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ne trouve déjà plus ici ce que disoit Michel Cérularius, que le vin par cette union est changé au sang. Je trouve le mot de sanctifié, qui tout au plus est équivoque. Mais quand il faudroit l'entendre, comme le disent mes adversaires, pour la véritable et parfaite consécration; il faudroit encore remonter plus haut pour établir la tradition, et l'autorité de l'Ordre romain n'est pas

suffisante.

Mais, me dira-t-on, vous avez vous-même recommandé l'autorité de ce livre comme étant l'ancien cérémonial de l'Eglise romaine, la mère des Eglises, et du Pape qui en est le chef. Il est vrai; mais j'ai démontré que cette cérémonie du Vendredi saint ne regardoit en aucune sorte l'Eglise romaine; et que, loin de consacrer, le Vendredi saint, par le mélange du pain consacré qu'on réservoit de la veille, elle n'usoit pas même de cette réserve, et ne faisoit point l'office des présanctifiés. On ne peut donc alléguer ici l'autorité de l'Eglise romaine ni du Pape.

Et après tout, il faudroit encore distinguer dans ce livre de l'Ordre romain, ce qui est de fait d'avec ce qui est de dogme. Quand un auteur, qui compose un cérémonial, me rapporte un fait, je le crois dans une chose d'usage dont il a ses yeux pour témoins, et pour garant la foi publique. Ainsi, sur la parole de celui qui a écrit les rubriques de l'Ordre romain, je ne nie point du tout qu'on ait mêlé le pain sacré dans du vin qui ne l'étoit pas. Mais si le rubricaire sortoit de

ses bornes, et que, devenant docteur, il décidât de son autorité que la parfaite consécration se peut faire par le mélange, comme si l'on ne pouvoit pas prendre le vin par forme d'ablution; il n'auroit plus la même autorité, et je voudrois qu'on me montrât la tradition par d'autres preuves.

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Respectons néanmoins ce rubricaire quel qu'il soit, à cause de l'autorité des auteurs qui l'ont rapporté au huitième ou neuvième siècle. J'ai démontré clairement, par ces auteurs, que la sanctification du vin, dont il parle, ne peut pas être la consécration de l'Eucharistie; puisqu'ici constamment on n'en dit mot, et que la consécration, selon ces auteurs, ne se peut faire que par la parole. Et quand je n'aurois pas ces auteurs, j'aurois pour moi l'office même dont on excluoit la consécration, et par conséquent celle du sang aussi bien que celle du corps: et quand je n'aurois pas toutes ces raisons, le mot de sanctifier qui est équivoque, devroit être déterminé par toute la tradition précédente; et jamais on ne prouvera par aucun passage que le vin soit changé au sang par le mélange, ou enfin qu'un sacrement soit fait sans parole.

L'anonyme s'élève ici contre nous (1), en disant qu'autrefois par le commun sentiment des Grecs et des Latins, « la consécration ne se fai» soit pas par la prononciation des paroles de » Jésus-Christ, mais par la prière; et poursuit-il, (1) Anon. p. 252.

» M.

» M. Aubertin et M. Daillé l'ont prouvé si clai»rement et si fortement, que je m'étonne qu'on » veuille encore chicaner sur un sujet si éclairci ». Je le veux : j'ai lu M. Aubertin et M. Daillé, et j'y ai vu mille beaux passages (car ces Messieurs prouvent admirablement ce que personne ne leur conteste) pour prouver que les sacremens, et entre autres l'Eucharistie, et le sang aussi bien que le corps, se consacrent par la prière ; ce qui aussi est indubitable en un certain sens, comme nous le verrons. M. de la Roque parle de même de son Histoire eucharistique (1), M. le Sueur en dit au-tant dans son Histoire de l'Eglise (2), comme nous l'avons déjà vu. Tous en un mot prouvent très bien que l'on consacre par une prière mystique, qui sans doute ne se fait pas sans parler. Mais que l'on consacrât par le mélange et sans dire mot, ce qui est pourtant ici notre question, ni Aubertin n'a entrepris de le prouver, ni Daillé n'y a songé, ni M. le Sueur ne l'a dit, ni même M. de la Roque ne l'a établi dans son Histoire eucharistique; et c'est la nécessité de se sauver de la communion trop certaine sans cela sous une espèce, qui l'a jeté dans ce sentiment sur de trop foibles témoignages.

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(1) La Roq. Hist. de l'Euch. I. part. ch. v11. — (2) Le Sueur. t. IV, p. 170. tom. vi, p. 119, 449, 604.

BOSSUET. XXIV.

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CHAPITRE XLI.

Suite des Réponses aux preuves des ministres : premier concile d'Orange.

Il est vrai qu'il a d'abord ébloui le monde par le nom du premier concile d'Orange, tenu en 441 sous le pontificat de saint Léon (1). Comme durant neuf cents ans il n'a que ce témoignage, il tâche de le faire valoir de toute sa force, et le fait passer par trois fois, devant nos yeux (2); comme ces rusés capitaines, qui, pour effrayer l'ennemi par l'idée d'une nombreuse armée, font faire de grands mouvemens au peu de troupes qu'ils ont, et les montrent coup sur coup en plusieurs endroits. Mais par malheur, de son aveù propre, ce canon qu'il a tant vanté ne fait rien à la question. Le voici comme le traduit M. de la Roque, peu exactement comme on verra: Qu'on doit offrir le calice, afin qu'il soit consacré par le mélange de l'Eucharistie. Cette version peut donner l'idée qu'il n'est point parlé dans ce canon de l'oblation du pain sacré, mais de la seule oblation du calice; et encore la version faitelle paroître que le calice n'est offert que pour être consacré par le mélange. Mais sans m'arrêter à toutes ces petites finesses que ce ministre

(1) Conc. Araus. 1. can. XVII. Conc. Gall, tom. 1. Lab. tom. 111, col. 1450. (2) Pag. 108, 185, 214.

peut avoir entendues dans sa version imparfaite, voici comment il faut traduire de mot à mot: Avec le vase, ou la boîte, ou enfin le réceptacle tel qu'il soit, CUM CAPSA, il faut aussi offrir le calice, et il le faut consacrer par le mélange de l'Eucharistie: CUM CAPSA ET CALIX OFFERendus EST, ET ADMIXTIONE EUCHARISTIÆ CONSECRANDUS. Le mot capsa vient de contenir et de recevoir, à capiendo: et c'est dans Odilon, abbé de Clugni (1), et dans un très-ancien exemplaire de l'Ordre romain, le vaisseau ou le réceptacle tel qu'il soit, où l'on mettoit l'Eucharistie. On peut bien s'être servi d'un vaisseau semblable pour présenter au pontife l'hostie qu'il devoit consacrer. Voilà donc la capse bien entendue, pour ce qui contient le pain qu'on devoit offrir: et le dessein du canon d'Orange est très-clair, en ce qu'il ordonne qu'on offre d'abord le pain et le vin ensemble, chacun dans son vaisseau propre, comme on fait encore aujourd'hui ; et qu'ensuite on les mêle ensemble, comme on a fait de tout temps dans la liturgie latine, un peu devant la communion, en disant ces mots : Ce mélange et cette consécration du corps et du sang de notre Seigneur nous donne en le prenant la vie éternelle : où il est clair que le mot de consécration ne signifie pas la consécration à faire, puisqu'on la suppose déjà faite, et le corps déjà corps comme le sang déjà sang, ainsi que les paroles le démontrent. Il

n'est donc pas ici parlé de la consécration pro(1) Bibl. PP. tom. x, col. 13.

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