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donner, pour y demeurer heureux et comblés de biens, notre portion de l'héritage céleste, nous manquons à notre religion tout entière, nous n'en avons pas l'esprit. Si nous n'aimons que la terre, nous n'avons point de part à la promesse divine, nous n'en aurons point à l'héritage des enfans de Dieu : comment aurions-nous de la piété, même avec tout l'extérieur de la piété? Non, en cherchant ainsi les choses de la terre dans notre piété, nous ne sommes pas les citoyens des saints, les domestiques de Dieu, ses héritiers, cohéritiers de son Fils. Au milieu de l'Église, avec un nom de piété, nous sommes enfans étrangers, comme était la race charnelle d'Abraham. Comprenez-le une fois, mes frères, et comprenez-le tous. L'écorce de la piété, ce sont les vertus qui paraissent aux yeux des hommes, qui trop souvent cherchent la récompense des hommes. Le fonds de la piété chrétienne, en faisant le bien et fuyant le mal, c'est l'espérance avec le désir du siècle à venir, et de la récompense qui nous y attend. (Sermons choisis, t. 5. Voyez le père Bourdaloue, dans le second tome de sa dominicale, et dans le premier tome de ses pensées; le père Cheminais, dans ses sermons du service de Dieu et de la sainteté de vie; le père Massillon, dans son sermon du véritable culte; le père la Boissière, dans son sermon de la dévotion; le

père la Rue et le père Giroust.)

DEVOTION.

SECOND SERMON ABRÉGÉ.

Populus hic labiis me honorat; cor autem eorum longe est à

me.

Ce peuple m'honore des lèvres ; et son cœur est loin de moi. (Matth. 15, 8.)

Voici, N..., la nouvelle alliance, c'est-à-dire la religion du cœur établie; le culte spirituel élevé sur les ruines de la superstition et de l'hypocrisie; l'obéissance et la miséricorde préférées aux offrandes et aux victimes; l'esprit qui vivifie, opposé à la lettre qui tue; la chair qui ne sert de rien, rejetée; la piété qui est utile à tout, annoncée..., la religion des sens, ou condamnée dans ses abus, ou réglée dans ses usages... Voici les règles de la religion solide, de la piété chrétienne, et l'esprit du véritable culte que combattent deux erreurs opposées. Il est des fidèles qui se font honneur de mépriser toutes les pratiques extérieures de piété, qui les traitent de dévotions populaires, et nous disent sans cesse que Dieu ne regarde que le cœur, et que tout le reste est inutile ; première erreur. Il en est d'autres qui négligent l'essentiel de la loi, mettent en ces vains dehors toute leur religion et toute

leur confiance; seconde erreur. Ne rejetez pas les pratiques extérieures du culte et de la piété; ce serait un orgueil et une singularité blâmable, et vous n'adoreriez pas le Seigneur en vérité. Ne comptez pas sur cet extérieur, jusqu'à croire que sans vous appliquer à purifier votre cœur et à régler vos mœurs, cet extérieur tout seul suffira pour vous rendre agréables à Dieu; ce serait l'erreur des pharisiens, et vous n'adoreriez pas le Seigneur en esprit. Ne méprisez pas l'extérieur du culte et de la piété, n'en abusez pas voilà tout le dessein de ce discours.

PREMIER POINT.

Je suppose d'abord que le véritable culte, si nous le considérons en lui-même, et sans aucun rapport à l'état présent de l'homme, est purement intérieur, et se consomme tout entier dans le cœur. Adorer l'Etre sonverain, contempler ses divines perfections, s'unir à lui par les saints mouvemens d'un amour pur et parfait; la louange, la bénédiction, l'action de grâces, c'est toute la religion des esprits bienheureux; c'est celle des justes qui nous ont précédés avec le signe de la foi; c'eût été la religion de l'homme innocent, dit saint Augustin, si, déchu de cet état de justice où il avait d'abord été créé, on ne l'eût pas condamné à ramper sur la terre, et à ne pouvoir plus s'élever à son Créateur, que le ministère des mêmes créa

par

tures qui l'en avaient éloigné.

Successeurs de son infidélité, nous le sommes de sa peine; enfans d'un père charnel, nous naissons charnels comme lui : notre âme enveloppée dans les sens, ne peut presque plus se passer de leur ministère; il faut à notre culte des objets sensibles qui aident notre foi, qui réveillent notre amour, qui nourrissent notre espérance, qui facilitent notre attention, qui sanctifient l'usage de nos sens, qui nous unissent même à nos frères. Telle est la religion de la terre, ce sont des symboles qui nous fixent, qui nous purifient, qui nous réunis

sent...

