituelles, et que nous volerons; et tandis, vivons du miel de tant d'enseignemens que les anciens dévots nous ont laissés, et prions Dieu qu'il nous donne des plumes comme de colombe, afin que non-seulement nous puissions voler au temps de la vie présente, mais aussi nous reposer en l'éternité de la future.

CHAPITRE III.

De la nature des tentations, et de la différence qu'il y a entre sentir la tentation et consentir à icelle.

IMAGINEZ-VOUS, Philothée, une jeune princesse extrêmement aimée de son époux, et que quelque méchant pour la débaucher, et souiller son lit nuptial, lui envoie quelque infâme messager d'amour pour traiter avec elle son malheureux dessein. Premièrement, ce messager propose à cette princesse l'intention de son maître. Secondement, la princesse agrée ou désagrée la proposition et l'ambassade. En troisième lieu, ou elle consent, ou elle refuse. Ainsi, satan, le monde et la chair, voyant une ame épousée au Fils de Dieu, lui envoient des tentations et suggestions, par lesquelles, 1°. le péché lui est proposé; 2°. et sur icelle elle se plaît ou elle se déplaît ; 3°. enfin, elle consent ou elle refuse, qui sont en somme les trois degrés pour descendre à l'iniquité, la tentation, la délectation et le consentement; et bien que ces trois actions ne se connoissent pas si manifestement en toutes autres sortes de péchés, si est-ce qu'elles se

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