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elles ont rendu possible la solution de la question qui sollicite aujourd'hui votre examen la question des pèlerinages.

Nous voici arrivés, Messieurs, à la troisième étape, peut-être la plus importante de toutes par les résultats qu'on est en droit d'attendre du zèle et de la science de cette haute assemblée. Les Plénipotentiaires de Venise ont déterminé les précautions pour préserver l'Égypte de l'invasion de l'épidémie et l'arrêter au passage au canal de Suez. Les Conférenciers de Dresde ont posé les principes de prophylaxie à appliquer en Europe au cas où le mal y pénètre ou s'y propage; de ce côté, la défense est complète. Il s'agit maintenant de l'organiser plus haut et plus loin, de poursuivre l'épidémie là où elle est la plus dangereuse, sur ses voies de pénétration.

« Sans vouloir ouvrir ici une discussion de doctrine, il n'est pas contestable que les pèlerinages sont le plus puissant véhicule du choléra; s'il en était autrement, cette conférence serait sans objet. Il n'est pas moins avéré que les précautions prises jusqu'ici pour empêcher son importation par l'entremise des pèlerins, quelque dignes d'éloges qu'elles soient, ont été impuissantes à arrêter l'épidémie aux abords de la Mecque. Depuis 1865, le choléra n'a pas visité cette ville moins de huit fois, et l'année dernière, sous ce rapport, a été particulièrement meurtrière; des milliers de pèlerins ont péri dans la Ville sainte. La Perse, de son côté, a payé au mal un tribut encore plus terrible; jamais cet empire ne fut plus cruellement éprouvé par le fléau. Car ce n'est pas seulement la pénétration de la mer Rouge qu'il faut surveiller et soumettre à un régime sanitaire approprié aux circonstances: c'est aussi et tout autant le golfe Persique. Les épidémies de 1889, 1890 et 1891 en Mésopotamie et en Syrie démontrent clairement le danger de l'importation par cette voie.

« Nous en tirons cette conclusion qu'il est urgent d'organiser une surveillance sanitaire fortement constituée et dont le modèle sera fourni par celle appliquée à Suez par la Conférence de Venise, aussi bien sur le littoral du golfe Persique que sur celui de la mer Rouge. Dans cet ordre d'idées, la Conférence aura à examiner quelles mesures préventives pourraient être prises aux ports de départ des pèlerins. Il est sensible en effet qu'un des meilleurs moyens de diminuer les chances de propagation consisterait dans les précautions sanitaires prescrites aux pèlerins avant leur départ. Du côté de la mer Rouge, il est malheureusement probable qu'une fois que le choléra a franchi le détroit de Bab-elMandeb, il devient presque impossible d'en empêcher l'importation à la Mecque. Constater l'état sanitaire des pèlerins à cet endroit, les soumettre à une surveillance efficace, faire opérer les désinfections nécessaires constituent donc une nécessité de premier ordre. La Conférence voudra sans doute déterminer par quels moyens et dans quelles conditions de telles mesures devront ètre exécutées; elle voudra également indiquer les points du littoral du golfe Persique où une surveillance analogue pourra être établie.

Mais ce n'est pas tout, si la Conférence se contentait d'indiquer les moyens d'entraver l'importation, il est à craindre que son œuvre ne fût frappée de stérilité et qu'elle accomplit un travail académique. L'Europe a franchi cette période purement théorique en matière de prophylaxie. Les mesures à déterminer n'auront de valeur que si elles sont fermement et régulièrement appliquées.

Les membres de cette haute assemblée auront donc à rechercher d'un commun accord les moyens d'atteindre ce résultat. Une mesure médiocre, quand elle est rigoureusement appliquée, vaut mieux que la meilleure des mesures quand elle l'est mal. Nous estimons pour notre compte que l'Europe est trop intéressée moralement et matériellement à la solution de cette grande question pour que l'utilité de son intervention puisse être contestée. Sous ce rapport, les travaux de la Conférence de Venise, en ce qui touche le Conseil sanitaire d'Alexandrie, pourront servir à indiquer la voie à suivre. Nous tenons aussi à bien affirmer avant d'aller plus loin que l'œuvre de la Conférence doit être exempte de tout ce qui pourrait éveiller des susceptibilités ou des scrupules religieux. Personne plus que nous n'est respectueux de ces susceptibilités, et les éminents représentants de S. M. le Sultan, qui a fait preuve d'une sollicitude si attentive et si éclairée en ce qui concerne la santé publique de son Empire, peuvent être assurés qu'il ne se fera rien ici, sous ce rapport, qui puisse leur porter ombrage.