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Les hommes ne peuvent donc se passer d'un culte extérieur, qui les réunisse, qui les discerne des infidèles et des errans qui édifie même leurs frères, qui soit une confession publique de leur foi... Cependant ce n'est pas l'hérésie seule qui a prétendu borner tout le culte à l'intérieur, et regarder toutes les pratiques sensibles comme des superstitions populaires ou des dévotions inutiles... Nous entendons dire tous les jours que la

véritable piété est dans le cœur..., et que les devoirs du christianisme sont plus spirituels, plus sublimes, plus dignes de la raison, que tout ce détail de dévotion auquel on assujettit les simples c'est-àdire, que la sagesse du monde oppose trois prétextes pour autoriser une si dangereuse illu

sion; l'inutilité de l'extérieur, faible simplicité de l'extérieur, l'abus de l'extérieur. Combattons ces prétextes, et établissons l'utilité, la sagesse et le véritable usage du culte extérieur.

1o. Vous nous opposez en premier lieu, que l'essentiel de la dévotion est dans le cœur, et que tous ces dehors sont inutiles. Mais je pourrais vous demander d'abord : en bannissant cet extérieur que vous croyez si inutile, êtes-vous du moins fidèle à cet essentiel auquel vous vous retranchez? En méprisant tout ce que vous croyez de surcroît dans la religion, accomplissez-vous du moins tout ce dont la loi de Dieu vous fait un devoir indispensable? En croyant qu'il suffit de donner le cœur à Dieu, le lui donnez-vous du moins, tandis que tous les dehors sont encore au monde? J'en appelle ici à votre conscience. Glorifiez-vous Dieu dans votre corps, et ne le faitesvous pas servir à des passions injustes? Remplissez-vous tous vos devoirs de père, d'époux, de maître, d'homme public, de chrétien? N'avez-vous rien à vous reprocher sur l'usage de vos biens, sur les fonctions de vos charges, sur la nature de vos affaires, sur le bon ordre de vos familles? Portez-vous un cœur libre de toute haine, de toute jalousie, de toute animosité envers vos frères? Leur innocence, leur réputation, leur fortune ne perd-elle jamais rien

par vos intrigues ou par vos discours? Préférez-vous Dieu à tout; à vos intérêts, à votre fortune, à vos plaisirs, à vos penchans; et la perte de tout ne vous paraît-elle rien à l'égal de lui déplaire? Vous renoncezvous sans cesse vous même ? Vivez-vous de la foi? Ne comptez-vous pour rien tout ce qui passe? Regardez-vous le monde comme l'ennemi de Dieu ? Gémissez-vous sur les égaremens de vos mœurs passées? Portezvous un cœur pénitent, humilié, brisé sous un extérieur encore mondain? Avez-vous horreur de la seule apparence du mal? en fuyez-vous les occasions? en cherchez-vous les remèdes? Voilà cet essentiel que vous nous vantez tant; y êtesvous fidèle? Non, mes frères, il n'est que les âmes livrées au monde et à ses amusemens, qui nous redisent sans cesse qu'il suffit de donner le cœur à Dieu, et que c'est là l'essentiel : c'est que comme il est visible qu'elles ne lui donnent pas les dehors, il faut, pour se calmer, qu'elles tâchent de se persuader que les dehors ne sont pas nécessaires, et qu'elles se retranchent sur le cœur, qui ne nous est jamais connu à nous-mêmes, et sur lequel il est bien plus aisé à chacun de se méprendre.

Mais quand le cœur est enfin réglé, et qu'on a donné à Dieu sincèrement son amour et ses affections: ah! on ne s'avise guère de lui disputer les dehors et la profession extérieure des

sentimens de salut qu'il nous inspire. C'est le sacrifice du cœur et des passions qui coûte, et qui fait la grande difficulté de la vertu ainsi quand une fois on en est venu là, tout le reste ne coûte plus rien, tout s'applanit, tout devient facile; tous les attachemens extérieurs n'ayant plus de racine dans le cœur, tombeut d'eux-mêmes, et ne tiennent plus rien. Aussi on voit bien tous les jours des personnes dans le monde, lesquelles avec un cœur encore mondain et déréglé, font des œuvres extérieures de piété, remplissent des devoirs publics de miséricorde, soutiennent des œuvres saintes; les âmes même les plus mondaines et les plus engagées dans les passions, mêlent d'ordinaire à leurs plaisirs et à leurs faiblesses honteuses quelques œuvres extérieures de religion et de miséricorde, pour se calmer dans une vie toute criminelle, ou pour s'en diminuer à elles-mêmes l'horreur et l'infamie; mais on n'en voit point qui, après avoir donné sincèrement leur cœur à Dieu, rompu tous les attachemens des passions et éloigné toutes les occasions du crime, ne donnent aucune marque extérieure de leur changement, persévèrent dans les mêmes liaisons, les mêmes plaisirs, les mêmes inuti lités, le même éloignement des choses saintes et des devoirs extérieurs de la piété, ne changent rien au dehors, et bornent toute leur conversion à un chan

