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qui annoncent ce que sont les hommes, et la sienne n'avoit rien que de grand à annoncer. Il étoit d'une taille avantageuse et bien proportionnée, et il avoit pour tous les exercices du corps un goût et une adresse qui l'avoient servi dans plusieurs occasions. Son tempérament le portoit à la tristesse, ou du moins à une espèce de mélancolie qui ne lui permettoit pas de se prêter à toutes les conversations; et l'habitude qu'il avoit de s'occuper de grands projets l'entretenoit dans cette indifférence pour les choses dont la plupart des gens s'occupent. Souvent, après lui avoir parlé long-temps, on s'apercevoit qu'il n'avoit ni écouté ni entendu. Son esprit étoit cependant vif et juste; personne ne sentoit mieux que lui tout ce qui étoit nécessaire pour faire réussir une entreprise, ou ce qui pouvoit la faire manquer; aucune des circonstances ne lui échappoit. Lorsqu'il projetoit, il sembloit qu'il ne comptât pour rien sa valeur, et qu'il ne dût réussir qu'à force de prudence; lorsqu'il exécutoit, il paroissoit pousser la confiance jusqu'à la témérité.

M. Duguay avoit, comme on a pu voir dans ses Mémoires, certaines opinions singulières sur la prédestination et les pressentimens. S'il est vrai que ces opinions peuvent contribuer à la sécurité dans les périls, il est vrai aussi qu'il n'y a que les ames très-courageuses chez qui elles puissent s'établir assez pour les faire agir conséquemment.

Le caractère de M. Duguay étoit tel qu'on auroit pu le désirer dans un homme dont il auroit fait tout le mérite jamais homme n'a porté les sentimens d'honneur à un plus haut point; et jamais homme n'a été d'un commerce plus sûr et plus doux. Jamais ni ses

actions ni leurs succès n'ont changé ses mœurs. Dans sa plus grande élévation, il vivoit avec ses anciens amis comme il eût fait s'il n'eût eu que le même mérite et la même fortune qu'eux : il seroit cependant subitement passé de cette simplicité à la plus grande hauteur, avec ceux qui auroient voulu prendre sur lui quelque air de supériorité qu'ils n'auroient pas méritée. Il étoit prêt alors à regarder sa gloire comme une partie du bien de l'Etat, et à la soutenir de la manière la plus vive. C'est par ces qualités qu'il s'est toujours fait aimer et considérer dans le corps de la marine, où il y a un si grand nombre d'officiers distingués par leur valeur et par leur naissance.

On a reproché à M. Duguay un peu de dureté dans la discipline militaire. Connoissant combien cette discipline est importante, et craignant trop de ne pas parvenir à son but, peut-être avoit-il tiré un peu audessus pour l'atteindre.

M. Duguay possédoit une vertu que nous devons d'autant moins passer sous silence, qu'on ne la croit peut-être pas assez liée aux autres vertus des héros. Il étoit d'un tel désintéressement, qu'après tant de vaisseaux pris, et une ville du Brésil réduite sous sa puissance, il n'a laissé qu'un bien médiocre, quoique sa dépense ait toujours été bien réglée.

Il n'a jamais aimé ni le vin ni la table; il eût été à souhaiter qu'il eût eu la même retenue sur un des autres plaisirs de la vie; mais ne pouvant résister à son penchant pour les femmes, il ne s'étoit attaché qu'à éviter les passions fortes et longues, capables de trop occuper le cœur.

LETTRES DE NOBLESSE

DE L. TROUIN DE LA BARBINAIS, ET R. TROUINDUGUAY.

(Voyez page 399 de ces Mémoires.)

