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lui répondez jamais une seule parole, sinon celle que Notre-Seigneur lui répondit, avec laquelle il le confondit : Arrière, 6 satan ! tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et à lui seul serviras. Et comme la chaste femme ne doit répondre un seul mot, ni regarder en face le vilain poursuivant qui lui propose quelque déshonnêteté, mais le quittant tout court, doit à même instant retourner son cœur du côté de son époux, et rejurer la fidélité qu'elle lui a promise sans s'amuser à barguigner; ainsi l'ame dévote se voyant assaillie de quelque tentation, ne doit nullement s'amuser à disputer ni répondre; mais tout simplement se retourner du côté de Jésus-Christ son époux, et lui protester derechef de sa fidélité, et de vouloir être à jamais uniquement toute sienne.

CHAPITRE VI I I.

Qu'il faut résister aux menues tentations.

QUOIQU'IL faille combattre les grandes tentations avec un courage invincible, et que la victoire que nous en rapportons, nous soit extrêmement utile, si est-ce néanmoins qu'à l'aventure on fait plus de profit à bien combattre les petites; car comme les grandes surpassent en qualité, les petites aussi surpassent

si démesurément en nombre, que la victoire d'icelles peut être comparable à celle des plus grandes. Les loups et les ours sont sans doute plus dangereux que les mouches; mais si ne nous font-ils pas tant d'importunité et d'ennui, ni n'exercent pas tant notre patience. C'est chose bien aisée que de s'empêcher de meurtre; mais c'est chose difficile d'éviter les menues colères, desquelles les occasions se présentent à tout moment. C'est chose bien aisée à un homme ou à une femme de s'empêcher de l'adultère; mais ce n'est pas chose si facile de s'empêcher des œillades, de donner ou recevoir de l'amour, de procurer des graces et menues faveurs, de dire et recevoir des paroles de cajoleries. Il est bien aisé de ne point donner de corival au mari, ni de corivale à la femme quant au corps; mais il n'est pas si aisé de n'en point donner quant au cœur ; bien aisé de ne point souiller le lit de mariage, mais bien mal aisé de ne point intéresser l'amour du mariage; bien aisé de ne point dérober le bien d'autrui, mais mal aisé de ne point le muguetter et convoiter; bien aisé de ne point dire de faux témoignages en jugement, mais mal aisé de ne point mentir en conversation; bien aisé de ne point s'enivrer, mais mal aisé d'être sobre; bien aisé de ne point desirer la mort d'autrui, mais mal aisé de ne

point desirer son incommodité; bien aisé de ne le point diffamer, mais mal aisé de ne le point mépriser. Bref, ces menues tentations de colères, de soupçons, de jalousie, d'envie, d'amourettes, de folâtreries, de vanités, de duplicités, d'afféteries, d'artifices, de cogitations déshonnêtes, ce sont les continuels exercices de ceux même qui sont plus dévots et résolus ; c'est pourquoi, ma chère Philothée, il faut qu'avec grand soin et diligence nous nous préparions à ce combat ; et soyez assurée qu'autant de victoires que nous remportons contre ces petits ennemis, autant de pierres précieuses seront mises en la couronne de gloire que Dieu nous prépare en son paradis; c'est pourquoi je dis qu'attendant de bien et vaillamment combattre les grandes tentations, si elles viennent, il nous faut bien et diligemment défendre de ces menues et foibles attaques.

CHAPITRE IX.

Comme il faut remédier aux menues tentations.

OR donc, quant à ces menues tentations de vanité, de soupçon, de chagrin, de jalousie, d'envie, d'amourettes, et semblables tricheries, qui comme mouches et moucherons viennent passer devant nos yeux, et tantôt nous piquer sur la joue, tantôt sur le nez, parce qu'il est impossible d'être tout à fait exempt de leur importunité ; la meilleure résistance qu'on leur puisse faire, c'est de ne s'en point tourmenter; car tout cela ne peut nuire, quoiqu'il puisse faire de l'ennui, pourvu que l'on soit bien résolu de vouloir servir Dieu.

Méprisez donc ces menues attaques, et ne daignez pas seulement penser à ce qu'elles veulent dire; mais laissez-les bourdonner autour de vos oreilles tant qu'elles voudront, et courir çà et là autour de vous comme l'on fait des mouches; et quand elles viendront vous piquer, et que vous les verrez aucunement s'arrêter en votre cœur, ne faites autre chose que tout simplement les ôter; non point combattant contre elles ni leur répondant, mais faisant des actions contraires quelles qu'elles

soient, et spécialement de l'amour de Dieu; car si vous me croyez, vous ne vous opiniâtrerez pas à vouloir opposer la vertu contraire à la tentation que vous sentez, parce que ce seroit quasi vouloir disputer avec elles; mais après avoir fait une action de cette vertu directement contraire, si vous avez eu le loisir de reconnoître la qualité de la tentation, vous ferez un simple retour de votre cœur du côté de Jésus-Christ crucifié, et par une action d'amour en son endroit, vous lui baiserez les pieds. C'est le meilleur moyen de vaincre l'ennemi, tant és petites qu'ès grandes tentations; car l'amour de Dieu contenant en soi toutes les perfections de toutes les vertus, et plus excellemment que les vertus mêmes, il est aussi un plus souverain remède contre tous vices, et votre esprit s'accoutumant en toutes tentations de recourir à ce rendez-vous général, ne sera point obligé de regarder et examiner quelles tentations il a; mais simplement se sentant troublé, il s'accoisera en ce grand remède, lequel outre cela est si épouvantable au malin esprit, que quand il voit que ses tentations nous provoquent à ce divin amour, il cesse de nous en faire.

Et voilà quant aux menues et fréquentes tentations, avec lesquelles qui voudroit s'amuser par le menu, il se morfondroit et ne feroit rien.

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