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talent extraordinaire pour tout ce qui peut aller au bien de la fociété humaine. En effet, Mercure forma le premier une langue exacte & réglée, des dialectes groffiers & incertains dont on fe fervoit; il impofa des noms à une infinité de chofes d'ufage qui n'en avoient point; il inventa les premiers caracteres, & régla jufqu'à l'harmonie des mots & des phrafes; il inftitua plufieurs pratiques touchant les facrifices & les autres parties du culte des Dieux, & il donna aux hommes les premiers principes de l'astronomie. Il leur propofa enfuite pour divertiffement la lutte & la danse, & leur fit concevoir quelle force & même quelle grace le corps humain peut tirer de ces exercices. Il imagina la lyre, dans laquelle il mit trois cordes, par allusion aux trois faifons de l'année : car ces trois cordes rendant trois fons, le grave, l'aigu & le moyen, le grave répond à l'hiver, le moyen au printemps, & l'aigu à l'été. C'est lui qui apprit l'interprétation ou l'élocution aux Grecs qui pour cette raifon l'ont appellé Hermès ou Interprete: il a été le confident & l'ame du confeil d'Ofiris, qui lui communiquoit tous fes fecrets, & qui faifoit un grand cas de fes confeils. C'eft enfin lui qui, felon les Egyptiens, a planté l'olivier, que les Grecs croient devoir à Minerve.

Ofiris étant né bienfaisant & amateur de la gloire, assembla, dit-on, une grande armée dans le deffein de parcourir la terre pour y porter toutes fes découvertes, & fur-tout l'ufage du bled & du vin, jugeant bien qu'ayant tiré les hommes de leur premiere férocité, & leur ayant fait goûter une fociété douce & raifonnable, il participeroit aux honneurs des Dieux; ce qui arriva en effet car non-feulement les hommes qui reçurent de fa main ces divins préfens, mais leurs defcendans même ont regardé comme les plus grands des Dieux ceux auxquels ils devoient leur nourriture. Avant que de partir, il laiffa à Ifis l'adminiftration générale de fon Etat déja parfaitement réglé ; il lui donna pour Confeiller & pour Miniftre Hermès, le plus fage & le plus fidele de fes amis, & pour Général de fes troupes Hercule, qui tenoit à lui la naiffance, homme d'ailleurs d'une valeur & d'une force de corps prodigieufe. Il établit auffi Bufiris & Antée pour Gouverl'un de tout le pays maritime qui est tourné vers la Phénicie, & l'autre des lieux voifins de l'Ethiopie & de la Libye. Toutes chofes étant ainfi difpofées, il fe mit en marche à la tête de fes armées, emmenant avec lui fon frere, que les Grecs nom

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neurs,

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ment Apollon. Ofiris fut auffi accompagné dans cette expédition de deux de fes fils, Anubis & Macédon. Il prit encore avec lui Pan, fort refpecté dans le pays. — Il fe fit fuivre enfin deux hommes experts en agriculture; l'un nommé Maron, qui s'entendoit parfaitement à la vigne; & l'autre appellé Triptoleme, qui favoit tout ce qui regarde les bleds & le labourage. Tout étant prêt, & Ofiris ayant fait un vou folemnel de ne fe point rafer la tête qu'il ne fût revenu dans fa patrie, il prit fon chemin par l'Ethiopie. - Ayant donc mis l'agriculture en ufage dans l'Ethiopie, & y ayant bâti plufieurs Villes confidérables, il traversa I'Arabie le long de la mer Rouge, & continua fa route jufqu'aux Indes & aux extrêmités de la terre. Il bâtit dans les Indes de grandes Villes, & entr'autres Nyfa, à laquelle il donna ce nom en mémoire de la Ville d'Egypte où il étoit né. Enfin Ofiris fit dreffer des colonnes pour faire reffouvenir ces peuples des chofes qu'il leur avoit enfeignées, & il laiffa plufieurs autres marques de fon paffage favorable dans cette contrée : deforte que les Indiens, qui le regardent comme un Dieu, prétendent qu'il eft originaire de leur pays.

