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V. €

Laissons là les Anglais,

Nation toute à vendre à qui peut la payer;

Laissons leur jeunesse.

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mélancolique,
Au sortir du gymnase ignorante et rustique,
De contrée en contrée aller au monde entier
Offrir sa joie ignoble et son faste grossier,
Promener son ennui, ses travers, ses caprices,
A ses vices partout ajouter d'autres vices,
Et présenter au ris du public indulgent
Son insolent orgueil fondé sur quelque argent.

Les poètes anglais, trop fiers pour être esclaves,
Ont même du bon sens rejeté les entraves.
Dans leur ton uniforme en leur vaine splendeur,
Haletants pour atteindre une fausse grandeur,
Tristes comme leur ciel toujours ceint de nuages,
Enflés comme la mer qui blanchit leurs rivages,
Et sombres et pesants comme l'air nébuleux
Que leur ile farouche épaissit autour d'eux,
Du génie étranger détracteurs ridicules,
D'eux-mêmes et d'eux seuls admirateurs crédules,
Et pourtant quelquefois, dans leurs écrits nombreux,
Dignes d'être admirés par d'autres que par eux.

VI.

Voyez rajeunir d'âge en âge
L'antique et naïve beauté

De ces muses dont le langage

Est brillant comme leur visage,

De force, de douceur, de grâce et de fierté.
De ce cortége de la Grèce

Suivez les banquets séducteurs ;

Mais fuyez la pesante ivresse

De ce faux et bruyant Permesse

Que du nord nébuleux boivent les durs chanteurs.

VII.

CHANSONS DES YEUX.

IMITÉ DE SHAKESPEARE.

Viens là sur des joncs frais ta place est toute prête. Viens, viens, sur mes genoux viens reposer ta tête. Les yeux levés sur moi, tu resteras muet,

Et je te chanterai la chanson qui te plaît.

Comme on voit, au moment où Phœbus va renaître,
La nuit prête à s'enfuir, le jour prêt à paraître,
Je verrai tes beaux yeux, les yeux de mon ami,
En un léger sommeil se fermer à demi.

Tu me diras : ((

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Adieu, je dors, adieu, ma belle.

Adieu, dirai-je, adieu, dors, mon ami fidèle,

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Car le.

aussi dort le front vers les cieux,

Et j'irai te baiser et le front et les yeux.

Ne me regarde point, cache, cache tes yeux;

Mon sang en est brûlé; tes regards sont des feux.

Viens, viens. Quoique vivant, et dans ta fleur première,
Je veux avec mes mains te fermer la paupière,

Ou malgré tes efforts je prendrai ces cheveux
Pour en faire un bandeau qui te cache les yeux.

Mais surtout sans les yeux quels plaisirs sont parfaits?
Laissez près d'une couche ainsi voluptueuse
Veiller, discret témoin, la cire lumineuse.
Elle a tout vu la nuit, elle a tout épié;
Dès que le jour paraît, elle a tout oublié.

VIII.

SUR LA MORT D'UN ENFANT.

L'innocente victime, au terrestre séjour,

N'a vu que le printemps qui lui donna le jour.
Rien n'est resté de lui qu'un nom, un vain nuage,
Un souvenir, un songe, une invisible image.
Adieu, fragile enfant, échappé de nos bras;
Adieu, dans la maison d'où l'on ne revient pas.
Nous ne te verrons plus, quand de moissons couverte
La campagne d'été rend la ville déserte ;

Dans l'enclos paternel nous ne te verrons plus,
De tes pieds, de tes mains, de tes flancs demi-nus,
Presser l'herbe et les fleurs dont les nymphes de Seine
Couronnent tous les ans les coteaux de Lucienne.
L'axe de l'humble char à tes jeux destiné,

Par de fidèles mains avec toi promené,

Ne sillonnera plus les prés et le rivage.

Tes regards, ton murmure, obscur et doux langage,
N'inquièteront plus nos soins officieux;

Nous ne recevrons plus avec des cris joyeux
Les efforts impuissants de ta bouche vermeille

A bégayer les sons offerts à ton oreille.

Adieu, dans la demeure où nous nous suivrons tous, Où ta mère déjà tourne ses yeux jaloux.

IX.

Ah! j'atteste les cieux que j'ai voulu le croire,
J'ai voulu démentir et mes yeux et l'histoire.
Mais non il n'est pas vrai que les cœurs excellents
- Soient les seuls en effet où germent les talents.
Un mortel peut toucher une lyre sublime

Et n'avoir qu'un cœur faible, étroit, pusillanime,
Inhabile aux vertus qu'il sait si bien chanter,
Ne les imiter point et les faire imiter.

Se louant dans autrui, tout poète se nomme

Le premier des mortels, un héros, un grand homme.
On prodigue aux talents ce qu'on doit aux vertus ;
Mais ces titres pompeux ne m'abuseront plus.

Son génie est fécond, il pénètre, il enflamme;
D'accord. Sa voix émeut, ses chants élèvent l'âme;
Soit. C'est beaucoup, sans doute, et ce n'est point assez.
Sait-il voir ses talents par d'autres effacés ?

Est-il fort à se vaincre, à pardonner l'offense?
Aux sages méconnus qu'opprime l'ignorance
Prête-t-il de sa voix le courageux appui ?

Vrai, constant, toujours juste, et même contre lui,

Homme droit, ami sûr, doux, modeste, sincère,
Ne verra-t-on jamais l'espoir d'un beau salaire,
Les caresses des grands, l'or ni l'adversité
Abaisser de son cœur l'indomptable fierté?

Il est grand homme alors. Mais nous, peuple inutile,
Grands hommes pour savoir avec un art facile,
Des syllabes, des mots, arbitres souverains,
En un sonore amas de vers alexandrins,
Des rimes aux deux voix famille ingénieuse,
Promener deux à deux la file harmonieuse !

x.

Belles, le ciel a fait pour les mâles cerveaux
L'infatigable étude et les doctes travaux.

Pour vous sont les talents aimables et faciles.
O le sinistre emploi pour les grâces.

De poursuivre une sphère en ses cercles nombreux,
Ou du sec A plus B les sentiers ténébreux !
Quelle bouche immolée à leurs phrases si dures
Aura jamais la nuit de suaves murmures,

Et pourra s'amollir à soupirer mon cœur !
Mon áme! et tous ces noms d'amoureuse langueur ?

XI.

SUR UN POÈTE SOI-DISANT.

Mais désormais à peine il suffit à sa gloire :
On se l'arrache. Il court de victoire en victoire.

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