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Dans les vallons riants leurs flots se ralentissent.
Quand l'hiver, accourant du blanc sommet des monts,
Vient mettre un frein de glace à leurs pas vagabonds,
Ils luttent vainement, leurs ondes sont esclaves :
Mais le printemps revient amollir leurs entraves,
Leur frein s'use et se brise au souffle du zéphir,

Et l'onde en liberté recommence à courir.

3 VII.

AUX FRÈRES DE PANGE.

Aujourd'hui qu'au tombeau je suis prêt à descendre,
Mes amis, dans vos mains je dépose ma cendre.
Je ne veux point, couvert d'un funèbre linceuil,
Que les pontifes saints autour de mon cercueil,
Appelés aux accents de l'airain lent et sombre,
De leur chant lamentable accompagnent mon ombre,
Et sous des murs sacrés aillent ensevelir

Ma vie et ma dépouille, et tout mon souvenir.
Eh! qui peut sans horreur, à ses heures dernières,
Se voir au loin périr dans des mémoires chères ?
L'espoir que des amis pleureront notre sort
Charme l'instant suprême et console la mort.
Vous-mêmes choisirez à mes jeunes reliques
Quelque bord fréquenté des pénates rustiques,
Des regards d'un beau ciel doucement animé,
Des fleurs et de l'ombrage, et tout ce que j'aimai.
C'est là, près d'une eau pure, au coin d'un bois tranquille,
Qu'à mes mânes éteints je demande un asile :

Afin que votre ami soit présent à vos yeux,
Afin qu'au voyageur amené dans ces lieux,

La pierre, par vos mains de ma fortune instruite,
Raconte en ce tombeau quel malheureux habite;
Quels maux ont abrégé ses rapides instants;
Qu'il fut bon, qu'il aima, qu'il dut vivre long-temps.
Ah! le meurtre jamais n'a souillé mon courage.
Ma bouche du mensonge ignora le langage;
Et jamais, prodiguant un serment faux et vain,
Ne trahit le secret recélé dans mon sein.
Nul forfait odieux, nul remords implacable
Ne déchire mon âme inquiète et coupable.

Vos regrets la verront pure et digne de pleurs ;
Oui, vous plaindrez sans doute en mes longues douleurs
Et ce brillant midi qu'annonçait mon aurore,

Et ces fruits dans leur germe éteints avant d'éclore,
Que mes naissantes fleurs auront en vain promis.
Oui, je vais vivre encore au sein de mes amis.
Souvent à vos festins qu'égaya ma jeunesse,
Au milieu des éclats d'une vive allégresse,
Frappés d'un souvenir, hélas! amer et doux,
Sans doute vous direz : « Que n'est-il avec nous! >>

Je meurs. Avant le soir j'ai fini ma journée.
A peine ouverte au jour, ma rose s'est fanée.
La vie eut bien pour moi de volages douceurs;
Je les goûtais à peine, et voilà que je meurs.
Mais, ô que mollement reposera ma cendre,
Si parfois, un penchant impérieux et tendre
Vous guidant vers la tombe où je suis endormi,
Vos yeux en approchant pensent voir leur ami!
Si vos chants de mes feux vont redisant l'histoire ;
Si vos discours flatteurs, tout pleins de ma mémoire,
Inspirent à vos fils, qui ne m'ont point connu,

L'ennui de naître à peine et de m'avoir perdu.
Qu'à votre belle vie ainsi ma mort obtienne
Tout l'âge, tous les biens dérobés à la mienne;
Que jamais les douleurs, par de cruels combats,
N'allument dans vos flancs un pénible trépas;
Que la joie en vos cœurs ignore les alarmes ;
Que les peines d'autrui causent seules vos larmes ;
Que vos heureux destins, les délices du ciel,
Coulent toujours trempés d'ambroisie et de miel,
Et non sans quelque amour paisible et mutuelle.
Et quand la mort viendra, qu'une amante fidèle,
Près de vous désolée, en accusant les Dieux,

Pleure, et veuille vous suivre, et vous ferme les yeux.

3 VIII.

A DE PANGE L'AINÉ.

