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II.

IMITÉ D'UNE IDYLLE DE BION.

Loin des bords trop fleuris de Gnide et de Paphos,
Effrayé d'un bonheur ennemi du repos,

J'allais, nouveau pasteur, aux champs de Syracuse
Invoquer dans mes vers la nymphe d'Aréthuse;
Lorsque Vénus, du haut des célestes lambris,
Sans armes, sans carquois, vint m'amener son fils.
Tous deux ils souriaient : « Tiens, berger, me dit elle,
Je te laisse mon fils, sois son guide fidèle ;
Des champêtres douceurs instruis ses jeunes ans ;
Montre-lui la sagesse; elle habite les champs.
Elle fuit. Moi, crédule à cette voix perfide,
J'appelle près de moi l'enfant doux et timide.
Je lui dis nos plaisirs, et la paix des hameaux ;
Un dieu même au Pénée abreuvant des troupeaux ;
Bacchus et les moissons; quel dieu, sur le Ménale,
Forma de neuf roseaux une flûte inégale.

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Mais lui, sans écouter mes rustiques leçons,
M'apprenait, à son tour, d'amoureuses chansons;
La douceur d'un baiser, et l'empire des belles ;
Tout l'Olympe soumis à des beautés mortelles;
Des flammes de Vénus Pluton même animé ;
Et le plaisir divin d'aimer et d'être aimé.

Que ses chants étaient doux ! je m'y laissai surprendre.
Mon âme ne pouvait se lasser de l'entendre.
Tous mes préceptes vains, bannis de mon esprit,
Pour jamais firent place à tout ce qu'il m'apprit.
Il connaît sa victoire, et sa bouche embaumée
Verse un miel amoureux sur ma bouche pâmée.
Il coula dans mon cœur; et, de cet heureux jour,
Et ma bouche et mon cœur n'ont respiré qu'amour.

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O lignes que sa main, que son cœur a tracées !
O nom baisé cent fois! craintes bientôt chassées !
Oui cette longue route, et ces nouveaux séjours,
Je craignais... Mais enfin mes lettres, nos amours
Ma mémoire, partout sont tes chères compagnes.
Dis vrai ! Suis-je avec toi dans ces riches campagnes
Où du Rhône indompté l'Arve, trouble et fangeux,
Vient grossir et souiller le cristal orageux ?

Ta lettre se promet qu'en ces nobles rivages
Où Senart épaissit ses immenses feuillages,
Des vers pleins de ton nom attendent ton retour,
Tout trempés de douceurs, de caresses, d'amour.
Heureux qui, tourmenté de flammes inquiètes,
Peut du Permesse encor visiter les retraites;
Et loin de son amante, égayant sa langueur,
Calmer par des chansons les troubles de son cœur !
Camille, où tu n'es point, moi je n'ai pas de Muse.
Sans toi, dans ses bosquets Hélicon me refuse;
Les cordes de la lyre ont oublié mes doigts,
Et les chœurs d'Apollon méconnaissent ma voix.
Ces regards purs et doux, que sur ce coin du monde
Verse d'un ciel ami l'indulgence féconde,

N'éveillent plus mes sens ni mon âme. Ces bords
Ont beau de leur Cybèle étaler les trésors;
Ces ombrages n'ont plus d'aimables rêveries,
Et l'ennui taciturne habite ces prairies.
Tu fis tous leurs attraits: ils fuyaient avec toi
Sur le rapide char qui t'éloignait de moi.

Errant et fugitif, je demande Camille

A ces antres, souvent notre commun asile;
Ou je vais te cherchant dans ces murs attristés,
Sous tes lambris, jamais par moi seul habités,
Où ta harpe se tait, où la voûte sonore
Fut pleine de ta voix et la répète encore ;
Où tous ces souvenirs cruels. et précieux
D'un humide nuage obscurcissent mes yeux.
Mais pleurer est amer pour une belle absente;

Il n'est doux de pleurer qu'aux pieds de son amante,
Pour la voir s'attendrir, caresser vos douleurs,

Et de sa belle main vous essuyer vos pleurs;
Vous baiser, vous gronder, jurer qu'elle vous aime,
Vous défendre une larme et pleurer elle-même.

