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connoissent palpablement aux grands et énormes péchés.

Quand la tentation de quelque péché que ce soit dureroit toute notre vie, elle ne sauroit nous rendre désagréables à la divine majesté, pourvu qu'elle ne nous plaise pas, et que nous n'y consentions pas; la raison est, parce qu'en la tentation nous n'agissons pas, mais nous souffrons; et puisque nous n'y prenons point plaisir, nous ne pouvons aussi en avoir aucune sorte de coulpe. S. Paul souffrit longuement les tentations de la chair; et tant s'en faut que pour cela il fût désagréable à Dieu, qu'au contraire Dieu étoit glorifié par icelles. La bienheureuse Angèle de Foligny sentoit des tentations charnelles si cruelles, qu'elle fait pitié quand elle les raconte : grandes furent aussi les tentations que souffrit saint François et S. Benoît, lorsque l'un se jeta dans les épines, et l'autre dans la neige pour les mitiger; et néanmoins ils ne perdirent rien de la grace de Dieu pour tout cela, ains l'augmentèrent de beaucoup.

Il faut donc être fort courageuse, Philothée, emmi les tentations, et ne se tenir jamais pour vaincue pendant qu'elles vous déplairont, en bien observant cette différence qu'il y a entre sentir et consentir, qui est qu'on les peut sentir encore qu'elles nous

déplaisent; mais on ne peut consentir sans qn'elles nous plaisent, puisque le plaisir pour l'ordinaire sert de degré pour venir au consentement. Que donc les ennemis de notre salut nous présentent tant qu'ils voudront d'amorces et d'appâts, qu'ils demeurent toujours à la porte de notre cœur pour entrer, qu'ils nous fassent tant de propositions qu'ils voudront; mais tandis que nous aurons résolution de ne point nous plaire en tout cela, il n'est pas possible que nous offensions Dieu, non plus que le prince, époux de la princesse que j'ai représentée, ne lui peut savoir mauvais gré du message qui lui est envoyé, si elle n'y a pris aucune sorte de plaisir. Il y a néanmoins cette différence entre l'ame et cette princesse pour ce sujet, que la princesse ayant ouï la proposition déshonnête, peut, si bon lui semble, chasser le messager, et ne le plus ouïr; mais il n'est pas toujours au pouvoir de l'ame de ne point sentir la tentation, bien qu'il soit toujours en son pouvoir de n'y point consentir : c'est pourquoi, encore que la tentation dure et persévère long-temps, elle ne peut nous nuire, tandis qu'elle nous est désagréable.

Mais quant à la délectation qui peut suivre la tentation, pour autant que nous avons deux parties en notre ame, l'une inférieure et

l'autre supérieure, et que l'inférieure ne suit pas toujours la supérieure, ains fait son cas à part : il arrive mainte fois que la partie inférieure se plaît en la tentation sans le consentement, ains contre le gré de la supérieure : c'est la dispute et la guerre que l'Apôtre saint Paul décrit, quand il dit que sa chair convoite contre son esprit, qu'il y a une loi des membres, et une loi de l'esprit, et semblables choses.

Avez-vous jamais vu, Philothée, un grand brasier de feu couvert de cendres ? quand on vient dix ou douze heures après pour y chercher du feu, on n'en trouve qu'un peu au milieu du foyer, et encore on a peine de le trouver. Il y étoit néanmoins, puisqu'on l'y trouve; et avec icelui on peut rallumer tous les autres charbons déjà éteints. C'en est de même de la charité qui est notre vie spirituelle, parmi les grandes et violentes tentations; car la tentation jetant sa délectation en la partie inférieure, couvre, ce semble, toute l'ame de cendre, et réduit l'amour de Dieu au petit pied; car il ne paroît plus en nulle part, sinon au milieu du cœur, au fin fond de l'esprit; encore semble-t-il qu'il n'y soit pas, et on a peine de le trouver. Il y est néanmoins en vérité, puisque quoique tout soit en trouble en notre ame et en notre corps, nous

avons la résolution de ne point consentir au péché ni à la tentation, et que la délectation, qui plaît à notre homme extérieur, déplaît à l'intérieur ; et quoiqu'elle soit tout autour de votre volonté, si n'est-elle pas dans icelle; en quoi l'on voit que telle délectation est involontaire, et étant telle, ne peut être péché.

CHAPITRE IV.

Deux beaux exemples sur ce sujet.

IL vous importe tant de bien entendre ceci, que je ne ferai nulle difficulté de m'étendre à l'expliquer. Le jeune homme duquel parle S. Jérôme, qui couché et attaché avec des écharpes de soie, bien délicatement, sur un lit mollet, étoit provoqué par toutes sortes de vilains attouchemens et attraits d'une impudique femme qui étoit couchée avec lui, exprès pour ébranler sa constance, ne devoit-il pas sentir d'étranges accidens ? ses sens ne devoient-ils pas être saisis de la délectation, et son imagination extrêmement occupée de cette présence des objets voluptueux ? Sans doute, et néanmoins parmi tant de troubles, emmi un si terrible orage de tentations, et entre tant de voluptés qui sont tout autour de lui, il témoigne que son cœur n'est point

vaincu, et que sa volonté n'y consent nullement; puisque son esprit voyant tout rebellé contre lui, et n'ayant plus aucune des parties de son corps à son commandement, sinon la langue, il se la coupa avec les dents, et la cracha sur le visage de cette vilaine ame, qui tourmentoit la sienne plus cruellement par la volupté, , que les bourreaux n'eussent jamais su faire par les tourmens aussi le tyran qui se défioit de la vaincre par les douleurs, pensoit la tourmenter par ces plaisirs.

L'histoire du combat de sainte Catherine de Sienne en un pareil sujet est du tout admırable en voici le sommaire. Le malin esprit eut congé de Dieu d'assaillir la pudicité de cette sainte vierge avec la plus grande rage qu'il pourroit, pourvu toutefois qu'il ne la touchât point: il fit donc toutes sortes d'impudiques suggestions à son cœur ; et pour tant plus l'émouvoir, venant avec ses compagrons en forme d'hommes et de femmes, il faisoit mille et mille sortes de charnalités et lubricités à sa vue, ajoutant des paroles et semonces très-déshonnêtes; et bien que toutes ces choses fussent extérieures, si est-ce que par le des sens, elles pénétroient bien avant dedans le cœur de la vierge, lequel, comme elle confessoit elle-même, en étoit tout plein, ne lui restant plus que la fine

moyen

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