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X.

VERSAILLES

O Versaille, ô bois, ô portiques,
Marbres vivants, berceaux antiques,
Par les dieux et les rois Élysée embelli,
A ton aspect, dans ma pensée,

Comme sur l'herbe aride une fraîche rosée,
Coule un peu de calme et d'oubli.

Paris me semble un autre empire,
Dès que chez toi je vois sourire

Mes pénates secrets couronnés de rameaux,
D'où souvent les monts et les plaines

Vont dirigeant mes pas aux campagnes prochaines,
Sous de triples cintres d'ormeaux.

Les chars, les royales merveilles,

Des gardes les nocturnes veilles,

Tout a fui; des grandeurs tu n'es plus le séjour :
Mais le sommeil, la solitude,

Dieux jadis inconnus, et les arts, et l'étude,
Composent aujourd'hui ta cour.

Ah! malheureux! à ma jeunesse

Une oisive et morne paresse
Ne laisse plus goûter les studieux loisirs.
Mon âme, d'ennui consumée,

S'endort dans les langueurs. Louange et renommée
N'inquiètent plus mes désirs.

⚫ Cette ode a été écrite peu de temps après le massacre des prisonniers de

Versailles.

L'abandon, l'obscurité, l'ombre,

Une paix taciturne et sombre,

Voilà tous mes souhaits. Cache mes tristes jours
Versailles, s'il faut que je vive,

Nourris de mon flambeau la clarté fugitive,

Aux douces chimères d'amours.

L'âme n'est point encor flétrie,

La vie encor n'est point tarie,

Quand un regard nous trouble et le cœur et la voix.
Qui cherche les pas d'une belle,

Qui peut ou s'égayer ou gémir auprès d'elle,
De ses jours peut porter le poids.

J'aime; je vis. Heureux rivage!

Tu conserves sa noble image,

Son nom, qu'à tes forêts j'ose apprendre le soir,
Quand, l'âme doucement émue,

J'y reviens méditer l'instant où je l'ai vue,
Et l'instant où je dois la voir.

Pour elle seule encore abonde

Cette source, jadis féconde,

Qui coulait de ma bouche en sons harmonieux.
Sur mes lèvres tes bosquets sombres

Forment pour elle encor ces poétiques nombres,
Langage d'amour et des Dieux.

Ah! témoin des succès du crime, Si l'homme juste et magnanime Pouvait ouvrir son cœur à la félicité, Versailles, tes routes fleuries,

Ton silence, fertile en belles rêveries,

N'auraient que joie et volupté.

Mais souvent tes vallons tranquilles,

Tes sommets verts, tes frais asiles,
Tout-à-coup à mes yeux s'enveloppent de deuil.
J'y vois errer l'ombre livide

D'un peuple d'innocents qu'un tribunal perfide
Précipite dans le cercueil.

XI.

A CHARLOTTE CORDAY,

EXÉCUTÉE LE 18 JUILLET 1793.

Quoi! tandis que partout, ou sincères, ou feintes,
Des lâches, des pervers, les larmes et les plaintes
Consacrent leur Marat parmi les Immortels,
Et que, prêtre orgueilleux de cette idole vile,
Des fanges du Parnasse un impudent reptile
Vomit un hymne infâme au pied de ses autels *

La vérité se tait ! Dans sa bouche glacée,
Des liens de la peur sa langue embarrassée
Dérobe un juste hommage aux exploits glorieux !
Vivre est-il donc si doux ? de quel prix est la vie,
Quand, sous un joug honteux la pensée asservie,
Tremblante au fond du cœur, se cache à tous les yeux ?

Non, non, je ne veux point t'honorer en silence,

Toi qui crus par ta mort ressusciter la France,

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Et dévouas tes jours à punir des forfaits.

Le glaive arma ton bras. fille grande et sublime,

Pour faire honte aux Dieux, pour réparer leur crime, Quand d'un homme à ce monstre ils donnèrent les traits.

Le noir serpent, sorti de sa caverne impure,

A donc vu rompre enfin sous ta main ferme et sûre

Le venimeux tissu de ses jours abhorrés !

Aux entrailles du tigre, à ses dents homicides,
Tu vins redemander et les membres livides
Et le sang des humains qu'il avait dévorés !

Son œil mourant t'a vue, en ta superbe joie,
Féliciter ton bras et contempler ta proie.
Ton regard lui disait : « Va, tyran furieux,
Va, cours frayer la route aux tyrans tes complices.
Te baigner dans le sang fut tes seules délices,
Baigne-toi dans le tien et reconnais des Dieux. »>

La Grèce, ô fille illustre ! admirant ton courage,
Épuiserait Paros pour placer ton image

Auprès d'Harmodius, auprès de son ami;

Et des chœurs sur ta tombe, en une sainte ivresse,
Chanteraient Némésis, la tardive déesse,

Qui frappe le méchant sur son trône endormi.

Mais la France à la hache abandonne ta tête.
C'est au monstre égorgé qu'on prépare une fête
Parmi ses compagnons, tous dignes de son sort.
Oh! quel noble dédain fit sourire ta bouche,
Quand un brigand, vengeur de ce brigand farouche,
Crut te faire pâlir aux menaces de mort!

C'est lui qui dut pâlir, et tes juges sinistres,
Et notre affreux sénat et ses affreux ministres,

Quand, à leur tribunal, sans crainte et sans appui, Ta douceur, ton langage et simple et magnanime Leur apprit qu'en effet, tout puissant qu'est le crime, Qui renonce à la vie est plus puissant que lui.

Long-temps, sous les dehors d'une allégresse aimable,
Dans ses détours profonds ton âme impénétrable
Avait tenu cachés les destins du pervers.
Ainsi, dans le secret amassant la tempête,
Rit un beau ciel d'azur, qui cependant s'apprête
A foudroyer les monts, à soulever les mers.

Belle, jeune, brillante, aux bourreaux amenée,
Tu semblais t'avancer sur le char d'hyménée;
Ton front resta paisible et ton regard serein.
Calme sur l'échafaud, tu méprisas la rage
D'un peuple abject, servile et fécond en outrage,
Et qui se croit encore et libre et souverain.

La vertu seule est libre. Honneur de notre histoire,
Notre immortel opprobre y vit avec ta gloire;
Seule, tu fus un homme, et vengeas les humains!
Et nous, eunuques vils, troupeau lâche et sans âme,
Nous savons répéter quelques plaintes de femme,
Mais le fer pèserait à nos débiles mains.

Un scélérat de moins rampe dans cette fange.
La Vertu t'applaudit; de sa mâle louange
Entends, belle héroïne, entends l'auguste voix.
O Vertu ! le poignard, seul espoir de la terre,
Est ton arme sacrée, alors que le tonnerre
Laisse régner le crime et te vend à ses lois.

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