Eh bien! sont-ils bien tous empressés à te voir?
As-tu sur bien des cœurs promené ton pouvoir?
Vois-tu tes jours suivis de plaisirs et de gloire,
Et chacun de tes pas compter une victoire?
Oh! quel est mon bonheur si, dans un bal bruyant,
Quelque belle tout bas te reproche en riant

D'un silence distrait ton âme enveloppée,

Et que sans doute ailleurs elle est mieux occupée ?
Mais, Dieux, puisses-tu voir, sous un ennui rongeur,
De ta chère beauté sécher toute la fleur,

Plutôt que d'être heureuse à grossir tes conquêtes ;
D'aller chercher toi-même et désirer des fêtes,
Ou sourire le soir, assise au coin d'un bois,
Aux éloges rusés d'une flatteuse voix,
Comme font trop souvent de jeunes infidèles,
Sans songer que le ciel n'épargne point les belles.
Invisible, inconnu, Dieux! pourquoi n'ai-je pas
Sous un voile étranger accompagné tes pas ?
J'ai pu de ton esclave, ardent, épris de zèle,

Porter, comme le cœur, le vêtement fidèle.

Quoi! d'autres loin de moi te prodiguent leurs soins,
Devinent tes pensers, tes ordres, tes besoins!
Et quand d'âpres cailloux la pénible rudesse
De tes pieds délicats offense la faiblesse,

Mes bras ne sont point là pour presser lentement
Ce fardeau cher et doux et fait pour un amant !
Ah! ce n'est pas aimer que prendre sur soi-même
De pouvoir vivre ainsi loin de l'objet qu'on aime.
Il fut un temps, Camille, où plutôt qu'à me fuir
Tout le pouvoir des Dieux t'eût contrainte à mourir !

Et puis d'un ton charmant ta lettre me demande
Ce que je veux de toi, ce que je te commande !
Ce que je veux ? dis-tu. Je veux que ton retour
Te paraisse bien lent; je veux que nuit et jour
Tu m'aimes. (Nuit et jour, hélas ! je me tourmente.)
Présente au milieu d'eux, sois seule, sois absente;
Dors en pensant à moi; rêve-moi près de toi ;

Ne vois que moi sans cesse, et sois toute avec moi.

Au retour d'un festin, seule, ô Dieux! sur ta couche,
Si cet heureux papier s'approchait de ta bouche !
Enfermé dans la soie, oh! si ta belle main
Daignait le retrouver, le presser sur ton sein!
Je le saurai; l'amour volera me le dire.
Dans l'âme d'un poète un dieu même respire.
Et ton cœur ne pourra me faire un si grand bien,
Sans qu'un transport subit avertisse le mien.
Fais-le naître, ô Camille; alors toutes mes peines
S'adoucissent. Alors, dans mes paisibles veines,
Mon sang coule en flots purs et de lait et de miel,
Et mon âme se croit habitante du ciel !

Ainsi le jeune amant, seul, loin de ses délices,
S'assied sous un mélèze au bord des précipices,
Et là, revoit la lettre où, dans un doux ennui,
Sa belle amante pleure et ne vit que pour lui.
Il savoure à loisir ces lignes qu'il dévore,
Il les lit, les relit et les relit encore,

Baise la feuille aimée et la porte à son cœur.
Tout-à-coup de ses doigts l'aquilon ravisseur
Vient, l'emporte et s'enfuit. Dieux ! Il se lève, il crie,
Il voit, par le vallon, par l'air, par la prairie,
Fuir avec ce papier, cher soutien de ses jours,
Son âme et tout lui-même et toutes ses amours.
Il tremble de douleur, de crainte, de colère.
Dans ses yeux égarés roule une larme amère.
Il se jette en aveugle, à le suivre empressé,
Court, saute, vole, et l'œil sur lui toujours fixé,
Franchit torrents, buissons, rochers, pendantes cimes,
Et l'atteint, hors d'haleine, à travers les abîmes.

IV.

Ah! je les reconnais et mon cœur se réveille.
O sons! ô douces voix chères à mon oreille,
O mes Muses, c'est vous. Vous, mon premier amour,
Vous, qui m'avez aimé dès que j'ai vu le jour.
Leurs bras, à mon berceau dérobant mon enfance,
Me portaient sous la grotte où Virgile eut naissance,
Où j'entendais le bois murmurer et frémir,

Où leurs yeux dans les fleurs me regardaient dormir.
Ingrat! ô de l'amour trop coupable folie !

Souvent je les outrage et fuis et les oublie ;

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