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de l'Etat eft bien loin d'en être la treizieme, & peut être comptée pour rien; auffi l'Ecriture s'exprime-t-elle conformément à cette idée Les Prêtres & tous ceux qui defcendent de Lévi n'auront point de part avec les autres tribus; ils n'auront rien dans les terres, parce que le Seigneur eft leur héritage; ils fe nourriront des offrandes & des facrifices (Deut. XVIII, 1 ; & Ezech. XLIV, 28.). Mais comme ces paroles font trop vagues, & qu'elles ne déterminent pas précisément la quotité des fubfiftances deftinées pour l'entretien de la claffe des Lévites, la Loi s'explique ailleurs plus pofitivement: elle donne aux Prêtres en particulier les prémices des fruits de la terre. La quantité de cette offrande n'est point réglée dans les Livres de Moife, il paroît qu'elle devoit confifter dans un ou plufieurs faisceaux d'épis des premiers coupés; mais parce que dans la fuite il s'introduifit probablement quelques abus dans la perception de ce droit, il eft fixé à la foixantieme partie de la récolte par Ezéchiel; & fur les troupeaux, à un mouton pour deux cents de ceux que les Ifraëlites engraiffoient pour les facrifices & les holocauftes. Les Prêtres eurent en outre le centieme de tous les grains & des fruits de la terre; tout ce qui étoit offert & confacré à Dieu par la dévotion du peuple, foit terres foit fruits, foit animaux; le rachat des premiers-nés tournoit auffi à leur profit, &c. &c. Ainfi, négligeant le cafuel, & ne confidérant que ce que les Prêtres avoient de fixe, on trouve qu'ils étoient en droit de prendre pour leur part des récoltes les parties, c'est-à-dire, que fur deux mille boiffeaux ils en prenoient cinquante-trois. A l'égard des fimples Lévites, ils levoient leur droit après la perception des prémices, c'eft-à-dire, après qu'on avoit féparé la foixantieme partie des grains pour le profit des Prêtres; les Lévites alors prenoient donc la dixieme partie des récoltes, fur quoi ils étoient obligés d'en céder un dixieme aux Prêtres ; c'eft le centieme dont nous venons de parler tout-à-l'heure; par conféquent tout le corps des fimples Lévites n'avoit pour fa part des grains du pays que les 17, c'eft-à-dire, que fur deux mille boiffeaux ils en avoient cent foixante-dix-fept. Si l'on ajoute ensemble le droit des Prêtres & celui des fimples Lévites on trouvera que la feule tribu de Lévi avoit fur les récoltes de la Palestine les; c'eft-à-dire, que fur deux cents boiffeaux elle en prenoit vingt-trois (Num. VIII, XVIII, XXVIII, XXIX, XXX. Deut, XII, XIV, XVIII. Ezech. XIV, XLV, 13, &c. ).

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Ce n'eft plus la treizieme partie des fruits, c'en eft presque la huitieme, fans compter le cafuel & ce qu'elle poffédoit de terres. C'eft ainfi que, par le bénéfice de la Loi, là tribu de Lévi, qui au premier coup-d'œil paroît la plus mal partagée, devient, pour ainfi dire, seule propriétaire de tous les fonds de la Palestine; les douze tribus, compofées d'hommes de travail, n'en étoient proprement que les fermiers perpétuels & inamovibles. En effet, nous avons vu, au commencement de ce Chapitre, que, fuivant le témoignage de Budée, un arpent de terre dans l'Ile de France, qui produit foixante-douze boiffeaux de bled, rapporte au propriétaire qui le donne à bail à un fermier, huit boiffeaux de bled feulement; or les de foixante-douze boiffeaux font huit boiffeaux &, par conféquent le droit de la tribu de Lévi fur les terres de la Paleftine, fe montoit plus haut que le revenu d'un propriétaire en France fur fes propres fonds qu'il ne fait pas valoir lui-même. Il faut dire cependant que cet avantage qu'avoit la tribu de Lévi, étoit sujet à des inconvéniens; le peuple Juif étoit inconftant & ingrat, il abandonna plufieurs fois le culte de Dieu pour fervir des idoles, & il eft probable que dans fes écarts il se croyoit difpenfé des obligations de la Loi.