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Delà il vint vifiter les autres peuples de l'Afie; l'on dit même qu'il traverfa l'Hellefpont, & qu'il aborda en Europe, où il tua Licurgue, Roi de Thrace, qui s'oppofoit à fes deffeins. Il donna les Etats de ce Roi barbare à Maron, qui étoit déja vieux, pour y maintenir les loix & les connoiffances qu'il leur avoit apportées comme aux autres Nations: il voulut même que Maron bâtit une Ville dans ce pays, & qu'il l'appellât Maronée. Il laissa Macédon fon fils, Roi de cette Province, qui a pris le nom de Macédoine, & il chargea Triptoleme de cultiver tout le territoire de l'Attique: en un mot, parcourant toute la terre, il répandit par-tout les mêmes bienfaits. Nous n'oublierons pas de dire ici qu'en faveur des peuples dont le terroir n'eft pas propre à la vigne, il inventa une boiffon faite avec de l'orge, & qui pour l'odeur & pour la force n'eft guère différente du vin : c'eft ainfi qu'Ofiris laissa fur toute fa route les fruits heureux de fa fageffe & de fa bonté. Revenu en Egypte, il fit part à fes peuples d'une infinité de chofes curieufes & utiles qu'il rapportoit de fes longs voyages, & s'attira par tant de bienfaits le nom de Dieu & le culte qu'on rend aux Dieux. Ainfi ayant paffé de la terre au ciel, Ifis & Mercure lui firent des facrifices, & inftituerent des initiations avec des cérémonies fecretes & myftérieufes en fon honneur.

Nous ne nous permettrons pas d'autres réflexions sur ce récit de Diodore; nous nous contenterons d'ajouter que s'il eft une époque dans l'antiquité la plus reculée favorable à l'établissement d'un fyftême de mefures raifonné, c'eft le regne d'Ofiris; & que s'il a exifté un Géometre affez habile pour concevoir ce systême, & le rédiger, cet homme ne femble pouvoir être que Mercure Trifmégifte, appellé Thouth par les Egyptiens, Thoth par les Alexandrins, & Hermès les Grecs. C'eft une fable que ce que rapporte Eutrope dès le commencement du premier Livre de fon Hiftoire, que ce fut Sidonius ou un Sidonien qui inventa les mefures & les poids, vers le temps que Procas régnoit fur les Albains, Aza fur les Juifs, Jéroboam à Jérusalem. Il est certain cette invention eft beaucoup plus ancienne.

par

que

Selon Pline (lib. VII, cap. LVI.), ce fut Phidon d'Argos, ou Palamede, fuivant le témoignage d'Aulugelle, qui régla le fyftême métrique & pondéral de la Grece : Strabon (lib. V.) attribue ce mérite à Phédon d'Elide; Diogene Laerce veut que les Grecs en aient l'obligation à Pythagore; mais tout ce que fit Pythagore, ce fut de rapporter de l'Egypte, où il voyagea, des modeles de mefures plus exacts que ceux que l'on confervoit à Samos & dans les autres Inles de la mer Egée, voisines de l'Asie, où l'on se servoit des mêmes mesures qu'en Egypte.

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A monnoie eft une mefure, mais d'un autre genre que les

Larécédentes ; c'est une ingénieufe & funefte invention, moins

ancienne que celle des mefures abfolues & proprement dites, moins naturelle, moins néceffaire, très-utile au commerce dont elle a rendu les opérations faciles, mais deftructive du bonheur de l'efpece humaine, en favorifant l'inégalité des fortunes.

Dans les anciens temps on ne faifoit point ce qu'on appelle des achats & des ventes; on échangeoit les marchandises fuperAlues que l'on poffédoit, contre les marchandifes fuperflues qu'un

autre avoit, mais que l'on n'avoit pas foi-même. Dans cet état des chofes, on ne pouvoit conferver long-temps chez foi les productions qui excédoient le néceffaire, & l'on ne pouvoit acquérir de celles que l'on n'avoit pas qu'à proportion de fes befoins. Dans ces temps-là il étoit donc beaucoup plus difficile qu'un particulier s'enrichît en épuifant un autre particulier.

Ce fut Bacchus, c'eft-à-dire, Ofiris, dont nous venons de parler fur la fin du Chapitre précédent, qui, felon Pline (lib. VII, cap. LVI.), apprit aux hommes l'art de vendre & d'acheter: Emere ac vendere inftituit Liber Pater: ce fut donc lui qui inventa la monnoie. Ce grand Prince, l'ami incomparable de notre efpece, dut être charmé d'une découverte auffi admirable, & il crut faire un rare préfent à l'humanité; c'eft qu'il n'avoit pas apperçu les conféquences défavorables qu'elle préfentoit pour les générations

futures.

