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CHAPITRE III.

oclamation d'Omer-Pacha.

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Bataille d'Oltenitza. Mouvement des flottes française et anglaise. Massacre de Sinope. Entrée des flottes française et · Premières hostilités en Asie. Affaire de Citaté. anglaise dans la mer Noire. Entrée des Russes dans la Drobrutcha. Siége de Silistric. Déclaration de la reine d'Angleterre à son Parlement. Lettre de l'empereur Napoléon III au czar Nicolas.-Réponse du czar.-Déclaration de guerre de la France et de l'Angleterre à la Russie.

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Les Turcs, dont la Russie et ses partisans s'étaient tant efforcés, depuis longtemps, de rabaisser les qualités militaires, devaient donner bientôt un éclatant et glorieux démenti à leurs détracteurs. Plein de foi en son génie, en la justice de la cause qu'il est chargé de défendre, OmerPacha (1) se prépare à prendre l'offensive, et il adresse à son armée cette proclamation remarquable, qui eût suffi pour enthousiasmer les plus timides:

⚫ Soldats impériaux !

• Quand nous combattrons notre ennemi, fermes et courageux, nous ne fuirons pas, et, pour nous venger de lui, nous sacrifierons notre tête et notre âme. Voyez le Coran; nous l'avons juré sur le Coran. Vous êtes musulmans et je

(1) Voir plus loin, à la partie biographique de cet ouvrage, la notice historique sur ce grand homme de guerre.

ne doute pas que vous ne sacrifiiez votre tête et votre âme pour la religion et pour le gouvernement.

< Mais s'il est parmi vous un seul homme qui ait peur de la guerre, qu'il le dise; car il est trop périlleux de se présenter à l'ennemi avec de tels hommes. La peur est une maladie du cœur. Celui qui a peur sera employé dans les hôpitaux et à d'autres services; mais plus tard quiconque tournera le dos à l'ennemi sera fusillé.

Les hommes courageux qui veulent, au contraire, s'immoler pour la religion et pour le trône, qu'ils restent. Leur cœur est uni à Dieu, fidèle à la religion, et s'ils se montrent valeureux, Dieu leur donnera la victoire.

<< Soldats! purifions notre cœur, et puis confions-nous dans l'assistance de Dieu !

< Combattons et faisons le sacrifice de nous-mêmes comme nos aïeux, et comme ils nous ont légué notre patrie et notre religion, nous devons les léguer à nos fils.

« Vous savez tous que le but de cette vie est de servir dignement Dieu et le sultan, et de gagner ainsi le ciel.

« Soldats, quiconque a de l'honeur doit penser et servir dans ces sentiments. Dieu nous protége!

« Le muchir OMER-PACHA.>

Électrisés par cette énergique allocution, les dix mille Turcs qui occupent le camp de Tourtoukaï reçoivent, le 2 novembre 1853, l'ordre de se tenir prêts à se mettre en marche. Le lendemain, avant le point du jour, la prière se fait dans le camp; puis, aux premières lueurs de l'aube, dix mille hommes sortent sans bruit de leurs retranchements, s'avancent en colonnes serrées vers le Danube, s'élancent sur les barques qui les attendent, et se dirigent résolûment vers le village d'Oltenitza, situé sur l'autre rive et occupé par les Russes qui ouvrent aussitôt un feu terrible sur les assaillants.

Les Turcs ne s'en émeuvent pas ; ils continuent de s'avancer en bon ordre, et, fidèles à leur résolution d'obéir jusqu'à la mort à leur brave général, ceux qu'atteignent les balles, les boulets et la mitraille tombent sans pousser un cri, sans que la moindre plainte se fasse entendre dans les rangs.

Bientôt les barques ne sont plus qu'à une faible distance de la rive défendue par les Russes; quelques-unes même y touchent: alors, avec un admirable élan, les Turcs qui montent les plus éloignées s'élancent dans le fleuve; puis, dans, l'eau jusqu'aux reins, quelques-uns même jusqu'aux épaules, ils ouvrent le feu en s'avançant vers la rive, qu'ils atteignent intrépidement, et, malgré le feu des Russes, devenu plus meurtrier à mesure que les Ottomans s'avancent, ces derniers s'emparent des bâtiments dits de la Quarantaine, s'y établissent et s'y défendent avec tant de vigueur que tous les efforts des Russes sont impuissants à les en déloger.

En même temps une partie des troupes ottomanes montées sur les dernières barques, s'emparait d'une petite île située en face d'Oltenitza et y établissait des batteries dont le feu bien dirigé ne tarda pas à faire taire celui de leurs adversaires.

