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courses en la terre et pour la terre. Les gens de bien, qui n'ont pas encore atteint la dévotion, volent en Dieu par leurs bonnes actions, mais rarement, lentement et pesamment : les personnes dévotes volent en Dieu fréquemment, promptement et hautement. Bref, la dévotion n'est autre chose qu'une agilité et vivacité spirituelle, par le moyen de laquelle la charité fait ses actions en nous, ou nous par elle promptement et affectionnément ; et comme il appartient à la charité de nous faire généralement et universellement pratiquer tous les commandemens de Dieu, il appartient aussi à la dévotion de nous les faire faire promptement et diligemment. C'est pourquoi celui qui n'observe tous les commandemens de Dieu, ne peut être estimé ni bon ni dévot, puisque pour être bon, il faut avoir la charité, et pour être dévot, il faut avoir, outre la charité, une grande vivacité et promptitude aux actions charitables.

Et d'autant que la dévotion gît en certain degré d'excellente charité, non-seulement elle nous rend prompts, actifs et diligens à l'observation de tous les commandemens de Dieu; mais outre cela, elle nous provoque à faire promptement et affectionnément le plus de bonnes œuvres que nous pouvons, encore qu'elles ne soient aucunement commandées,

ains seulement conseillées ou inspirées; car tout ainsi qu'un homme qui est nouvellement guéri de quelque maladie, chemine autant qu'il lui est nécessaire, mais lentement et pesamment de même le pécheur étant guéri de son iniquité, il chemine autant que Dieu lui commande, pesamment néanmoins, et lentement, juques à tant qu'il ait atteint la dévotion; car alors comme bien sain, non-seulement il chemine, mais il court et saute en la voie des commandemens de Dieu, et de plus il passe et court dans les sentiers des conseils et inspirations célestes. Enfin la charité et la dévotion ne sont non plus différentes l'une de l'autre, que la flamme l'est du feu, d'autant que la charité étant un feu spirituel, quand elle est fort enflammée, elle s'appelle dévotion: si que la dévotion n'ajoute rien au feu de la charité, sinon la flamme qui rend la charité prompte, active et diligente, non-seulement à l'observation des commandemens de Dieu, mais à l'exercice des conseils et inspi rations célestes.

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CHAPITRE II.

Propriété et excellence de la dévotion. CEUX qui décourageoient les Israélites d'aller en la terre de promission, leur disoient que c'étoit un pays qui dévoroit les habitans, c'està-dire, que l'air y étoit si malin, qu'on n'y pouvoit vivre longuement, et que réciproquement les habitans étoient des gens si prodigieux, qu'ils mangeoient les autres hommes comme des locustes. Ainsi le monde, ma chère Philothée, diffame tant qu'il peut la sainte dévotion, dépeignant les personnes dévotes avec un visage fâcheux, triste et chagrin, et publiant que la dévotion donne des humeurs mélancoliques et insupportables; mais comme Josué et Caleb protestoient que non-seulement la terre promise étoit bonne et belle, ains aussi que la possession en seroit douce et agréable: de même, le Saint-Esprit par la bouche de tous les saints, et Notre-Seigneur par la sienne même, nous assure que la vie dévote est une vie douce, heureuse et amiable.

Le mondevoit que les dévots jeûnent, prient, et souffrent injures, servent les malades, donnent aux pauvres, veillent, contraignent leur colère, suffoquent et étouffent leurs passions, se privent des plaisirs sensuels, et font

telles et autres sortes d'actions, lesquelles en elles-mêmes, et de leur propre substance et qualité, sont âpres et rigoureuses. Mais le monde ne voit pas la dévotion intérieure et cordiale, laquelle rend toutes ces actions agréables, douces et faciles. Regardez les abeilles sur le thym, elles y trouvent un suc fort amer; mais en le suçant elles le convertissent en miel, parce que telle est leur propriété. O mondain ! les ames dévotes trouvent beaucoup d'amertumes en leurs exercices de mortification; il est vrai, mais en les faisant elles les convertissent en douceur et suavité : les feux, les flammes, les roues, les épées, sembloient des fleurs et des parfums aux martyrs, parce qu'ils étoient dévots. Que si la dévotion peut donner de la douceur aux plus cruels tourmens, et à la mort même, qu'est-ce qu'elle fera pour les actions de la vertu ? Le sucre adoucit les fruits mal mûrs, et corrige la crudité et nuisance de ceux qui sont bien mûrs. Or, la dévotion est le vrai sucre spirituel qui ête l'amertume aux mortifications, et la nuisance aux consolations : elle ôte le chagrin aux pauvres, et l'empressement aux riches; la désolation à l'oppressé, et l'insolence au favorisé; la tristesse aux solitaires, et la disso❤ lution à celui qui est en compagnie : elle serv de feu en hiver, et de rosée en été ; elle sait

abonder et souffrir pauvreté; elle rend égale ment utiles l'honneur et le mépris; elle reçoit le plaisir et la douleur avec un cœur presque toujours semblable, et nous remplit d'une suavité merveilleuse.

Contemplez l'échelle de Jacob (car c'est le vrai portrait de la vie dévote). Les deux côtés entre lesquels on monte, et auxquels les échelons se tiennent, représentent l'oraison qui impètre l'amour de Dieu, et les sacremens qui le confèrent les échelons ne sont autre chose que les divers degrés de charité, par lesquels l'on va de vertu en vertu, ou descendant par l'action au secours et support du prochain, ou montant par la contemplation en l'union amoureuse de Dieu. Or voyez, je vous prie, ceux qui sont sur l'échelle, ce sont des hommes qui ont des cœurs angéliques, ou des anges qui ont des corps humains. Ils ne sont pas jeunes; mais ils le semblent être, parce qu'ils sont pleins de vigueur et agilité spirituelle. Ils ont des ailes pour voler, et s'élancent en Dieu par la sainte oraison; mais ils ont des pieds aussi pour cheminer avec les hommes par une sainte et amiable conversation; leurs visages sont beaux et gais, d'autant qu'ils reçoivent toutes choses avec douceur et suavité; leurs jambes, leurs bras et leurs têtes sont tout à découvert, d'autant

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