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Chacun de ses refrains fait des recueils fort beaux.
Il attache une tête aux bouts-rimés nouveaux.
Aux droits litigieux de plusieurs synonymes
Il sait même assigner leurs bornes légitimes.
Bientôt chez tous les sots on sait de toute part
Jusqu'où vont ses talents; que lui seul avec art
Noue une obscure énigme au regard louche et fade,
Hache et disloque un mot en absurde charade,
Construit, tordant les mots vers un sens gauche et lourd,
Le Janus à deux fronts, l'hébété calembourg.

XII.

Or, venez maintenant, graves compilateurs,
Déployez pour mes vers vos balances critiques,
Flétrissez-les du sceau des lettres italiques.

Assurez que ma muse est froide ou téméraire,
Que mes vers sont mauvais, que ma rime est vulgaire :
Je l'ai bien fait exprès; votre chagrin m'est doux,
Je serais bien fâché qu'ils fussent bons pour vous.
Mon Dieu lorsqu'imitant ce bon roi de Phrygie,
Vous jugez ou le drame, ou l'ode, ou l'élégie,
Faut-il que nul démon, ami du genre humain,
Jamais à votre front ne porte votre main !
Vous sauriez une fois combien les doctes veilles
Sur votre tête auguste allongent les oreilles.

I. E

A LA FRANCE.

France! ô belle contrée, ô terre généreuse

Que les Dieux complaisants formaient pour être heureuse,
Tu ne sens point du nord les glaçantes horreurs ;
Le midi de ses feux t'épargne les fureurs.

Tes arbres innocents n'ont point d'ombres mortelles,
Ni des poisons épars dans tes herbes nouvelles
Ne trompent une main crédule; ni tes bois
Des tigres frémissants ne redoutent la voix ;
Ni les vastes serpents ne trainent sur tes plantes
En longs cercles hideux leurs écailles sonnantes.

Les chênes, les sapins et les ormes épais
En utiles rameaux ombragent tes sommets,
Et de Beaune et d'Aï les rives fortunées,
Et la riche Aquitaine, et les hauts Pyrénées,
Sous leurs bruyants pressoirs font couler en ruisseaux
Des vins délicieux mûris sur leurs coteaux.
La Provence odorante et de Zéphyre aimée
Respire sur les mers une haleine embaumée;
Au bord des flots couvrant, délicieux trésor,
L'orange et le citron de leur tunique d'or,
Et plus loin, au penchant des collines pierreuses,
Forme la grasse olive aux liqueurs savonneuses,

Et ces réseaux légers, diaphanes habits,
Où la fraîche grenade enferme ses rubis.
Sur tes rochers touffus la chèvre se hérisse,
Tes prés enflent de lait la féconde génisse,
Et tu vois tes brebis, sur le jeune gazon,
Épaissir le tissu de leur blanche toison.

Dans les fertiles champs voisins de la Touraine,
Dans ceux où l'Océan boit l'urne de la Seine,
S'élèvent pour le frein des coursiers belliqueux.
Ajoutez cet amas de fleuves tortueux :

L'indomptable Garonne aux vagues insensées,
Le Rhône impétueux, fils des Alpes glacées,
La Seine au flot royal, la Loire dans son sein
Incertaine, et la Saône, et mille autres enfin
Qui nourrissent partout, sur tes nobles rivages,
Fleurs, moissons et vergers, et bois, et pâturages;
Rampent au pied des murs d'opulentes cités
Sous les arches de pierre à grand bruit emportés.

Dirai-je ces travaux, source de l'abondance,
Ces ports où des deux mers l'active bienfaisance
Amène les tributs du rivage lointain

Que visite Phoebus le soir et le matin ?

Dirai-je ces canaux, ces montagnes percées,

De bassins en bassins ces ondes amassées

Pour joindre aux pieds des monts l'une et l'autre Thétis?
Et ces vastes chemins en tous lieux départis,

Où l'étranger, à l'aise achevant son voyage,
Pense aux noms des Trudaine et bénit leur ouvrage ?

