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M. le Professeur PROUST ajoute qu'il existe une très grande différence entre les Conseils de Constantinople et de Téhéran : le premier dispose, par suite du produit des taxes sanitaires maritimes, de ressources très considérables, dont on ne saurait trouver l'équivalent pour doter le Conseil de Téhéran des moyens d'action nécessaires à l'organisation et au fonctionnement d'un service de surveillance aussi étendu que celui qui a été indiqué par M. le Comte de Kuefstein. Le Conseil de Téhéran se compose d'autorités médicales persanes auxquelles sont adjoints, seulement à titre consultatif, un Délégué du Conseil supérieur de santé de Constantinople et le médecin français attaché à la personne du Schah. Ses réunions sont peu fréquentes. Il serait à souhaiter que le Conseil eût un caractère mixte qui permît aux Représentants des Puissances étrangères de prendre part à ses délibérations et d'intervenir ainsi dans l'application de mesures auxquelles est si directement intéressée la protection sanitaire de l'Europe. C'est d'ailleurs dans ce sens que la Conférence de Vienne en 1874 avait déjà émis un vœu auquel avait adhéré le Délégué du Gouvernement persan.

Actuellement les mesures à prendre vont dépendre des conditions dans lesquelles fonctionnera le service à Fao, suivant que la direction de ces mesures sera exclusivement réservée au Gouvernement ottoman ou qu'elle appartiendra en même temps pour partie au Gouvernement persan : c'est dans cette dernière hypothèse qu'il y aurait lieu d'examiner la question du Conseil de Téhéran.

TURKHAN BEY (Turquie) déclare qu'il se propose de répondre, dans la séance plénière qui va ètre tenue, à quelques-unes des critiques formulées par M. le Professeur Pagliani et demande la permission de s'en référer pour le moment à cette déclaration ultérieure.

M. le Docteur THORNE THORNE (Grande-Bretagne) indique qu'il a voté l'organisation des postes sanitaires du golfe Persique telle qu'elle a été proposée dans l'espoir de voir inaugurer pour certains ports un système de surveillance qu'il considérait comme placé entre les mains des autorités locales. Quant à lui, personnellement, il verrait d'une manière générale des inconvénients à l'intervention d'un nouveau Conseil exerçant un pouvoir central au même titre celui que qui existe déjà à Constantinople. Il ajoute qu'en ce qui concerne le Conseil de Téhéran « tout est à faire » comme l'a dit précédemment M. le Professeur Proust ». M. le Docteur Thorne Thorne croit d'ailleurs devoir réserver l'opinion de la Délégation anglaise.

«

M. le PRÉSIDENT rappelle qu'il ne s'agit pas de prendre, quant à présent, de décision sur la question, mais seulement d'éclairer par un échange d'observations le vote que sera appelée à émettre plus tard la Commission des voies et

moyens.

M. DE GIERS (Russie) tient à constater que le rattachement du service sanitaire du golfe Persique au Conseil de Téhéran constituerait une opération très difficile qui risquerait de rendre inefficace le contrôle à y exercer. Dans les conditions actuelles l'information des maladies épidémiques signalées dans les ports du golfe Persique est donnée aux légations étrangères par le Conseil supérieur de santé de Constantinople qui en avise son Délégué à Téhéran. Quant à la protection du territoire persan sur les voies de terre, M. de Giers reconnait volontiers avec M. le Comte de Kuefstein qu'il y a beaucoup à faire, mais c'est une question encore imparfaitement connue qui exige de sérieuses études à entreprendre sur place.

M. le Comte DE KUEFSTEIN (Autriche-Hongrie) ne croit pas qu'on puisse repousser l'idée d'un conseil sanitaire à Téhéran en invoquant le fait que la situation serait absolument inconnue, qu'il n'y a pas de projet et que la question des frais n'est pas étudiée. Pour répondre à ces objections, M. le Comte de Kuefstein dépose un mémoire circonstancié qui pourra être utilisé à titre d'information et faciliter l'étude des questions dont il s'agit (1).

M. le PRÉSIDENT croit devoir revenir sur l'opinion émise par M. le Docteur Thorne Thorne, d'après laquelle la portée des mesures sanitaires édictées dépend de la constitution et de la compétence des autorités qui sont chargées de les appliquer. M. Barrère tient à exprimer une réserve identique; les mesures en question ne vaudront évidemment que par la manière dont elles seront exécutées; si elles ne devaient pas l'être de façon à donner toutes les garanties désirables la Délégation française préfèrerait renoncer à en poursuivre la réalisation.

