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disoit David. Examinez plus d'une fois le jour, mais au moins le soir et le matin, si vous avez votre ame en vos mains, ou si quelque passion et inquiétude vous l'a point ravie. Considérez si vous avez votre cœur à votre commandement ou bien s'il n'est point échappé de vos mains pour s'engager à quelque affection déréglée d'amour, de haine, d'envie, de convoitise, de crainte, d'ennui et de joie. Que s'il s'est égaré, avant toutes choses cherchez-le, et le ramenez tout bellement en la présence de Dieu, remettant vos affections et desirs sous l'obéissance et conduite de sa divine volonté ; car comme ceux qui craignent de perdre quelque chose qui leur est précieuse, la tiennent bien serrée en leur main ; ainsi à l'imitation de ce grand roi, nous devons toujours dire: O mon Dieu! mon ame est au hasard, c'est pourquoi je la porte toujours en mes mains, et en cette sorte je n'ai point oublié votre sainte loi.

Ne permettez pas à vos desirs pour petits qu'ils soient et de petite importance, qu'ils vous inquiètent; car après les petits, les grands et les plus importans trouveroient votre cœur plus disposé au trouble et déréglement. Quand vous sentirez arriver l'inquiétude, recommandez-vous à Dieu, et résolvezvous de ne rien faire du tout de ce que votre

desir requiert de vous, que l'inquiétude ne soit totalement passée, sinon que ce fût chose qui ne se pût différer; et alors il faut avec un doux et tranquille effort retenir le courant de votre desir, l'attrempant et modérant tant qu'il vous sera possible; et sur cela faire la chose, non selon votre desir, mais selon la raison.

Si vous pouvez découvrir votre inquiétude à celui qui conduit votre ame, ou au moins à quelque confident et dévot ami, ne doutez point que tout aussi-tôt vous ne soyez accoisée; car la communication des douleurs du cœur fait le même effet en l'ame que la saignée fait au corps de celui qui est en fièvre continue, c'est le remède des remèdes. Aussi le roi S. Louis donna cet avis à son fils: Si tu as en ton cœur aucun mal-aise, dis-le incontinent à ton confesseur, ou à aucune bonne personne, et ainsi pourra son mal légèrement porter par le reconfort qu'il te donnera.

CHAPITRE X I I.

De la Tristesse.

La tristesse qui est selon Dieu, dit S. Paul, opère la pénitence pour le salut: la tristesse du monde opère la mort. La tristesse donc peut être bonne et mauvaise selon les diverses productions qu'elle fait en nous. Il est vrai qu'elle en fait plus de mauvaises que de bonnes; car elle n'en fait que deux bonnes, à savoir, miséricorde et pénitence; et il y en a six mauvaises, à savoir, angoisse, paresse, indignation, jalousie, envie et impatience; ce qui a fait dire au Sage: La tristesse en tue beau coup, et n'y a point de profit en icelle, parce que pour deux bons ruisseaux qui proviennent de la source de tristesse, il y en a six qui sont bien mauvais.

L'ennemi se sert de la tristesse pour exercer ses tentations à l'endroit des bons; car comme il tâche de faire réjouir les mauvais en leur péché, aussi tâche-t-il d'attrister les bons en leurs bonnes œuvres; et comme il ne peut procurer le mal qu'en le faisant trouver agréable, aussi ne peut-il détourner du bien qu'en le faisant trouver désagréable. Le malin se plaît en la tristesse et mélancolie, parce qu'il

est triste et mélancolique, et le sera éternellement, dont il voudroit que chacun fût comme lui.

La mauvaise tristesse trouble l'ame, la met en inquiétude, donne des craintes déréglées, dégoûte de l'oraison, assoupit et accable le cerveau, prive l'ame de conseil, de résolution, de jugement et de courage, et abat les forces. Bref, elle est comme un dur hiver qui fauche toute la beauté de la terre, et engourdit tous les animaux; car elle ôte toute suavité de l'ame, et la rend presque percluse et impuissante en toutes ses facultés.

Si jamais il vous arrivoit, Philothée, d'être atteinte de cette mauvaise tristesse, pratiquez les remèdes suivans. Quelqu'un est-il triste? dit S. Jacques, qu'il prie. La prière est un souverain remède, car elle élève l'esprit en Dieu, qui est notre unique joie et consolation; mais en priant, usez d'affection et paroles, soit intérieures, soit extérieures, qui tendent à la confiance et amour de Dieu, comme, ô Dieu de miséricorde! mon très-bon Dieu, mon Sauveur débonnaire, Dieu de mon cœur, ma joie, mon espérance, mon cher époux, le bien-aimé de mon ame et semblables.

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Contrariez vivement aux inclinations de la tristesse, et bien qu'il semble que tout ce que vous ferez en ce temps-là se fasse froidement,

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tristement et lâchement, ne laissez pourtant pas de le faire; car l'ennemi qui prétend de nous allanguir aux bonnes œuvres par la tristesse, voyant que nous ne laissons pas de les faire, et qu'étant faites avec résistance elles en valent mieux, il cesse de nous affliger.

Chantez des cantiques spirituels; car le malin a souvent cessé son opération par ce moyen, témoin l'esprit qui affligeoit ou possédoit Saül, duquel la violence étoit réprimée par la psalmodie.

Il est bon de s'employer aux œuvres extérieures, et les diversifier le plus que l'on peut, pour divertir l'ame de l'objet triste, purifier et échauffer les esprits, la tristesse étant une passion de la complexion froide et sèche.

Faites des actions extérieures de ferveur, quoique sans goût, embrassant l'image du crucifix, la serrant sur la poitrine, lui baisant les pieds et les mains, levant vos yeux et vos mains au ciel, élançant votre voix en Dieu par des paroles d'amour et de confiance, comme sont celles-ci: Mon bien-aimé est à moi, et moi à lui; mon bien-aimé m'est un bouquet de myrrhe, il demeurera entre mes mamelles. Mes yeux se fondent sur vous, 6 mon Dieu ! disant, quand me consolerezvous ? ô Jésus! soyez-moi Jésus: vive Jésus !

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