« L'état sanitaire du territoire de l'Empire de Perse, l'intérêt qu'ont les Puissances représentées ici à ce que la police sanitaire y présente des garanties suffisantes contre la propagation de l'épidémie, solliciteront tout particulièrement votre attention. Enfin, pour compléter cet ensemble de mesures, il sera utile d'étudier les moyens de soumettre à une surveillance effective les caravanes de pèlerins arrivant au Hedjaz par voie de terre.

« Il est encore un point d'une très grande importance qui appelle votre examen. L'affluence extraordinaire des pèlerins en 1893 a fourni à l'épidémie un terrible terrain de culture. Ceux de nos collègues scientifiques qui ont étudié spécialement la question vous diront qu'il n'est guère possible qu'une épidémie aussi meurtrière que celle de la Mecque, combattue par des moyens insuffisants, n'ait pas laissé sur le théâtre de ses ravages les germes d'une nouvelle épidémie. L'Égypte et les Puissances européennes ont donc à se préoccuper dès aujourd'hui de la recrudescence de danger que leur vaudra le retour des pèlerinages. C'est à Tor que devrait être la grande station sanitaire du retour par voie maritime, telle que nous la concevons. Les événements de l'année dernière ont malheureusement démontré que les précautions prises à cette station n'étaient pas suffisantes et qu'elles étaient loin de présenter le type idéal qu'il faudrait réaliser. Il appartiendra à la Conférence d'examiner cette situation et d'y porter remède.

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Tels sont, Messieurs, dans leurs grandes lignes, les travaux qui sollicitent votre haute attention. J'ai omis à dessein de les préciser; ce soin reviendra à M. le professeur Proust; avec la compétence scientifique à laquelle je ne saurais prétendre, il vous indiquera tout à l'heure d'une manière plus détaillée ce qui reste à faire pour achever l'œuvre considérable des deux précédentes Conférences; il vous soumettra un programme portant sur les points que j'ai effleurés et qui pourra servir de base aux délibérations de cette Assemblée.

« Il ne me reste plus, Messieurs, qu'à faire un nouvel appel à vos lumières et à votre esprit de solidarité. Le travail que vous abordez est par essence une œuvre où l'intérêt et l'humanité se confondent et dont les artisans sont tous appelés à profiter. Chacun travaillera pour tous et tous travailleront pour chacun. Toute réforme doit venir à son heure et nous estimons que l'heure a sonné pour celle qui nous occupe aujourd'hui. Votre présence ici nous est un sûr garant que cette conviction est également la vôtre. Quelque laborieuse que soit votre tâche, vous ne voudrez pas vous séparer sans l'avoir accomplie tout entière et vous justifierez ainsi les grandes espérances que votre réunion fait naître dans le monde civilisé. »

La parole est ensuite donnée à M. le Professeur PROUST, Délégué de France, pour la lecture du rapport ci-après :

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La première Conférence sanitaire internationale fut convoquée à Paris en 1851, la neuvième s'y réunit aujourd'hui en 1894.

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Avant de vous faire connaître la série de questions qui seront soumises à vos délibérations, je désirerais rechercher avec vous, aussi brièvement que possible, les origines des mesures sanitaires, les vicissitudes diverses qu'elles ont subies, vous indiquer enfin par un historique rapide le rôle et la caractéristique de chacune des conférences et essayer de déterminer l'influence qu'elles ont exercée sur la direction de la science sanitaire et sa nouvelle orientation.

« La première maladie exotique dont l'importation ait été combattue par des mesures restrictives est la peste d'Orient. L'introduction du système sanitaire, suivie de son application la plus immédiate, la création des lazarets, paraît appartenir à la République de Venise.

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Venise, sortant de ses lagunes, fit avec les Musulmans ses premiers essais de commerce; elle fut bientôt envahie par une suite de pestes qui avaient le Levant pour origine.

« En six siècles, de 900 à 1500, elle en eut soixante-trois; elle fut conduite,

par l'excès de ses malheurs, à proscrire la vente, puis à détruire et brûler les effets des morts. Elle créa bientôt des provéditeurs de la santé (1348), un bureau de santé, et finalement un lazaret, qui a servi de modèle à l'Europe.

«L'essai de défense de Venise fut imité par les autres villes qui étaient en relation avec le Levant. Gênes d'abord, puis, en 1526, Marseille, eurent un établissement d'isolement contre la peste. L'administration sanitaire connue sous le nom de Santé de Marseille, comme celle des autres cités méditerranéennes, acquit une influence considérable et montra des allures despotiques dont le souvenir n'est pas encore effacé; mais elle rendit de réels services et, depuis 1720, date de la dernière épidémie de peste à Marseille, jusqu'en 1837, elle reçut à neuf reprises des individus atteints de cette maladie, qui, toujours, s'éteignit dans le lazaret sans avoir gagné la ville.

