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L'aimeras-tu toujours ? Troupe auguste et suprême,
Ah! vous le savez trop, Dieux enfants, si je l'aime.
Mais qu'avez-vous besoin de chaines et de traits?
Je n'ai point voulu fuir. Pourquoi tous ces apprêts ?
Sa beauté pouvait tout; mon âme sans défense
N'a point contre ses yeux cherché de résistance.
Oui, je brûle; ô Daphné ! laisse-moi du repos.
Je brûle; ô de mon cœur éloigne ces flambeaux.
Ah! plutôt que souffrir ces douleurs insensées,
Combien j'aimerais mieux sur des Alpes glacées
Être une pierre aride, ou dans le sein des mers
Un roc battu des vents, battu des flots amers!
O terre! ô mer! je brûle. Un poison moins rapide
Sut venger le Centaure et consumer Alcide.

Tel que le faon blessé fuit, court, mais dans son flanc
Traîne le plomb mortel qui fait couler son sang;
Ainsi là, dans mon cœur, errant à l'aventure,
Je porte cette belle, auteur de ma blessure.
Marne, Seine, Apollon n'est plus dans vos forêts,
Je ne le trouve plus dans vos antres secrets.
Ah! si je vais encor rêver sous vos ombrages,
Ce n'est plus que d'amour. Du sein de vos feuillages,
Daphné, fantôme aimé, m'environne, me suit
De bocage en bocage, et m'attire et me fuit.
Si dans mes tristes murs je me cherche un asile,
Hélas! contre l'amour en est-il un tranquille ?
Si de livres, d'écrits, de sphères, de beaux-arts,
Contre elle, contre lui je me fais des remparts,
A l'aspect de l'amour une terreur subite

Met bientôt les beaux-arts et les Muses en fuite.
Taciturne, mon front appuyé sur ma main,
D'elle seule occupé, mes jours coulent en vain.
Si j'écris, son nom seul est tombé de ma plume;
Si je prends au hasard quelque docte volume,

Encor ce nom chéri, ce nom délicieux,
Partout, de ligne en ligne, étincelle à mes yeux.
Je lui parle toujours, toujours je l'envisage;
Daphné, toujours Daphné, toujours sa belle image
Erre dans mon cerveau, m'assiége, me poursuit,
M'inquiète le jour, me tourmente la nuit.

Adieu donc, vains succès, studieuses chimères,
Et beaux-arts tant aimés, Muses jadis si chères ;
Malgré moi mes pensers ont un objet plus doux,
Ils sont tous à Daphné, je n'en ai plus pour vous.
Que ne puis-je à mon tour, ah! que ne puis-je croire
Que loin d'elle toujours j'occupe sa mémoire !

XXXV. G

O nécessité dure! ô pesant esclavage!

O sort! je dois donc voir, et dans mon plus bel âge,
Flotter mes jours, tissus de désirs et de pleurs,
Dans ce flux et reflux d'espoir et de douleurs !

Souvent, las d'être esclave et de boire la lie
De ce calice amer que l'on nomme la vie,
Las du mépris des sots qui suit la pauvreté,
Je regarde la tombe, asile souhaité;

Je souris à la mort volontaire et prochaine;

Je me prie, en pleurant, d'oser rompre ma chaîne ; Le fer libérateur qui percerait mon sein

Déjà frappe mes yeux et frémit sous ma main,

Et puis mon cœur s'écoute et s'ouvre à la faiblesse ; Mes parents, mes amis, l'avenir, ma jeunesse,

Mes écrits imparfaits; car, à ses propres yeux,
L'homme sait se cacher d'un voile spécieux.
A quelque noir destin qu'elle soit asservie,
D'une étreinte invincible il embrasse la vie,
Et va chercher bien loin, plutôt que de mourir,
Quelque prétexte ami de vivre et de souffrir.
Il a souffert, il souffre aveugle d'espérance,
Il se traîne au tombeau de souffrance en souffrance,
Et la mort, de nos maux ce remède si doux,
Lui semble un nouveau mal, le plus cruel de tous.

XXXVI.