Si nous en croyons Hérodote (lib. I.), les Lydiens ont été les premiers peuples qui aient commencé à battre de la monnoie d'or & d'argent pour le commerce, de même qu'ils ont inventé les jeux qui leur étoient communs avec les Grecs, le jeu des Dames ou des Echecs, le jeu de la Balle, & d'autres frivolités femblables. Delà on pourroit conclurre que la monnoie de Bacchus ou d'Ofiris n'étoit ni d'or ni d'argent, mais de quelque autre métal, &c. Suivant Ephore & Strabon (Geogr. lib. VIII.), ce fut Phédon ou Phidon qui le premier fit fabriquer des monnoies d'argent dans la Grece. Argée ou les Naxiens, au rapport d'Agloafthenes, furent les premiers qui firent des monnoies d'or, d'argent, de cuivre & de fer: Erechthée en fabriqua le premier à Athenes, & Xénophanes en Lydie & en Licie; Lycurgue fit battre le premier de la monnoie de fer à Sparte; & Saturne ou Janus fut le premier qui ordonna de la monnoie de cuivre en Italie. Tite-Live dit qu'on s'avifa fort tard de faire fabriquer à Rome de la monnoie d'argent. Nous lifons dans Eutrope (lib. II.) que ce fut vers l'an 483; & dans Pline, que ce fut l'an 484 ou 485 de la fondation de Rome. Selon le même Pline, ce ne fut que l'an 637 de Rome que l'on fabrica dans cette Ville de la monnoie d'or,

Laiffons ces recherches très-incertaines, puifque les autorités fe croifent, fur l'époque & l'ancienneté de l'inftitution des monnoies, & venons à ce qui les concerne plus intimement.

La monnoie eft la mesure relative & comparative de la valeur

réciproque de toutes les chofes deftinées aux befoins ou au luxe des hommes; mais ce n'eft que refpectivement aux temps, aux mœurs & aux circonftances que l'or, l'argent & les autres métaux monnoyés font la mesure de la richeffe. Ce n'eft ni l'or ni l'argent qui affigne la valeur abfolue aux chofes de premiere néceffité; ce font ces chofes, au contraire, qui donnent du prix à l'or & à l'argent. Si, par exemple, en 1777 la mesure de bled valoit quarante fous; qu'en 1778 elle ne vaille que vingt fous, & que dans ces deux années la valeur des autres denrées, & de toutes les chofes néceffaires à la vie & aux commodités de l'homme, ait fuivi la proportion du prix du bled, on pourra dire avec raifon & vérité qu'en 1778 l'or & l'argent ont moitié plus de prix qu'en 1777, puifqu'avec la même quantité de monnoie on a, en 1778, moitié plus de marchandise qu'on n'en avoit en 1777. Nous lifons dans Pline (lib, XVIII, cap. III.) que fous plufieurs Ediles, & particuliérement l'année que L. Métellus triompha à Rome, le modius de bled n'y valut qu'un as. Là-deffus je fais une supposition; favoir, que l'as d'alors n'étoit que du poids d'une once Romaine de cuivre; que le denier étoit à la taille de 72 à la livre Romaine, & valoit 20 fous; & je dis Dans le temps qu'un mo. dius de bled valoit à Rome un as ou une once Romaine de cuiil falloit trente-une onces de cuivre poids Romain pour procurer la quantité de bled nécessaire à la subsistance annuelle d'un citoyen or il n'y a pas long-temps qu'en France le fetier de bled mesure de Paris valoit trente livres monnoie, & plus; il faut deux fetiers de bled pour égaler trente-un modius: foixante livres monnoie n'étoient donc pas plus utiles en France lorfque le fetier de bled s'y vendoit trente livres, que trente-une onces de cuivre poids Romain, qui, à raifon de dix as pour un denier, font 3 deniers & un dixieme, ou 3 livres peu plus, monnoie de France, ne le furent lors du triomphe de Métellus à Rome. La monnoie n'est donc que la mesure relative de la valeur des chofes néceffaires à la vie de l'homme.

vre,

La monnoie n'étant que le figne fymbolique, représentatif & conventionnel des marchandises, & n'ayant point d'autre valeur que la valeur même de ces marchandises, il eft évident qu'elle ne peut fervir à nous donner une idée jufte de la richesse, des dépenfes, des récompenfes, des falaires, &c. chez les Anciens, qu'autant que nous les rapporterons à la valeur intrinféque des

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