Images de page
PDF
ePub

Qu'à Colomb pour le nord révélant son amour,
L'aimant nous ait conduits où va finir le jour;
Jadis, il m'en souvient, quand les bois du Permesse
Recevaient ma première et bouillante jeunesse,
Plein de ces grands objets, ivre de chants guerriers,
Respirant la mêlée et les cruels lauriers,

Je me couvrais de fer, et d'une main sanglante
J'animais aux combats ma lyre turbulente;
Des arrêts du destin prophète audacieux,
J'abandonnais la terre et volais chez les Dieux.
Au flambeau de l'Amour j'ai vu fondre mes ailes.
Les forêts d'Idalie ont des routes si belles !
Là, Vénus, me dictant de faciles chansons,
M'a nommé son poète entre ses nourrissons.
Si quelquefois encore, à tes conseils docile,
Ou jouet d'un esprit vagabond et mobile,
Je veux, de nos héros admirant les exploits,
A des sons généreux solliciter ma voix;
Aux sons voluptueux ma voix accoutumée
Fuit, se refuse et lutte, incertaine, alarmée;
Et ma main, dans mes vers de travail tourmentés,
Poursuit avec effort de pénibles beautés.
Mais si, bientôt lassé de ces poursuites folles,
Je retourne à mes riens que tu nommes frivoles,
Si je chante Camille, alors écoute, voi :
Les vers pour la chanter naissent autour de moi.
Tout pour elle a des vers! Ils renaissent en foule;
Ils brillent dans les flots du ruisseau qui s'écoule ;
Ils prennent des oiseaux la voix et les couleurs;
Je les trouve cachés dans les replis des fleurs.
Son sein a le duvet de ce fruit que je touche;
Cette rose au matin sourit comme sa bouche;
Le miel qu'ici l'abeille eut soin de déposer
Ne vaut pas à mon cœur le miel de son baiser.

1

Tout pour elle a des vers! Ils me viennent sans peine
Doux comme son parler, doux comme son haleine.
Quoi qu'elle fasse ou dise, un mot, un geste heureux,
Demande un gros volume à mes vers amoureux.
D'un souris caressant si son regard m'attire,
Mon vers plus caressant va bientôt lui sourire.
Si la gaze la couvre, et le lin pur et fin,
Mollement, sans apprêt; et la gaze ou le lin
D'une molle chanson attend une couronne.
D'un luxe étudié si l'éclat l'environne,
Dans mes vers éclatants sa superbe beauté
Vient ravir à Junon toute sa majesté.
Tantôt, c'est sa blancheur, sa chevelure noire;
De ses bras, de ses mains le transparent ivoire.
Mais si jamais, sans voile et les cheveux épars,
Elle a rassasié ma flamme et mes regards,
Elle me fait chanter, amoureuse Ménade,
Des combats de Paphos une longue Iliade;
Et si de mes projets le vol s'est abaissé,
A la lyre d'Homère ils n'ont point renoncé.
Non en la dépouillant de ses cordes guerrières,
Ma main n'a su garder que les cordes moins fières
Qui chantèrent Hélène et les joyeux larcins,
Et l'heureuse Corcyre, amante des festins.
Mes chansons à Camille ont été séduisantes.
Heureux qui peut trouver des Muses complaisantes,
Dont la voix sollicite et mène à ses désirs
Une jeune beauté qu'appelaient ses soupirs.
Hier, entre ses bras, sur sa lèvre fidèle,

J'ai surpris quelques vers que j'avais faits pour elle.
Et sa bouche, au moment que je l'allais quitter,
M'a dit : « Tes vers sont doux, j'aime à les répéter.
Si cette voix eût dit même chose à Virgile,
Abel, dans ses hameaux il eût chanté Camille;

[ocr errors]

N'eût point cherché la palme au sommet d'Hélicon,
Et le glaive d'Énée eût épargné Didon.

IX.

