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PROCÈS-VERBAL No 3.

Séance du lundi 19 février 1894.

PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE DE KUEFSTEIN.

La séance est ouverte à dix heures.

Étaient présents:

MM. les Délégués faisant partie de la Commission, à l'exception de M. le Comte DE MOLTKE-HVITFELDT (Danemark), de MM. CRIÉSIS et VAFIADÈS (Grèce) et de M. DUE (Suède et Norvège).

Assistaient également à la séance : M. le Docteur HAGEL (Autriche-Hongrie); M. BARRÈRE et M. H. MONOD (France); le Général BONKOWSKI PACHA et le Docteur HAMDI BEY (Turquie); M. DE GIERS (Russie); M. le Baron EUG. BEyens (Belgique); M. KRÜYT (Pays-Bas); M. PHIPPS (Grande-Bretagne).

M. le PRÉSIDENT rappelle que dans la dernière séance une Sous-Commission a été nommée pour formuler un avis sur la question de l'unification des règlements concernant le transport des pèlerins et, en attendant que cette SousCommission soit en mesure de présenter son rapport, il prie la Commission de continuer l'examen du paragraphe A du programme (Police sanitaire exercée dans les ports de l'Extrême-Orient (Inde, possessions hollandaises). Il donne lecture ensuite de la seconde partie de la quatrième proposition contenue dans ce paragraphe :

4° (2 alinéa) Observation de cinq jours pour les autres (pèlerins) avant leur embarquement.

M. RAGOSINE (Russie) se prononce contre l'observation de cinq jours, au point de départ; il estime qu'une inspection médicale bien faite est aussi effi

cace et ne présente pas les inconvénients d'une observation aussi longue; il ne voit pas d'ailleurs la nécessité d'en déterminer d'une manière aussi précise la durée; cette observation pourrait être plus courte.

M. le Chirurgien général CUNINGHAM (Indes Britanniques) lit ensuite l'exposé

suivant :

« La proposition de maintenir, pendant un temps fixe, les pèlerins sous une surveillance dans les ports de l'Inde, avant leur embarquement pour Djeddah, a été plus d'une fois présentée, mais le Gouvernement de l'Inde l'a rejetée à cause des difficultés insurmontables qu'elle soulève.

Ces difficultés se présentent d'une façon spéciale à Bombay, où la plupart des pèlerins indiens se réunissent. En effet, il n'y a pas d'espace suffisant à l'intérieur de la ville, vu sa situation géographique sur une étroite presqu'île, pour y construire les baraquements nécessaires, et, si ces constructions étaient placées en dehors de la ville, les pèlerins se trouveraient logés dans un endroit très incommode pour prendre leurs passages et pour faire les préparatifs de leur voyage.

« Une surveillance effective ne pouvant être exercée que s'il est procédé à la construction de baraquements et autres installations à établir par sections, selon les dates d'arrivée des différents convois, l'établissement de ces constructions et la surveillance dont il s'agit donneraient lieu à de très grandes difficultés.

Les pèlerins ne viennent pas d'ailleurs au port ostensiblement avec cette qualité; en général ils arrivent par chemin de fer, comme des voyageurs ordinaires. Si les voyageurs étaient obligés de déclarer leur qualité de pèlerins, et si comme tels ils étaient enfermés dans un lieu de surveillance, on encourrait assurément le mécontentement de la population musulmane; cette disposition constituerait, en outre, une atteinte à la liberté du peuple, ce qui serait tout à fait contraire aux principes usuels du Gouvernement de l'Inde, surtout lorsqu'il s'agit de questions se rattachant au sentiment religieux du peuple.

Il me serait facile de m'étendre sur les difficultés administratives que rencontrerait la proposition indiquée, ce paragraphe du programme de M. le Professeur Proust tendant à rendre obligatoire la surveillance sur les pèlerins et à en fixer la durée à cinq jours; mais j'envisage la question à un point de vue tout à fait différent.

« Même s'il n'y avait pas de difficultés administratives à affronter, si cette mesure pouvait être organisée avec la plus grande facilité et sans frais, je m'y opposerais de toutes mes forces, parce que je suis d'avis qu'en retenant les pèlerins au port du départ, l'on augmenterait considérablement les chances du choléra à bord des navires.