M. le Docteur RUYSCH (Pays-Bas) a entendu avec beaucoup d'intérêt les observations de M. de Giers. Il estime que les routes des caravanes traversant le Beloutchistan et le nord de la Perse appellent une surveillance spéciale qui empruntera à l'ouverture des voies ferrées en projet une importance encore plus grande. Il demande que, si on doit créer à Téhéran un Conseil sanitaire spécial, on se préoccupe également de l'organisation dans cette vaste région d'avant-postes sanitaires susceptibles d'empêcher l'importation du choléra par une voie avant tout dangereuse pour l'Europe. C'est un point de vue sur lequel l'attention de la Russie doit être particulièrement sollicitée si la surveillance sanitaire internationale n'y est pas possible. La Russie accepte-t-elle la responsabilité de la surveillance de ces routes qui relient les Indes anglaises et l'Empire

russe ?

››› Ce mémoire, qui a été imprimé à part pour être immédiatement distribué à MM. les Délegués, se trouve reproduit ci-après en annexe.

CONFÉRENCE SANITAIRE.

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il

M. le docteur VAFIADÈS (Grèce) fait remarquer que le but principal que poursuit en ce moment la Conférence est la protection du golfe Persique; cette protection est déjà assurée sous l'autorité du Conseil de Constantinople : y a tout avantage à n'avoir à cet endroit qu'un seul lazaret placé, grâce à une entente avec le Gouvernement persan, sous le même contrôle. On a indiqué que la Conférence de Vienne avait déjà demandé en 1874 la création d'un conseil sanitaire à Téhéran. Ce vœu n'a pas été suivi d'effet; ne serait-il pas à craindre qu'il en soit encore de même cette fois-ci? Si au contraire, ainsi que l'ont déclaré MM. les Délégués de la Perse dans la première séance de la Commission, S. M. le Schah est disposé à se concerter avec le Gouvernement ottoman pour assurer l'application efficace des mesures prophylactiques aux provenances des Indes, la question semble résolue.

Au lieu de l'existence simultanée de deux lazarets susceptibles d'imposer au commerce des entraves supplémentaires résultant d'une inégalité de traitement, la Perse n'aurait-elle pas tout profit à s'en remettre du soin d'exécuter les mesures sanitaires à l'établissement voisin installé à Fao avec le concours d'un personnel expérimenté et outillé? Ce service fonctionnerait, comme à Clazomène et à Camaran, sous le contrôle et la responsabilité, qui sont naturellement indiqués, du Conseil supérieur de santé de Constantinople.

M. DE GIERS (Russie) ne doute pas qu'il n'y ait de sérieux progrès à réaliser en Perse pour y instituer une protection sanitaire efficace, mais la discussion ne pourrait, à son avis, s'engager utilement, quant à présent, sur cette question -faute de données suffisamment précises. Il croit devoir ajouter que le Gouvernement russe n'a pas manqué de prendre, pour s'opposer à l'invasion des épidémies par la frontière persane, des mesures très développées dont le texte a reçu d'ailleurs en temps opportun toute la publicité voulue.

M. le Comte DE KUEFSTEIN (Autriche-Hongrie) relève l'allusion faite par M. le Docteur Vafiadès relativement au résultat négatif que pourrait avoir le renouvellement du vœu déjà émis en faveur de l'institution d'un Conseil sanitaire à Téhéran. Il se refuse, dit-il, « à accepter un tel horoscope. Il croit, au contraire, que si les Puissances parvenaient à ftomber d'accord pour une création de ce genre, l'œuvre se présenterait avec des garanties sérieuses de réalisation et de durée. »

M. le PRÉSIDENT pense que l'on peut conclure de l'ensemble des idées qui viennent d'être émises qu'il serait désirable que l'autorité sanitaire chargée de présider à l'application des mesures sanitaires dans le golfe Persique fût unique et qu'à cet effet une entente poursuivie et affirmée au cours même de cette Conférence entre les Gouvernements ottoman et persan permit d'en assurer le

succès. Il appartiendra à la Commission des voies et moyens de solution définitive.

proposer une

Après un nouvel échange d'observations générales présentées par M. le Professeur Pagliani et M. le Docteur Vafiadès, concernant le Conseil de santé de Constantinople et les dispositions adoptées par la Conférence de Dresde, M. le Président demande à M. Yacovlew de vouloir bien rédiger un rapport général sur les travaux de la Commission relative au golfe Persique. Ce rapport sera présenté à la Conférence dans une de ses prochaines séances plénières.

La séance est levée à onze heures et demie.

Le Président,
CAMILLE BARRÈRE.

Les Secrétaires,

PAUL ROUX.

DE SOUSSAY.

ANNEXE

AU PROCÈS-VERBAL N° 3 DE LA COMMISSION RELATIVE AU GOLFE PERSIQUE.

(Document remis par M. le Comte DE KUEFSTEIN, premier Délégué d'Autriche-Hongrie.)

Mémoire sur la question de la réforme sanitaire en Perse.

(Décembre 1893.)

