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Pour peu qu'on eût de bonne foi, le sens de ces paroles seroit aisé à entendre, et on demeureroit d'accord que le mot de sanctifier se peut prendre en plusieurs manières. Il se prend en premier lieu pour tout ce qui est dédié aux saints usages. Ainsi le pain qu'on donnoit aux catéchumènes, selon saint Augustin (1), devenoit saint, encore qu'il ne fút pas le corps de notre Seigneur; ainsi les linges qui servent à l'Eucharistie, le corporal où l'on pose le corps de notre Seigneur, et qui est le sacré symbole du linceul où Jésus-Christ fut enseveli, le calice, et les autres vaisseaux sacrés sont şanctifiés par l'attouchement du corps de notre Seigneur, ou parce qu'ils sont employés à son ministère; et sans sortir du pain de l'Eucharistie, dès qu'on l'offre à Dieu pour le sacrifice, qu'il est posé sur l'autel, qu'on l'a béni; il cesse d'être regardé comme profane, encore qu'il n'ait pas été encore consacré pour être le corps de notre Seigneur. Mais outre cette sanctification plus générale, où les choses de profanes deviennent saintes et sacrées, il y a une autre sanctification du pain et du vin, lorsqu'ils sont consacrés et sanctifiés pour être le corps et le sang de notre Seigneur.

Il est donc aisé de comprendre qu'ici le vin est sanctifié de la première manière, dans la signification la plus étendue du terme de sanctifier; et qu'encore qu'on se serve du même terme pour le

(1) Lib. 11. de peccat. mer. et remiss. c. xxv1, n. 42; tom. x,

col. 62.

pain sanctifié le jour précédent, c'est-à-dire véritablement consacré, que pour le vin qui est sanctifié par l'attouchement de ce pain sacré, on peut aisément connoître qu'il y a une sainteté d'un autre ordre dans le pain qui communique la sainteté, que dans le vin qui la reçoit. Voilà une explication simple et naturelle, qui, parmi des gens de bonne foi, devroit faire cesser d'abord toute la difficulté: mais comme nous avons affaire à des esprits contentieux, il ne faut pas espérer qu'ils se rendent si facilement, et nous allons écouter leurs raisons.

CHAPITRE XXXIX.

Que le vin n'est point consacré par le mélange du corps.

Les paroles de l'Ordre romain que nous avons récitées, font conclure à M. de la Roque et à l'anonyme qu'on croyoit alors la consécration du vin par le mélange (1); et pour agir en tout de bonne foi, je veux bien leur avouer que quelquesuns le croyoient ainsi, déçus par l'autorité de cette rubrique mal entendue. Mais que ce fût l'intention de l'Ordre romain, ou de l'Eglise romaine, ou des auteurs tant soit peu instruits des sentimens de l'Eglise, je démontre que cela n'est pas possible: premièrement par Alcuin même, qui le premier nous a rapporté ces paroles de

(1) La Roq. Rép. II. part. ch. v, p. 241.

l'Ordre romain. Car lui-même dans ce même ouvrage, en continuant l'explication du divin service, et expliquant le canon de la messe, en vient enfin à ces paroles (1): Qui pridïè quàm pateretur, etc. c'est-à-dire, la veille de sa passion Jésus-Christ prit du pain en ses mains sacrées, etc., et dit: Ceci est mon corps: puis prenant ce sacré calice, etc., il dit: Ceci est mon sang, etc., faites ceci en mémoire de moi. Après quoi Alcuin poursuit ainsi : « Les apôtres ont » usé de ces paroles incontinent après l'ascension » de notre Seigneur, afin que l'Eglise sût par » où elle peut célébrer la perpétuelle mémoire » de son Rédempteur. Jésus-Christ l'a montré à » ses apôtres, et les apôtres à toute l'Eglise par » ces paroles, sans lesquelles nulle langue, nul » pays, nulle ville, nulle partie de l'Eglise ne » peut consacrer ce sacrement ». Et incontinent après : « C'est donc par la vertu et par les paroles » de Jésus-Christ qu'on a consacré au commen» cement le pain et le calice, qu'on le consacre » à présent, et qu'on ne cessera de le consacrer; » parce que Jésus-Christ prononçant encore par » les prêtres ces mêmes paroles, fait son saint » corps et son saint sang par une céleste béné» diction ». C'est donc croire que l'on consacre le sang aussi bien que le corps; et Alcuin n'a pas entendu qu'on pût consacrer le sang par le seul mélange sans prononcer aucune parole, ni que ce fût le sens de la rubrique qu'il rapportoit.