Il feroit poffible d'évaluer à peu près toutes les richesses de la tribu de Lévi; car nous avons compté fix millions d'ames dans la Nation Juive, pour la confommation defquelles il falloit au moins douze millions de fetiers de bled à la mesure de Paris : fi chaque fetier vaut vingt livres de notre monnoie, la confommation du bled feulement vaudra deux cents quarante millions. Les Lévites en avoient les, qui font vingt-fept millions fix cents mille fivres au moins; car il falloit défalquer la femence fur ce qui reftoit au peuple après la perception de la dîme. Si à cette fomme nous ajoutions la dîme des autres productions qui fervent à l'homme, foit pour fa nourriture, foit pour fon vêtement, comme les lins & les laines, la dîme des beftiaux, les vœux & les offrandes, la capitation qu'on payoit au Temple, les fonds de terres poffédés par les Prêtres & les Lévites, &c., il est probable qu'on doubleroit cette fomme. Et telles étoient les Loix agraires de la Palestine.

On a quelque peine, dit M. Pluche ( Concord. Géogr. p. 322.), à accorder les prodigieux dénombremens que l'Ecriture nous rapporte des habitans des Royaumes de Juda & d'Ifrael, avec l'état

de langueur & de mifere dans lequel les Voyageurs nous les repréfentent aujourd'hui.

L'indifférence du gouvernement des Turcs pour la population, & le bon état des habitans de leurs pays conquis; l'avarice des Officiers qui en ont l'intendance; la vente des permissions qu'ils accordent aux monopoleurs & aux coureurs Arabes, ont découragé & fait fuir les habitans. La terre fans culture n'a plus rien de floriffant. Les terres font négligées. Les Villes font devenues ou des Villages miférables, ou des amas de ruines. Les habitans font ou des Grecs ruinés & fugitifs, ou des Arabes fans goût pour l'agriculture, ou de pauvres Syriens qui n'ofent rien entreprendre, de peur d'être pillés par les corps de voleurs qui vont & viennent, ou par les Officiers même prépofés pour les défendre.

Autrefois tout y étoit en valeur, jufqu'au plus haut des montagnes, par le foin qu'on prenoit d'en couper tous les pendans en différentes terraffes, d'en varier les productions felon les af pects, & de cultiver le tout à la charrue ou à la pioche. Les Hébreux fourniffoient Tyr & Sidon de bled, de menus grains, de lin, de chanvre, & de fruits: ils portoient ou envoyoient aux Egyptiens de grandes provifions d'huile & de vin. Aujourd'hui la terre eft la même; mais les habitans manquent à la terre, & le courage aux habitans.

C'étoient les pâturages & les beftiaux qui, par des engrais, procuroient à la Terre-fainte & aux Régions voisines cette heureuse fécondité qui en faifoit des Etats puiffans dans une petite étendue de terres. Les Ifraëlites & tous les peuples du voisinage furent bergers de profeffion dès les premiers temps. Qu'on par-. coure la Bible, on verra toujours les Hébreux, à commencer par Abraham, faire confifter la meilleure partie de leurs richesses dans la nourriture des boeufs, des moutons & des chevres; ils ne négligerent jamais cette lucrative occupation, pas même durant leur fervitude en Egypte.

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Suite de la fertilité des terres, & de quelques Loix agraires.

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Uelques peuples avec l'avantage de faire d'abondantes récoltes, avoient encore celui de pofféder des terres extrêmement meubles & faciles à labourer. Pline (lib. XVIII, cap. XVIII.), après avoir parlé de la grande facilité de la culture en Egypte, ajoute que les terres n'exigeoient pas plus de travail dans la Babylonie, la Séleucide, & le long des bords du Tygre & de l'Euphrate, où le produit des moiffons paffoit de beaucoup celles qu'on faifoit en Egypte. Les terres dans la Syrie, les Anciens comprennent & par conféquent dans la Palestine que le plus fouvent fous cette dénomination, n'avoient befoin que d'un léger labour, tandis qu'il en faut donner plufieurs aux terres en Italie, & que huit forts bœufs attelés à une même charrue perdent la refpiration à la tirer. Les terres fertiles de l'ancienne Numidie, aujourd'hui le Royaume d'Alger, font, au rapport de Columelle (lib. II, cap. II.), mêlées d'un fable qui les rend extrêmement meubles & folubles, & on les laboure fans peine.