Ainsi, vainqueur de Troie et des vents et des flots,
D'un navire emprunté pressant les matelots,
Le fils du vieux Laërte arrive en sa patrie,
Baise, en pleurant, le sol de son île chérie ;
Il reconnaît le port couronné de rochers,
Où le vieillard des mers accueille les nochers,
Et que l'olive épaisse entoure de son ombre;
Il retrouve la source et l'antre humide et sombre
Où l'abeille murmure; où, pour charmer les yeux,
Teints de pourpre et d'azur, des tissus précieux
Se forment sous les mains des Naïades sacrées ;
Et dans ses premiers vœux ces nymphes adorées
(Que ses yeux n'osaient plus espérer de revoir)
De vivre, de régner lui permettent l'espoir.

O des fleuves français brillante souveraine,
Salut! ma longue course à tes bords me ramène,
Moi que ta nymphe pure en son lit de roseaux
Fit errer tant de fois au doux bruit de ses eaux;
Moi qui la vis couler plus lente et plus facile,
Quand ma bouche animait la flûte de Sicile;
Moi, quand l'amour trahi me fit verser des pleurs,
Qui l'entendis gémir et pleurer mes douleurs.

Tout mon cortége antique, aux chansons langoureuses,
Revole comme moi vers tes rives heureuses.

Promptes dans tous mes pas à me suivre en tous lieux,

Le rire sur la bouche et les pleurs dans les yeux,
Partout autour de moi mes jeunes élégies
Promenaient les éclats de leurs folles orgies;
Et, les cheveux épars, se tenant par la main,
De leur danse élégante égayaient mon chemin.
Il est bien doux d'avoir dans sa vie innocente
Une Muse naïve et de haines exempte,
Dont l'honnête candeur ne garde aucun secret;
A laquelle, au hasard, sans crainte, sans apprêt,
Sûr de ne point rougir en voyant la lumière,
On puisse dévoiler son âme tout entière.

C'est ainsi, promené sur tout cet univers,
Que mon cœur vagabond laisse tomber des vers.
De ses pensers errants vive et rapide image,
Chaque chanson nouvelle a son nouveau langage,
Et des rêves nouveaux un nouveau sentiment :
Tous sont divers, et tous furent vrais un moment.

Mais que les premiers pas ont d'alarmes craintives!
Nymphe de Seine, on dit que Paris sur tes rives
Fait asseoir vingt conseils de critiques nombreux,
Du Pinde partagé despotes soupçonneux.
Affaiblis de leurs yeux la vigilance amère;
Dis-leur que, sans s'armer d'un front dur et sévère,
Ils peuvent négliger les pas et les douceurs
D'une Muse timide, et qui, parmi ses sœurs,
Rivale de personne et sans demander grâce,
Vient, le regard baissé, solliciter sa place;
Dont la main est sans tache, et n'a connu jamais
Le fiel dont la satire envenime ses traits.

X.

AU CHEVALIER DE PANGE.

Quand la feuille en festons a couronné les bois,
L'amoureux rossignol n'étouffe point sa voix.
Il serait criminel aux yeux de la nature,
Si, de ses dons heureux négligeant la culture,
Sur son triste rameau, muet dans ses amours,
Il laissait sans chanter expirer les beaux jours.
Et toi, rebelle aux dons d'une si tendre mère,
Dégoûté de poursuivre une muse étrangère
Dont tu choisis la cour trop bruyante pour toi,
Tu t'es fait du silence une coupable loi !
Tu naquis rossignol. Pourquoi, loin du bocage
Où de jeunes rosiers le balsamique ombrage
Eût redit tes doux sons sans murmure écoutés,
T'en allais-tu chercher la muse des cités;
Cette muse, d'éclat, de pourpre environnée,
Qui, le glaive à la main, du diadême ornée,
Vient au peuple assemblé, d'une dolente voix,
Pleurer les grands malheurs, les empires, les rois?
Que n'étais-tu fidèle à ces muses tranquilles
Qui cherchent la fraîcheur des rustiques asiles,
Le front ceint de lilas et de jasmins nouveaux,
Et vont sur leurs attraits consulter les ruisseaux ?
Viens dire à leurs concerts la beauté qui te brûle.
Amoureux, avec l'âme et la voix de Tibulle,
Fuirais-tu les hameaux, ce séjour enchanté,
Qui rend plus séduisant l'éclat de la beauté ?
L'amour aime les champs, et les champs l'ont vu naître.

« PrécédentContinuer »