(1) Alc. de Div. Offic. cap. de celebr. Missæ, col. 287.

Ici M. de la Roque se tait : il ne dit pas un seul mot à ce passage d'Alcuin, quoique je l'eusse rapporté: sentant bien en sa conscience qu'il n'y a point de meilleur interprète d'Alcuin, ni de la rubrique qu'il nous a rapportée le premier, qu'Alcuin même. Il s'ensuit donc clairement que si l'on prend le pain sacré dans du vin, c'est une espèce d'ablution pour en faciliter le passage et entraîner toutes les parcelles de l'Eucharistie qui pourroient rester dans la bouche; et que s'il est dit que le vin soit sanctifié par le mélange du pain sacré, c'est de cette sanctification extérieure, où les choses qui ne sont pas saintes par elles-mêmes le deviennent en quelque façon par l'attouchement des choses sacrées, comme le calice, le corporal et les autres vaisseaux sacrés sont sanctifiés et cessent d'être profanes par l'attouchement du corps et du sang. C'est ainsi, dit saint Bernard (1), « que le vin mêlé avec l'hostie » consacrée, quoiqu'il ne soit pas consacré de » cette manière solennelle et particulière qui le >> change au sang de Jésus-Christ, ne laisse pas » d'être sacré en touchant le corps de notre Sei» gneur ».

Quand j'explique de cette sorte avec saint Bernard cette sanctification du vin mêlé avec le corps de notre Seigneur; l'anonyme, contre la coutume des autres ministres, qui témoignent peu de déférence pour ce saint dévot à la Vierge, dit que « quand Bernard de Clairvaux auroit (1) Epist. LXIX, n. 2; tom. 1, col. 71.

» été dans le sentiment de l'Eglise romaine d'au

>>

jourd'hui, il faut voir ce qu'en croyoit l'Eglise » romaine d'alors (1) ». Que né répondoit-il donc à l'autorité si expresse d'Alcuin, auteur du temps, qui nous a le premier parlé de la rubrique dont ils abusent? Pouvoit-il décider plus clairement qu'on ne peut consacrer le sang sans la parole, qu'en disant, comme il vient de faire, que sans ces paroles: «< CECI EST MON CORPS, CECI EST MON » SANG, nulle ville, nulle partie de l'Eglise n'a » jamais pu consacrer »?

Qu'on ne m'aille pas chicaner sur ce qu'on prétend que cet Alcuin n'est pas l'Alcuin, précepteur de Charlemagne. C'est tout ce que l'anonyme a su répondre à ce passage. Mais que ce soit cet Alcuin ou un autre, quoi qu'il en soit, il est constant que c'est un auteur du temps: que c'est le premier dont nous avons cette rubrique de l'Ordre romain: que Rémi d'Auxerre, auteur du temps a transcrit de mot à mot ce chapitre de la célébration de la messe dans l'ouvrage qu'il a composé sur la même matière (2): que Florus, autre auteur du temps très-célèbre par sa piété et par son savoir, en a fait autant (3); et qu'il n'y a rien de plus constant que cette doctrine.

Amalarius n'égale pas le savoir de Florus ni d'Alcuin ; mais soutenu par le même esprit de la tradition, il assure, en expliquant le canon, que

(1) Anon. p. 242, 253. — (2) Tom. vi. Bibl. PP. col. 450.(3) Ibid. col. 170.

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