Louis, par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre, à tous présens et à venir, salut. Aucune récompense ne touchant plus ceux de nos sujets qui se distinguent par leur mérite que celles qui sont honorables, et passent à leur postérité, nous avons bien voulu accorder nos lettres d'anoblissement à nos chers et bien amés Luc Trouin de La Barbinais et René Trouin-Duguay, capitaine de vaisseau. Ces deux frères, animés par l'exemple de leur aïeul et de leur père, qui ont utilement servi pendant longues années dans la place de consul de la nation française à Malgue, n'ont rien oublié pour mériter la grâce que nous voulons aujourd'hui leur départir. Lesieur Luc Trouin de La Barbinais, après nous avoir aussi servi dans la même place de consul à Malgue, et y avoir soutenu nos intérêts et ceux de la nation avec tout le zèle et la fidélité qu'on pouvoit désirer, s'adonna particulièrement, en notre ville et port de Saint-Malo, à armer des vaisseaux, tant pour l'avantage du commerce de nos sujets que pour troubler celui de nos ennemis; et ces armemens ont été portés jusqu'à un tel point, qu'étant commandés par ses frères, ils ont eu tous les

succès qu'on devoit attendre de braves officiers, deux de sesdits frères ayant été tués en combattant glorieusement pour l'honneur de la nation; ce que ledit sieur de La Barbinais a soutenu avec une grande dépense, préférant toujours le bien de notre service à ses intérêts: en sorte que jusqu'à présent il a, par ses soins, par son propre bien et son crédit, tenu en mer des escadres considérables de vaisseaux, tant pour le commerce que pour faire la guerre aux ennemis. C'est dans le commandement de ces vaisseaux et de ces escadres entières que ledit René Trouin-Duguay son frère a montré qu'il est digne des grâces les plus honorables; car en 1689, n'ayant encore que quinze ans, il commença à servir volontaire sur un vaisseau corsaire de dix-huit canons. Il donna les premières preuves de sa valeur à la prise d'un vaisseau flessinguois de même force, dont ledit corsaire se rendit maître après deux heures de combat. Il se distingua de même en servant, sur un autre corsaire de vingt-six canons, à l'attaque d'une flotte de quatorze navires anglais de différentes forces, que le commandant dudit vaisseau se résolut d'attaquer, sur les vives instances dudit sieur Duguay. Aussi, étant rempli d'ardeur et de bonne volonté, il sauta le premier à bord du commandant ennemi, qui fut enlevé; et son activité en cette occasion fut telle, qu'après la prise de celui-là il se trouva encore le premier à l'abordage d'un des plus gros navires de la même flotte. Ses campagnes de 1691, 1693 et 1694 furent marquées par une descente qu'il fit dans la rivière de Limerick, où il prit un brûlot, trois bâtimens, et enleva deux vaisseaux anglais qui escortoient une flotte, et prit aussi un vais

seau de quatre hollandais, qu'il attaqua avec une de nos frégates, dont nous lui avions confié le commandement. Il acquit même beaucoup de gloire dans le commandement de cette même frégate, quoiqu'il se vît réduit à céder et se rendre à quatre vaisseaux anglais, contre lesquels il combattit pendant quatre heures, et y fut dangereusement blessé et s'étant évadé des prisons d'Angleterre par une entreprise hardie, cette même année 1694 ne se passa pas sans qu'il donnât de nouvelles marques de sa valeur, ayant, avec un de nos vaisseaux de quarante-huit canons, attaqué et pris deux vaisseaux anglais de trentesix et quarante-six canons, après un combat de deux jours; et peu de temps après il prit trois vaisseaux venant des Indes, richement chargés. En 1695, se servant d'un vaisseau qu'il avoit pris la campagne précédente, et d'une autre frégate commandée par un de ses frères, il fit une descente près du port de Vigo, brûla un gros bourg, enleva deux prises considérables qu'il amena en France, après avoir perdu son frère en cette occasion, et avoir défendu ces deux prises contre l'avant-garde des ennemis. Le baron de Wassenaër, à présent vice-amiral d'Hollande, qui commandoit en 1696 trois vaisseaux hollandais, escortant une flotte de vaisseaux marchands de la même nation, éprouva la valeur dudit sieur Trouin-Duguay, qui le combattit à forces inégales; et cependant se rendit maître du vaisseau que ledit sieur de Wassenaër commandoit, et d'une partie de la flotte qui étoit sous son escorte. La guerre présente ayant commencé, il eut le commandement d'une de nos frégates de trente-six canons, et prit un vaisseau hollandais de

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