Après trois heures de combat, les Russes commencent de toutes parts à battre en retraite, et cette retraite est tellement précipitée qu'elle semble ne pouvoir tarder à se transformer en une déroute complète, lorsqu'un renfort de douze mille hommes leur arrive sous la conduite du général Dannenberg.

Grâce à ce secours, les Russes s'arrêtent, parviennent à prendre position, et le 4 au matin le général Pavloff, qui commande les forces réunies, se dispose à reprendre l'offensive. Mais de son côté Omer-Pacha avait pris toutes ses dispositions pour le cas où il serait attaqué, et tel était l'enthousiasme de ses soldats exaltés par le succès que tous,

malgré leur infériorité numérique, brûlaient du désir d'en venir aux mains pour la seconde fois.

Au lever du soleil, le canon russe se fait entendre; les Turcs y répondent d'abord faiblement; attirés par cette défense en apparence si molle, les soldats de Pavloff s'avancent avec confiance; mais tout à coup un feu terrible de mousqueterie part des lignes ottomanes, et l'artillerie d'OmerPacha tonne avec fureur. Les Turcs manœuvrent avec tant d'ensemble, à la voix de leur général, qu'ils semblent se multiplier et font face sur tous les points, et que les Russes, se trouvant tout à coup pris entre deux feux, cherchent leur salut dans la fuite; écrasées par la mitraille, leurs colonnes se jettent dans un marais, seul chemin qui leur soit ouvert. Cette fois leur déroute fut complète; ils laissèrent le terrain jonché de cadavres et littéralement couvert d'armes, que les fuyards avaient jetées pour s'éloigner plus rapidement.

Tandis que cela se passait, la France et l'Angleterre ne restaient pas inactives; à la première nouvelle de l'envahissement de la Valachie et de la Moldavie par les Russes, Napoléon III avait ordonné à sa flotte de la Méditerranée de se rendre dans les eaux de Salamine, en même temps que la flotte anglaise se concentrait à Malte. Le 27 novembre 1853, ces deux flottes réunies franchissaient les Dardanelles sous le commandement de l'amiral Hamelin pour les Français et de l'amiral Dundas pour les Anglais. Ce même jour (27 novembre) les Russes commençaient, sur l'ordre du czar Nicolas, l'accomplissement d'un acte de férocité et de barbarie tel qu'il n'a point d'exemple dans les annales de la guerre: le massacre de Sinope. Voici dans quelles circonstances s'accomplit cet épouvantable attentat.

L'empereur Nicolas, dans son semblant d'hypocrite modération, avait déclaré, en recevant la déclaration de guerre

de la Porte, que, les négociations n'étant pas rompues avec les grandes puissances occidentales, il resterait sur la défensive, et que tant que les négociations dureraient la flotte de la mer Noire ne se livrerait à aucun acte d'hostilité. Cette déclaration avait été communiquée à l'amiral turc OsmanPacha, commandant la flottille turque dans ces parages, la-' quelle se bornait, selon ses instructions, à entretenir les communications entre Constantinople et l'armée turque d'Anatolie.

Voici maintenant ce qui arriva, d'après les rapports les plus authentiques:

Le 27 novembre, cette flottille était mouillée dans la rade de Sinope, attendant un vent favorable pour reprendre la mer, lorsque deux vaisseaux de ligne et un brick russe vinrent la reconnaître en s'avançant à demi-portée de canon. Osman-Pacha aurait pu demander du secours aux flottes alliées, qui étaient peu éloignées; mais la reconnaissance s'étant faite pacifiquement, il crut n'avoir rien à craindre, et il resta au mouillage sans même songer à prendre position pour le cas où il serait attaqué. Il était encore dans la même situation lorsque le 30 novembre, vers le milieu du jour, une escadre russe lui fut signalée; elle était composée de six vaisseaux de ligne, deux frégates et trois bateaux à vapeur, et suivie à distance de quatre frégates et de plusieurs autres bâtiments. Cette escadre, six fois plus forte que la flottille turque, était commandée par l'amiral Nakimoff.

Osman-Pacha sentait bien qu'il ne pouvait compter sur l'appui de la ville de Sinope, dont les batteries, vieilles, mal situées et mal construites, auraient vainement tenté de lui être en aide; mais, comme je viens de le dire, il ne s'émut d'aucune de ces circonstances, tant il était convaincu qu'on ne songeait pas à l'attaquer. Il devait pourtant en être tout autrement, et bientôt Nakimoff, après avoir fait prendre posi

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