730579-190 LES FASTES DE LA GUERRE CHAPITRE PREMIER. Véritables causes de la guerre d'Orient entre les puissances cccidentales et la Russie. Testament de Pierre Ir. Esprit envahissant de la Russie. - Hosti lités permanentes de la Russie contre l'empire ottoman. Catherine II et Souvarow. Paul Ier. Alexandre Ier. Étendue et population actuelle de la - Napoléon et Talleyrand. - Nicolas prononce l'arrêt - Ruse et duplicité du cabinet russe. de mort de l'empire ottoman. 'La guerre qui se poursuit aujourd'hui en Orient, où la civi lisation s'efforce si glorieusement de repousser l'invasion de a barbarie, est et restera un des plus grands événements des temps modernes; car ce n'est pas seulement de l'indépendance de l'empire turc et des puissances occidentales qu'il s'agit, c'est de l'indépendance du monde entier, audacieusement menacée. On l'a dit, et on ne saurait trop le répéter, cette guerre n'est pas née d'un malentendu, d'une contestation fortuite ou d'événements inattendus; sa cause est dans la politique envahissante de la Russie, politique inaugurée il y a près d'un siècle et demi par Pierre I et suivie jusqu'à nos jours par ses successeurs avec une persévérance sans exemple et presque incroyable, ainsi qu'il est facile d'en juger par le testament de ce prince qu'on appelle e Grand et que son humeur sanguinaire eût dû faire surnommer le Cruel. Voici les principaux passages de cet important document: « Le grand Dieu de qui nous tenons notre existence et notre couronne, nous ayant constamment éclairé de ses lumières et soutenu de son divin appui, me permet de regarder le peuple russe comme appelé par l'avenir à la domination générale de l'Europe. Je fonde cette pensée sur ce que les nations européennes sont arrivées, pour la plupart, à un état de vieillesse voisin de la caducité, ou qu'elles y marchent à grands pas. Il s'ensuit donc qu'elles doivent être facilement et indubitablement conquises par un peuple jeune et neuf quand ce dernier aura acquis toute sa force et toute sa croissance. Je regarde l'invasion future des pays de l'Occident et de l'Orient par le Nord comme un mouvement périodique arrêté par les desseins de la Providence, qui a ainsi régénéré le peuple romain par l'invasion des barbares. «... J'ai trouvé la Russie rivière, je la laisse fleuve; mes successeurs en feront une grande mer..... c'est pourquoi je leur laisse les enseignements suivants : " Diviser la Pologne en y entretenant le trouble et les jalousies continuelles; gagner les puissants à prix d'or; influencer les diètes, les corrompre, afin d'avoir action sur l'élection des rois; y faire nommer ses partisans, les protéger; y faire entrer et séjourner les troupes russes jusqu'à ce que se présente l'occasion d'y demeurer tout à fait. Si les puissances voisines opposent des difficultés, les apaiser momentanément en leur donnant une partie du pays, jusqu'à ce qu'on puisse reprendre ce qui aura été donné. « Prendre le plus qu'on pourra à la Suède, et savoir se faire attaquer par elle pour avoir le prétexte de la subjuguer. ..... S'étendre sans relâche dans le Nord, le long de la mer Baltique, ainsi que vers le Sud, le long de la mer Noire. Approcher le plus possible de Constantinople et des Indes: celui qui y régnera sera le souverain du monde. En conséquence, susciter des guerres continuelles tantôt au Turc, tantôt à la Perse; établir des chantiers sur la mer Noire; s'emparer peu à peu de cette mer ainsi que de la Baltique, ce qui est un double point nécessaire à la réussite du projet; hâter la décadence de la Perse, pénétrer jusqu'au golfe Persique; rétablir, si c'est possible, par la Syrie, l'ancien commerce du Levant, et avancer jusqu'aux Indes, qui sont l'entrepôt du monde. Une fois là, on pourra se passer de l'or de l'Angleterre. « S'attacher à réunir autour de soi tous les Grecs schismatiques qui sont répandus soit dans la Hongrie, soit dans le midi de la Pologne; se faire leur centre, leur appui, et établir d'avance la prépondérance universelle par une sorte de royauté ou de suprématie sacerdotale (1). Ce seront autant d'amis qu'on aura chez chacun de ses ennemis. « La Suède démembrée, la Perse vaincue, la Pologne subjuguée, la Turquie conquise, nos armées réunies, la mer Noire et la mer Baltique gardées par nos vaisseaux, il faut alors proposer séparément et secrètement, d'abord à la cour de Versailles, puis à celle de Vienne, de partager avec elles l'empire de l'univers (2). Si l'une des deux accepte, ce qui (1) C'est ainsi que les czars sont devenus les chefs suprêmes de l'Église schismatique fondée par Photius. Ce pouvoir spirituel est délégué d'ordinaire à quelque fonctionnaire de second ordre; c'est ainsi que l'Église russe a aujourd'hui pour chef un général de cavalerie. NOEL SEGUR. (2) Cette prescription de Pierre Ier a été, dans ces derniers temps, modifiée par le czar Nicolas : ce n'est pas à la France et à l'Autriche qu'il a offert le partage du monde; mais c'est à la France seule d'abord, et à l'Angleterre ensuite à la France il offrait l'Egypte; à l'Angleterre il est immanquable en flattant leur amour-propre et leur ambition, il faut se servir d'elle pour écraser l'autre ; puis écraser à son tour celle qui demeurera en engageant avec elle une lutte qui ne saurait être douteuse, la Russie possédant déjà en propre tout l'Orient et une grande partie de l'Europe. « Si, ce qui n'est pas probable, chacune d'elles refusait l'offre de la Russie, il faudrait savoir leur susciter des querelles, et les faire s'épuiser l'une par l'autre. Alors, profitant d'un moment décisif, la Russie ferait fondre ses troupes, rassemblées d'avance, sur l'Allemagne, en même temps que deux flottes considérables partiraient l'une de la mer d'Azof et l'autre du port d'Archangel, chargées de hordes asiatiques, sous le convoi des flottes armées de la mer Noire et de la Baltique. S'avançant par la Méditerranée et l'Océan, elles inonderaient la France d'un côté tandis que l'Allemagne le serait de l'autre ; et, ces deux contrées vaincues, le reste de l'Europe passerait facilement et sans coup férir sous le joug. Ainsi pent et doit être subjuguée l'Europe (1). Ainsi que je l'ai dit plus haut, ce programme n'a cessé offrait Candie... sauf à reprendre le tout plus tard, d'après les errements tracés par Pierre Ier. Déjà un partage semblable avait été offert par l'empereur Alexandre à Napoléon Ier après la paix de Tilsitt. La suite a prouvé que Nicolas et Alexandre avaient voulu vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué; et c'est là, si nous sommes bien informé, un des grands chagrins aujourd'hui d'Alexandre II. (1) Les partisans de la Russie ont cherché à mettre en doute l'authenticité de ce document, qui montre à nu la politique des czars; c'était de la mauvaise foi mise au service d'une mauvaise cause. L'autographe de ce testament a été solennellement déposé, après la mort de Pierre Ier, dans les archives du palais de Péterhof, près de Saint-Pétersbourg, où un grand nombre d'étrangers l'ont vu et lu et où il se trouvait encore en 1854. Il a été, depuis un siècle, cité par plusieurs historiens, et Mme de Krud ner elle-même, cette amante mystique d'Alexandre Ier, a déclaré l'avoi lu tout entier à plusieurs reprises. (Note de l'Éditeur.) |