Allons, l'heure est venue, allons trouver Camille.
Elle me suit partout. Je dormais, seul, tranquille,
Un songe me l'amène, et mon sommeil s'enfuit.
Je la voyais en songe au milieu de la nuit ;
Elle allait me cherchant sur sa couche fidèle,
Et me tendait les bras et m'appelait près d'elle.
Les songes ne sont point capricieux et vains;
Ils ne vont point tromper les esprits des humains.
De l'Olympe souvent un songe est la réponse,
Dans tous ceux des amants la vérité s'annonce.
Quel air suave et frais! le beau ciel ! le beau jour !
Les Dieux me le gardaient; il est fait pour l'amour.

Quel charme de trouver la beauté paresseuse,
De venir visiter sa couche matineuse,

De venir la surprendre au moment que ses yeux
S'efforcent de s'ouvrir à la clarté des cieux;

Douce dans son éclat, et fraîche et reposée,
Semblable aux autres fleurs, filles de la rosée.
Oh! quand j'arriverai, si, livrée au repos,
Ses yeux n'ont point encor secoué les pavots,
Oh! je me glisserai vers la plume indolente,
Doucement, pas à pas, et ma main caressante
Et mes fougueux transports feront à son sommeil
Succéder un subit, mais un charmant réveil ;
Elle reconnaîtra le mortel qui l'adore,

Et mes baisers long-temps empêcheront encore
Sur ses yeux, sur sa bouche, empressés de courir,
Sa bouche de se plaindre et ses yeux de s'ouvrir.

Mais j'entrevois enfin sa porte souhaitée.

Que de bruit! que de chars! quelle foule agitée !
Tous vont revoir leurs biens, leurs chimères, leur or;
Et moi, tout mon bonheur, Camille, mon trésor.
Hier, quand malgré moi je quittai son asile,

Elle m'a dit :

Pourquoi t'éloigner de Camille? Tu sais bien que je meurs si tu n'es près de moi. » Ma Camille, je viens, j'accours, je suis chez toi. Le gardien de tes murs, ce vieillard qui m'admire, M'a vu passer le seuil et s'est mis à sourire. Bon! j'ai su (les amants sont guidés par les Dieux) Monter sans nul obstacle et j'ai fui tous les yeux.

Ah! que vois-je ?... Pourquoi ma porte accoutumée,
Cette porte secrète, est-elle donc fermée ?
Camille, ouvrez, ouvrez, c'est moi. L'on ne vient pas.
Ciel! elle n'est point seule! On murmure tout bas.
Ah! c'est la voix de Lise. Elles parlent ensemble.
On se hâte; l'on court; on vient enfin; je tremble.
Qu'est-ce donc à m'ouvrir pourquoi tous ces délais ?
Pourquoi ces yeux mourants et ces cheveux défaits ?

Pourquoi cette terreur dont vous semblez frappée ?
D'où vient qu'en me voyant Lise s'est échappée ?
J'ai cru, prêtant l'oreille, ouïr entre vous deux
Des murmures secrets, des pas tumultueux.
Pourquoi cette rougeur, cette pâleur subite,

Perfide! un autre amant ?... Ciel! elle a pris la fuite.
Ah! Dieux! je suis trahi. Mais je prétends savoir...
Lise, Lise, ouvrez-moi, parlez! mais fol espoir !
La digne confidente auprès de sa maîtresse
Lui travaille à loisir quelque subtile adresse,
Quelque discours profond et de raisons pourvu,
Par qui ce que j'ai vu, je ne l'aurai point vu.
Dieux! comme elle approchait (sexe ingrat, faux, perfide!),
S'asseyant, effrontée à la fois et timide,

Voulant hâter l'effort de ses pas languissants,

Voulant m'ouvrir des bras fatigués, impuissants;

Abattue, et sa voix altérée, incertaine,

Ses yeux anéantis ne s'ouvrant plus qu'à peine,
Ses cheveux en désordre et rajustés en vain,
Et son haleine encore agitée, et son sein...
Des caresses de feu sur son sein imprimées
Et de baisers récents ses lèvres enflammées,
J'ai tout vu. Tout m'a dit une coupable nuit.
Sans même oser répondre, interdite, elle fuit,
Sans même oser tenter le hasard d'un mensonge;
Et moi, comme abusé des promesses d'un songe,
Je venais, j'accourais, sûr d'être souhaité,
Plein d'amour, et de joie, et de tranquillité!

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