I. — L'histoire de l'extension du choléra, par terre, depuis sa sphère endémique aux Indes, jusqu'en Europe, à travers la Perse, la mer Caspienne, Bakou, Astrakan et le Caucase, en 1830, 1846 et 1892, prouve avant tout que l'épidémie n'a été arrêtée par aucune mesure préventive à la frontière orientale de la Perse. Elle n'a rencontré d'autre obstacle que la barrière naturelle formée au sud-est de cet empire par les steppes du Béloutchistan. Or il y a entre la Perse et l'Afghanistan un mouvement commercial qui n'est rien moins qu'insignifiant. La valeur des marchandises exportées de la province de Khorassan en Afghanistan dans la période 1890-1891 s'est élevée au chiffre d'environ 120, 162 tomans, ce qui équivaut à peu près à la somme de 372,504 florins d'Autriche-Hongrie. Le chiffre de l'importation d'Afghanistan en Khorassan, durant la même période a été de 151,399 tomans, c'est-à-dire d'environ 469,336 florins d'Autriche-Hongrie. L'importation aussi bien que l'exportation ne s'appliquent pas à des objets précieux, de petites dimensions, mais à des articles volumineux dont le transport s'effectue par de nombreuses caravanes. Il est inutile d'ajouter que ces cara

vanes capables au plus haut degré de transmettre la contagion ne sont arrêtées, au moment de passer la frontière, par aucune mesure sanitaire, par aucune surveillance de police.

L'épidémie peut se propager en Perse aussi facilement qu'elle a pu franchir la frontière. La coutume de n'ensevelir les morts que juste assez profondément pour les mettre à l'abri des oiseaux de proie et des fauves; l'usage de les transporter longtemps après, lorsqu'ils sont en pleine décomposition aux Lieux saints de Perse ou d'Asie Mineure; l'absence de tout service municipal, chargé dans les villes du nettoyage et de l'arrosage des rues, du transport des déchets de toute sorte, des cadavres d'animaux, etc.; le fait que l'on puise l'eau potable dans des conduites et des réservoirs non couverts, exposés à toutes les souillures possibles, surtout au mélange avec l'eau sale des bains publics et des blanchisseries, avec l'eau dans laquelle on lave les cadavres; le manque presque absolu de désinfectants et de médicaments pour ceux qui ont été atteints par la maladie; le manque de médecins capables; la circonstance enfin qu'au cours d'une épidémie on laisse les cadavres dans les maisons et même dans les rues, sans sépulture -tous ces faits et bien d'autres encore, facilitent la propagation rapide du fléau. Ils expliquent pourquoi le choléra se propage si promptement et sévit si terriblement, comme ce fut encore le cas l'année dernière.

La seule institution sanitaire dont dispose actuellement la Perse est le Conseil de santé qui siège à Téhéran. Ce conseil se compose d'un certain nombre de médecins persans, réunis sous la présidence d'un dignitaire persan. Le médecin particulier du Schah, D' Tholozan, le médecin de l'ambassade ottomane, qui est en même temps le délégué du Conseil à Constantinople, les médecins des légations d'Angleterre et de Russie, assistent aux séances du Conseil de santé. Les médecins persans sortent d'une école de Téhéran et sauf quelques exceptions ils ne sont pas venus en Europe, pour y parfaire leurs études; il en est de même de leurs maîtres.

Le Conseil ne possède pas de budget. Le Gouvernement se borne à mettre à la disposition du Conseil une salle de délibérations. Le président actuel du Conseil étant le frère du ministre des Télégraphes, il en résulte que le Conseil est tacitement autorisé à user sans frais des lignes télégraphiques persanes. Ce sont ses seuls avantages. Le Gouvernement n'est lié en aucune manière par les propositions du Conseil dont le vote est purement consultatif.

Le Conseil ne possède pas de correspondants payés, dans les provinces. C'est volontairement et sans rétribution que les médecins européens établis à Tabriz, Mesched, Chiraz et Ispahan, lui font des rapports. Les gouverneurs envoient sur l'état sanitaire des provinces qu'ils administrent des rapports irréguliers qui, dans l'hypothèse la plus favorable, sont élaborés par le médecin du gouverneur. Mais, le plus souvent, ils sont rédigés d'après le bruit qui court par des personnes n'ayant pas fait d'études médicales. Dans tous les cas, ces rapports dépendent complètement des vues personnelles du gouverneur. Il a été constaté à plusieurs reprises, durant l'épidémie de l'année précédente, que ces rapports mentionnaient un état sanitaire parfait dans des villes où le choléra faisait des centaines de victimes et qu'au contraire ils signalaient une épidémie croissante dans des endroits où l'état sanitaire était assez normal. Cette année, à la suite d'un différend survenu pendant une des dernières séances de l'année précédente, entre le docteur Tholozan et le médecin d'une des légations, on a renoncé aux réunions hebdomadaires. Le Conseil de santé si toutefois on peut donner ce nom à l'in

stitution qui vient d'être décrite n'existe donc que nominalement.

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En réalité, le docteur Tholozan fait des rapports et donne des conseils au Gouvernement, tandis que les médecins des différentes légations font des rapports à leurs légations respectives. D'ailleurs, durant l'épidémie de l'année dernière déjà, les légations d'Angleterre et de

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