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La plupart des pèlerins qui arrivent, par exemple, à Bombay (le lieu le plus important à considérer) viennent des hautes régions de l'Inde et d'au delà de

l'Inde, où le choléra n'existe très probablement pas au moment de leur départ. « Les régions d'où ils viennent sont beaucoup plus fraîches, plus sèches et plus saines que Bombay, et ce grand changement à lui seul suffirait à les rendre très susceptibles au choléra, qui, bien qu'en décroissance notable, se montre chaque année à Bombay par des cas se produisant à intervalles.

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Cette influence climatérique a d'autant plus de chance d'affecter les pèlerins selon la durée de leur séjour, et si, à cet élément, vous ajoutez l'influence déprimante de la réclusion, vous créerez des conditions absolument favorables à la propagation des maladies se déclarant parmi eux, non seulement au port même, mais encore, par la suite, à bord des navires.

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Aussi je conseillerai instamment qu'au lieu de retenir les pèlerins à Bombay, on s'efforce de diminuer, autant que possible, la durée de leur séjour.

Voici quelle est la marche suivie par le Gouvernement à l'égard de ses soldats européens; la même façon d'agir est également adoptée par les officiers ayant avec eux leur famille.

« Il est notoire que les personnes venant de contrées saines de l'Inde et se rendant dans des contrées où même des cas de choléra n'existent pas, sont très sujettes à gagner cette maladie, et il y a beaucoup d'exemples de voyageurs européens qui, ayant voyagé dans les provinces du Nord et ignorant ce fait, ont été atteints parce qu'ils ont séjourné quand ils auraient dù partir.

« Je reconnais pleinement la nécessité de prendre toutes les précautions à Bombay, ainsi que dans tous les endroits où les pèlerins s'embarquent; je reconnais aussi la haute importance d'une inspection médicale et la nécessité d'obtenir que la condition sanitaire des navires soit réellement satisfaisante sous tous les rapports.

« Tous les soins ont été donnés à ces questions, à Bombay, depuis déjà bien des années».

M. le Professeur PROUST (France) fait ressortir qu'il est deux points sur lesquels il semble que l'accord doive s'établir: 1° prendre des précautions pour empêcher l'exportation du choléra de l'Inde; 2° organiser ces précautions le plus près possible du lieu où sévit le choléra. Tel est le but de la mesure actuelle

ment examinée.

Si les pèlerins arrivant à Bombay s'embarquaient immédiatement, leur mise en observation serait inutile. Mais ils restent forcément dans la ville et constituent des nouveaux-venus dans un milieu cholérique. C'est là le danger dont l'on trouve une nouvelle démonstration dans les cas cités par M. le Professeur Pagliani, à la première séance, et relatifs aux grands navires italiens emportant de Naples des émigrants vers l'Amérique du Sud.

Les objections de M. le Chirurgien général Cuningham seraient très fondées si l'on proposait de laisser les pèlerins à Bombay sans réclamer qu'ils soient

garantis de tout contact avec la ville. Mais l'observation de cinq jours demandée devrait être effectuée avec isolement. M. le Professeur Proust admet que, s'il n'était pas possible d'isoler les pèlerins arrivant à Bombay, il serait préférable de ne pas les placer en observation. Il rappelle que la mesure proposée a été appliquée depuis quelques années par la France en Indo-Chine et a donné des résultats très probants que confirme l'enquête faite sur les causes des épi démies survenues à bord des transports de l'État la Corrèze et le ChâteauYquem.

En ce qui concerne l'indication de M. le Chirurgien général Cuningham, que cette mise en observation blesserait les sentiments religieux des musulmans indiens et porterait atteinte à la liberté individuelle, M. le Professeur Proust fait ressortir que toute mesure sanitaire constitue une restriction imposée, dans un intérêt général, à la liberté humaine; quant à la question religieuse, elle ne saurait être invoquée: sur le territoire ottoman, cinq jours de quarantaine sont en effet imposés actuellement aux pèlerins à leur arrivée à Camaran, et l'autorité ottomane paraît être le meilleur juge en cette matière.