Pourquoi de mes loisirs accuser la langueur?
Pourquoi vers des lauriers aiguillonner mon cœur?
Abel, que me veux-tu ? Je suis heureux, tranquille.
Tu veux m'ôter mon bien, mon amour, ma Camille,
Mes rêves nonchalants, l'oisiveté, la paix,

A l'ombre, au bord des eaux, le sommeil pur et frais.
Ai-je connu jamais ces noms brillants de gloire
Sur qui tu viens sans cesse arrêter ma mémoire?
Pourquoi me rappeler, dans tes cris assidus,
Je ne sais quels projets que je ne connais plus?
Que d'Achille outragé l'inexorable absence

Livre à des feux troyens les vaisseaux sans défense;

Qu'à Colomb pour le nord révélant son amour,
L'aimant nous ait conduits où va finir le jour;
Jadis, il m'en souvient, quand les bois du Permesse
Recevaient ma première et bouillante jeunesse,
Plein de ces grands objets, ivre de chants guerriers,
Respirant la mêlée et les cruels lauriers,

Je me couvrais de fer, et d'une main sanglante
J'animais aux combats ma lyre turbulente;
Des arrêts du destin prophète audacieux,
J'abandonnais la terre et volais chez les Dieux.
Au flambeau de l'Amour j'ai vu fondre mes ailes.
Les forêts d'Idalie ont des routes si belles !
Là, Vénus, me dictant de faciles chansons,
M'a nommé son poète entre ses nourrissons.
Si quelquefois encore, à tes conseils docile,
Ou jouet d'un esprit vagabond et mobile,
Je veux, de nos héros admirant les exploits,
A des sons généreux solliciter ma voix;
Aux sons voluptueux ma voix accoutumée
Fuit, se refuse et lutte, incertaine,
alarmée ;

Et ma main, dans mes vers de travail tourmentés,
Poursuit avec effort de pénibles beautés.

Mais si, bientôt lassé de ces poursuites folles,
Je retourne à mes riens que tu nommes frivoles,
Si je chante Camille, alors écoute, voi :
Les vers pour la chanter naissent autour de moi.
Tout pour elle a des vers! Ils renaissent en foule;
Ils brillent dans les flots du ruisseau qui s'écoule ;
Ils prennent des oiseaux la voix et les couleurs ;
Je les trouve cachés dans les replis des fleurs.
Son sein a le duvet de ce fruit que je touche;
Cette rose au matin sourit comme sa bouche;
Le miel qu'ici l'abeille eut soin de déposer
Ne vaut pas à mon cœur le miel de son baiser.

L'ennui de naître à peine et de m'avoir perdu.
Qu'à votre belle vie ainsi ma mort obtienne
Tout l'âge, tous les biens dérobés à la mienne;
Que jamais les douleurs, par de cruels combats,
N'allument dans vos flancs un pénible trépas;
Que la joie en vos cœurs ignore les alarmes ;
Que les peines d'autrui causent seules vos larmes ;
Que vos heureux destins, les délices du ciel,
Coulent toujours trempés d'ambroisie et de miel,
Et non sans quelque amour paisible et mutuelle.
Et quand la mort viendra, qu'une amante fidèle,
Près de vous désolée, en accusant les Dieux,
Pleure, et veuille vous suivre, et vous ferme les yeux.

VIII.

A DE PANGE L'AINÉ.

Pourquoi de mes loisirs accuser la langueur?
Pourquoi vers des lauriers aiguillonner mon cœur?
Abel, que me veux-tu ? Je suis heureux, tranquille.
Tu veux m'ôter mon bien, mon amour, ma Camille,
Mes rêves nonchalants, l'oisiveté, la paix,

A l'ombre, au bord des eaux, le sommeil pur et frais.
Ai-je connu jamais ces noms brillants de gloire
Sur qui tu viens sans cesse arrêter ma mémoire?
Pourquoi me rappeler, dans tes cris assidus,
Je ne sais quels projets que je ne connais plus?
Que d'Achille outragé l'inexorable absence

Livre à des feux troyens les vaisseaux sans défense;

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