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SUR LA FRIVOLITÉ.

Mère du vain caprice et du léger prestige,
La fantaisie ailée autour d'elle voltige :

Nymphe au corps ondoyant, né de lumière et d'air,
Qui, mieux que l'onde agile on le rapide éclair,
Ou la glace inquiète au soleil présentée,
S'allume en un instant, purpurine, argentée,
Ou s'enflamme de rose, ou pétille d'azur.
Un vol la précipite, inégal et peu sûr.
La déesse jamais ne connut d'autre guide.
Les rêves transparents, troupe vaine et fluide,
D'un vol étincelant caressent ses lambris.
Auprès d'elle à toute heure elle occupe les ris.
L'un pétrit les baisers des bouches embaumées ;
L'autre, le jeune éclat des lèvres enflammées;
L'autre, inutile et seul, au bout d'un chalumeau
En globe aérien souffle une goutte d'eau.
La reine, en cette cour qu'anime la folie,

Va, vient, chante, se tait, regarde, écoute, oublie,
Et, dans mille cristaux qui portent son palais,
Rit de voir mille fois étinceler ses traits.

II.

FABLE *.

HORACE, SATIRE VI, LIVRE II.

Un jour le rat des champs, ami du rat de ville,
Invita son ami dans son rustique asile.

Il était économe et soigneux de son bien;

Mais l'hospitalité, leur antique lien,

Fit les frais de ce jour comme d'un jour de fête.
Tout fut prêt lard, raisin, et fromage, et noisette.
Il cherchait par le luxe et la variété

A vaincre les dégoûts d'un hôte rebuté,
Qui, parcourant de l'œil sa table officieuse,
Jetait sur tout à peine une dent dédaigneuse.
Et lui, d'orge et de blé faisant tout son repas,
Laissait au citadin les mets plus délicats.

- ((

Ami, dit celui-ci, veux-tu dans la misère Vivre au dos escarpé de ce mont solitaire, Ou préférer le monde à tes tristes forêts ? Viens; crois-moi, suis mes pas; la ville est ici près : Festins, fêtes, plaisirs y sont en abondance. L'heure s'écoule, ami; tout fuit, la mort s'avance : Les grands ni les petits n'échappent à ses lois; Jouis, et te souviens qu'on ne vit qu'une fois. >>

Le villageois écoute, accepte la partie :

On se lève, et d'aller. Tous deux de compagnie,

* Voir aussi Ésope et les FABLES de La Fontaine, liv. I, fab. 9.

Nocturnes voyageurs, dans des sentiers obscurs

Se glissent vers la ville et rampent sous les murs.
La nuit quittait les cieux quand notre couple avide
Arrive en un palais opulent et splendide,

Et voit fumer encor dans des plats de vermeil
Des restes d'un souper le brillant appareil.
L'un s'écrie, et, riant de sa frayeur naïve,
L'autre sur le duvet fait placer son convive,
S'empresse de servir, ordonner, disposer,
Va, vient, fait les honneurs, le priant d'excuser.

Le campagnard bénit sa nouvelle fortune;
Sa vie en ses déserts était âpre, importune :
La tristesse, l'ennui, le travail et la faim.
Ici l'on y peut vivre; et de rire. Et soudain
Des volets à grand bruit interrompent la fête.
On court, on vole, on fuit; nul coin, nulle retraite.
Les dogues réveillés les glacent par leur voix ;
Toute la maison tremble au bruit de leurs abois.
Alors le campagnard, honteux de son délire:

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Soyez heureux, dit-il; adieu, je me retire,
Et je vais dans mon trou rejoindre en sûreté
Le sommeil, un peu d'orge et la tranquillité.

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III.

Ainsi lorsque souvent le gouvernail agile
De Douvre ou de Tanger fend la route mobile,
Au fond du noir vaisseau sur la vague roulant
Le passager languit malade et chancelant.

Son regard obscurci meurt. Sa tête pesante
Tourne comme le vent qui souffle la tourmente,
Et son cœur nage et flotte en son sein agité
Comme de bonds en bonds le navire emporté.
Il croit sentir sous lui fuir la planche légère.
Triste et pâle, il se couche, et la nausée amère
Soulève sa poitrine, et sa bouche à longs flots
Inonde les tapis destinés au repos.

Il verrait sans chagrin la mort et le naufrage :
Stupide, il a perdu sa force et son courage.
Il ne retrouve plus ses membres engourdis.
Il ne peut secourir son ami ni son fils,

Ni soutenir son père, et sa main faible et lente

Ne peut serrer la main de sa femme expirante.

Fait en partie dans le vaisseau, en allant à Douvres, le 6, couché et souffrant. Écrit à Londres le 10 décembre 1787.

IV.

Londres, décembre 1782.

Sans parents, sans amis et sans concitoyens,
Oublié sur la terre et loin de tous les miens,

Par les vagues jeté sur cette île farouche,

Le doux nom de la France est souvent sur ma bouche.
Auprès d'un noir foyer, seul, je me plains du sort.
Je compte les moments, je souhaite la mort ;
Et pas un seul ami dont la voix m'encourage,
Qui près de moi s'asseye, et, voyant mon visage
Se baigner de mes pleurs et tomber sur mon sein,
Me dise
Qu'as-tu donc ? » et me presse la main.

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