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M. Proust ajoute qu'une disposition analogue a été adoptée à Venise à titre de recommandation à la navigation (Annexe V de la Convention, § 1oг, 2o.) Si le Gouvernement britannique déclare que cette observation ne peut être faite dans de bonnes conditions à Bombay par suite de circonstances spéciales, M. le Professeur Proust demanderait à la Commission de vouloir bien formuler tout au moins un vœu en faveur de l'adoption de la mesure dont il s'agit au départ de l'Inde anglaise.

M. le Docteur O. SHAKESPEARE (États-Unis) indique qu'à son avis « l'une des principales garanties contre l'exportation du choléra des Indes consiste dans une observation sérieuse et obligatoire assez prolongée pour pouvoir englober la période d'incubation avant l'embarquement, observation appliquée à tous les pèlerins sans distinction. Il y a des preuves incontestables que, malgré l'état sanitaire indemne des passagers, de l'équipage, du port de départ et même du pays où ce port est situé, le germe d'infection peut être embarqué dans ce port et être transporté vers un pays fort éloigné.

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Une preuve éclatante de ce fait est fournie par l'histoire du choléra à bord des deux navires le New-York et le Swanton, qui transportèrent le de l'épidémie qui a sévi dans l'Amérique du Nord en 1848. Quand ces navires quittèrent le Havre, le 31 octobre et le 9 novembre, l'un pour New-York, l'autre pour New-Orléans, le choléra n'existait ni au Havre, ni en France. A cette époque cependant l'épidémie régnait dans le centre de l'Europe d'où provenaient les émigrants qui embarquèrent à bord de ces navires. Le choléra se déclara à bord du New-York le 25 novembre, le seizième jour du voyage, et à bord du Swanton vingt-sept jours après le départ. Ces cas se manifestèrent deux ou trois

jours après que les passagers, par suite du changement de la température, avaient été obligés de descendre dans la cale où étaient leurs bagages pour prendre, les uns, ceux du Swanton, des vêtements chauds, les autres, ceux du New-York, des vêtements légers.

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« Ces faits renferment donc la preuve qu'il n'est pas suffisant, pour préserver un continent d'un fléau comme le choléra, d'empêcher l'embarquement de sonnes visiblement malades; ils montrent, en outre, que la durée d'un voyage dépassant la période d'incubation ne forme, en ce qui concerne le développement de la maladie, qu'une faible garantie contre le progrès du choléra par

mer.

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« C'est avec une extrème satisfaction que j'ai écouté dans le discours remarquable et instructif que M. le Professeur Pagliani a prononcé à la deuxième séance plénière (1) ce qui avait trait à la question de l'émigration.

« Je reviens sur cette partie de son discours en vous demandant la permission de vous citer un fait qui formera contraste avec l'histoire malheureuse de ces quatre navires italiens partis l'année dernière de Naples, où existait le choléra, avec des émigrants à destination de l'Amérique du Sud.

« Ceci me permettra par comparaison de montrer l'avantage que le trafic international et les passagers peuvent retirer des mesures analogues à celles qui furent prises à Naples dans le but d'empêcher le transport des germes du choléra par les émigrants allant de cette ville vers New-York.

«

Un ou deux jours avant que le médecin de service des hôpitaux de la Marine des États-Unis stationné à Naples eût été informé de l'existence du choléra dans cette partie de l'Italie, un navire du nom de « Karamania » partit pour New-York ayant à bord plusieurs centaines d'émigrants, pour la plupart italiens et qu'on avait laissés embarquer après une simple visite médicale ordinaire, c'est-à-dire sans prendre de mesures préventives sérieuses. Au cours du voyage quelques cas de choléra se manifestèrent de jour en jour; à l'arrivée à New-York et comme il y avait encore des passagers présentant des symptômes cholériformes suspects, le navire fut mis en quarantaine.

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Presque aussitôt après que ce navire eût quitté Naples, le médecin sanitaire américain dont j'ai parlé plus haut apprit que le choléra sévissait depuis quelques jours dans cette ville et aux alentours. D'autres navires transportant des émigrants vers New-York quittèrent ensuite Naples précisément au moment où les quatre navires cités par M. le Professeur Pagliani faisaient route vers l'Amérique du Sud et cependant aucun des navires dont je parle n'a eu à souffrir d'un seul cas de choléra. Aucune entrave par conséquent n'a pu être mise à la liberté du commerce ou au débarquement des émigrants en arrivant à New-York.

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