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Au xvin® siècle et même au commencement du XIXo, l'application des longues quarantaines correspondait non seulement à l'esprit des populations encore terrifiées par le souvenir de la peste de 1720, mais encore aux convenances des

marins.

«La navigation au long cours se faisait par des voiliers de 200, 300, très rarement de 500 tonneaux. Le capitaine et les officiers, préoccupés de la grave responsabilité qu'ils encouraient, s'astreignaient souvent, pendant de longs mois, à une surveillance de jour et de nuit. Les équipages, surmenés par des manœuvres à peu près constantes, aspiraient au repos du mouillage.

L'eau de boisson conservée en barriques ne tardait pas à s'altérer; la nourriture consistant en viandes ou poissons salés provoquait vite une répugnance invincible. Il était donc naturel que chacun appelât de ses vœux le jour repos, la distribution des vivres frais et d'une eau de bonne qualité.

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« La quarantaine qui offrait ce repos et ce régime était donc supportée sans impatience; mais, à la suite de l'essor de plus en plus marqué du commerce, il se produisit une transformation dans l'esprit des populations relativement aux longues quarantaines.

« Les intendances sanitaires furent vivement attaquées: elles apportaient des entraves très préjudiciables aux intérêts du commerce.

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La navigation à vapeur se substitua presque partout à la navigation à voiles; les traversées rapides succédèrent aux voyages interminables des voiliers. Les grandes dimensions des paquebots permirent de mieux loger les hommes de l'équipage. La jauge ne fut plus de 200 ou 300, mais de 2,000, 3,000 et 4,000 tonneaux.

Les vivres frais constituèrent la ration journalière, et aujourd'hui l'eau, conservée dans des caisses de fer, peut être irréprochable.

CONFÉRENCE SANITAIRE.

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Dans cette nouvelle situation, l'ancienne quarantaine devait apparaître comme un obstacle à la réalisation des progrès de notre époque.

En outre, un grand nombre de plaintes s'élevèrent sur la diversité des règlements et des pratiques sanitaires en vigueur dans les différents ports de la Méditerranée.

Chaque État avait un régime particulier. Ici, on repoussait les provenances qui, là, étaient admises sans difficulté.

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Dans tel pays, on considérait comme contagieuse et importable une maladie qui, dans les pays voisins, était déclarée non contagieuse et non transmissible.

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« La durée des quarantaines n'avait d'autre limite que celle que fixait la volonté d'administrations toutes à peu près indépendantes du pouvoir central. a Les droits les plus divers et souvent les plus exagérés étaient imposés à la navigation. Il devenait impossible d'établir aucun calcul sur les chances d'une opération commerciale.

« C'est pour remédier à ces graves inconvénients que la France prit l'initiative d'un projet de Conférence entre les délégués des différentes Puissances ayant des possessions ou des intérêts importants dans la Méditerranée.

« Cette Conférence devait poser les bases d'un système sanitaire uniforme pour tous les ports de cette mer...

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« Jusqu'alors en effet chaque État, soit au point de vue de ses intérêts commerciaux, soit en raison de la frayeur que lui inspirait la peste, car, à ce moment, on ne s'occupait guère que de la peste, la grande expansion cholérique de 1865 ne s'étant pas encore produite, chaque État s'efforçait de garantir son propre territoire de tout contact libre avec les provenances d'Orient, et cela, sans le moindre accord avec ses voisins; si bien que les mesures défensives étaient aussi variables que les causes qui les suscitaient. Il en résultait des conséquences absurdes sur lesquelles il est inutile d'insister. On ignorait ce qui se passait en Orient et l'on trouvait tout naturel d'agir, comme s'il eût été démontré que la peste y existait partout en permanence.

« Le Gouvernement français comprit les inconvénients et les exagérations d'un pareil système qui ne pouvait prévaloir qu'à une époque où les contrées orientales n'étaient soumises à aucune surveillance médicale.

« Il pensa avec raison qu'il fallait observer de près la peste présentée de loin comme toujours active.

«

Telle fut l'idée qui dicta à notre Gouvernement la création des médecins sanitaires d'Orient, Les renseignements qu'ils ont donnés ont été dès le début si importants qu'ils ont servi de base à la Conférence de 1851 à la préparation de

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