La Médie eft fertile en beaucoup d'endroits, mais principalement vers les portes Cafpiennes. Il y a de gras pâturages, où l'on éleve une grande multitude de chevaux. Ce pays envoyoit tous les ans aux Rois de Perfe, outre un tribut en argent, trois mille chevaux, quatre mille mulets, & cinquante mille moutons. Les Satrapes d'Arménie envoyoient auffi en Perfe vingt mille poulains tous les ans. C'est de la Médie que nous vient cette plante fi utile pour la nourriture des chevaux, que nous appellons luzerne, & que les Anciens appelloient medica. Elle fut d'abord apportée en Grece, dans le temps des guerres de Darius; delà elle paffa en Italie, d'où elle s'eft répandue dans toute l'Europe. Cette plante eft fort célébrée par les Anciens, parce que, comme dit Columelle (lib. II, cap. XI.), 1°. lorfque la terre en eft une fois enfemencée, elle s'y conferve, & pouffe abondamment pendant

dix années; 2°. parce que chaque année on la fauche quatre & fouvent jusqu'à fix fois; 3°. parce qu'elle engraiffe & fertilife la terre; 4. parce qu'elle engraiffe finguliérement tous les beftiaux qui s'en nourriffent; 5o. parce qu'elle rend la fanté aux troupeaux malades; 6°. parce qu'un jugere en culture de luzerne fournit abondamment pour la nourriture de trois chevaux durant toute l'année, d'où il fuit qu'un arpent de France fuffiroit pour la nourriture de fix chevaux. On peut voir ce qui concerne la culture de la luzerne, dans Columelle, à l'endroit cité; dans Varron (lib. I. c. XLII.), & dans Pline (lib. XVIII, c. XVI.). Amphiloque avoit compofé un Volume entier fur cette plante & fur le Cytise.

L'Efpagne autrefois pouvoit être comparée aux pays les plus délicieux de la terre, & aucun ne lui étoit préférable pour l'abon dance des récoltes en bleds, en vins & en fruits de toute forte. On y trouvoit toutes les chofes néceffaires à la vie, comme celles qui ne font recherchées que pour le luxe. Il y avoit des mines d'or & d'argent, de grands vignobles, de vaftes plants d'oliviers. L'on n'y voyoit point de terres incultes, point de ftériles; car les cantons où le bled ne réuffiffoit pas fourniffoient d'excellens pâturages; & s'il y en a quelques-uns qui ne foient propres à aucune de ces productions, on y recueille des joncs marins qui fervent à faire des cordages pour les vaiffeaux, des nattes, & d'autres ouvrages utiles. Tel eft le témoignage que Solin rend de la bonté des terres d'Espagne. Pomponius Méla dit que l'Efpagne abonde tellement en hommes, en chevaux, en fer, en plomb, en argent & en or, que fi dans quelques endroits la difette d'eau la rend diffemblable d'elle-même, il y croît cependant du lin & du jonc avec quoi on fait des cordes & des nattes. Juftin (lib. XLIV.) dit que l'Espagne eft plus fertile que la Gaule, & même que l'Afrique; car, dit-il, cette région n'est point brûlée par les ardeurs du foleil, comme l'Afrique, ni fatiguée par des vents violens & continuels, comme la Gaule; mais, placée entre ces deux pays, elle est vivifiée & fécondée par des chaleurs modérées & des pluies bienfaifantes, au point qu'elle procure abondamment tous les fruits & toutes les chofes néceffaires à la subsistance, non-feulement de fes habitans, mais encore des citoyens de la Ville de Rome & de toute l'Italie. Elle ne produit pas feulement une prodigieufe quantité de froment, elle est également fertile en vins délicieux,

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