Ton peuple industrieux est né pour les combats.
Le glaive, le mousquet n'accablent point ses bras.
Il s'élance aux assauts, et son fer intrépide
Chassa l'impie Anglais, usurpateur avide.

Le ciel les fit humains, hospitaliers et bons
Amis des doux plaisirs, des festins, des chansons;
Mais faibles, opprimés, la tristesse inquiète

Glace ces chants joyeux sur leur bouche muette,
Pour les jeux, pour la danse appesantit leurs pas,
Renverse devant eux les tables des repas,

Flétrit de longs soucis, empreinte douloureuse,
Et leur front et leur âme. O France! trop heureuse
Si tu voyais tes biens, si tu profitais mieux
Des dons que tu reçus de la bonté des cieux !

Vois le superbe Anglais, l'Anglais dont le courage
Ne s'est soumis qu'aux lois d'un sénat libre et sage,
Qui t'épie, et, dans l'Inde éclipsant ta splendeur,
Sur tes fautes sans nombre élève sa grandeur.
Il triomphe, il t'insulte. O combien tes collines
Tressailleraient de voir réparer tes ruines,
Et pour la liberté donneraient sans regrets,
Et leur vin, et leur huile, et leurs belles forêts!
J'ai vu dans tes hameaux la plaintive misère,
La mendicité blême et la douleur amère.
Je t'ai vu dans tes biens, indigent laboureur,
D'un fisc avare et dur maudissant la rigueur,
Versant aux pieds des grands des larmes inutiles,
Tout trempé de sueurs pour toi-même infertiles,
Découragé de vivre, et plein d'un juste effroi
De mettre au jour des fils malheureux comme toi;
Tu vois sous les soldats les villes gémissantes;
Corvée, impôts rongeurs, tributs, taxes pesantes,
Le sel, fils de la terre, ou même l'eau des mers,
Source d'oppressions et de fléaux divers;
Vingt brigands, revêtus du nom sacré de prince,
S'unir à déchirer une triste province,

Et courir à l'envi, de son sang altérés,

Se partager entre eux ses membres déchirés.
O sainte égalité ! dissipe nos ténèbres,
Renverse les verroux, les bastilles funèbres.
Le riche indifférent, dans un char promené,
De ces gouffres secrets partout environné,

Rit avec les bourreaux s'il n'est bourreau lu; même ;
Près de ces noirs réduits de la misère extrême,
D'une maîtresse impure achète les transports,
Chante sur des tombeaux, et boit parmi des morts.

Malesherbes, Turgot, ô vous en qui la France
Vit luire, hélas ! en vain, sa dernière espérance;
Ministres dont le cœur a connu la pitié,
Ministres dont le nom ne s'est point oublié,
Ah! si de telles mains, justement souveraines,
Toujours de cet empire avaient tenu les rênes !
L'équité clairvoyante aurait régné sur nous,
- Le faible aurait osé respirer près de vous;
L'oppresseur, évitant d'armer d'injustes plaintes,
Sinon quelque pudeur, aurait eu quelques craintes ;
Le délateur impie, opprimé par la faim,

Serait mort dans l'opprobre, et tant d'hommes enfin,
A l'insu de nos lois, à l'insu du vulgaire,
Foudroyés sous les coups d'un pouvoir arbitraire,
De cris non entendus, de funèbres sanglots,
Ne feraient point gémir les voûtes des cachots.

Non, je ne veux plus vivre en ce séjour servile;
J'irai, j'irai bien loin me chercher un asile,
Un asile à ma vie en son paisible cours,
Une tombe à ma cendre à la fin de mes jours,
Où d'un grand au cœur dur l'opulence homicide
Du sang d'un peuple entier ne sera point avide,
Et ne me dira point, avec un rire affreux,

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