gement chimérique qui ne pa~ raît point, tandis que tout ce qui paraît est encore le même. Ah! il en coûterait trop pour ne pas donner des témoignages extérieurs de respect au Dieu qu'on aime et qu'on adore; on se reprocherait de n'avoir pas assez d'empressement pour tout ce qui tend à l'honorer; à peine la religion fournit-elle assez de moyens et de pratiques, pour satisfaire à l'amour d'un cœur fidèle. En un mot, on peut bien avec un cœur encore mondain, remplir quelques devoirs extérieurs de piété; mais quand le cœur est une fois chrétien, on ne saurait plus se les interdire.

D'ailleurs, la même loi qui nous oblige de croire de cœur, nous ordonne de confesser de bouche, et de donner des marques publiques et éclatantes de notre foi et de notre piété. Premièrement, pour rendre gloire au Seigneur, à qui nous appartenons, et reconnaître devant tous les hommes, que lui seul mérite nos adorations et nos hommages. Secondement, pour ne pas cacher par une ingratitude criminelle les faveurs secrètes dont il nous a comblés, et porter tous les témoins de ses miséricordes sur nous à joindre leurs actions de grâces aux nôtres. Troisièmement, pour ne pas retenir la vérité dans l'injustice par une timidité indigne de la grandeur du maître que nous servons, et injurieuse à la bonté de Dieu qui nous a éclai

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rés. Quatrièmement, pour édifier nos frères, et les animer à la vertu par nos exemples. Cinquièmement, pour encourager les faibles, et les soutenir par notre fermeté contre les discours insensés du monde, et les dérisions publiques qu'on y fait de la vertu. Sixièmement, pour réparer nos scandales, et devenir une odeur de vie, comme nous avions été une odeur de mort. Septièmement, pour consoler les justes, et les porter par le spectacle de notre changement à bénir les richesses de la miséricorde divine. Que dirai-je en fin, pour confondre les impies et les ennemis de la religion, et les forcer de convenir en secret qu'il y a encore de la vertu sur la terre.

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Voilà cet extérieur que vous croyez si utile: cependant, c'est ainsi que les justes de tous les temps ont opéré leur salut, en se discernant du monde par leurs mœurs, par leurs maximes, par la décence et la modestie des parures, par la fuite des plaisirs publics, par un saint empressement pour tous les devoirs extérieurs du culte et de la piété. Vous-même qui parais sez faire si peu de cas des dehors de la vertu, vous les exigez pourtant des serviteurs de Dieu; et dès qu'ils imitent les mœurs et les manières du monde, et qu'ils n'ont rien au-dehors qui les distingue des autres hommes, vous devenez le premier censeur de leur piété : vous dites qu'on les canonise à bon

marché, qu'il est aisé de servir Dieu et de gagner le ciel à ce prix là, et que vous seriez bientôt un grand saint s'il n'en fallait pas davantage; et dès là vous tombez en contradiction avec vous-même, et vous vous confondez par votre propre bouche.

2o. Mais voici un nouveau prétexte que la fausse sagesse du monde oppose à l'extérieur du culte et de la piété; on y trouve de la simplicité et de la faiblesse. La fréquentation régulière des sacremens, les devoirs de la paroisse, les prières communes et domestiques, la visite des lieux de miséricorde, le zèle pour les entreprises de piété, certaine régularité dans la parure, l'assistance journalière aux mystères saints, la sanctification des jours solennels, le respect pour les lois de l'Église, l'exactitude à observer certaines pratiques saintes: tout cela, on veut que ce soit la religion du peuple : on n'y trouve pas assez d'élévation et de force: on voudrait une religion qui fit des philosophes et non pas des fidèles : on dit qu'il faut laisser ces petites dévotions à un tel et à une telle, dont l'esprit n'est pas capable d'aller plus haut, et on croit faire honneur à sa raison en déshonorant la religion même.

Mais, vous qui nous tenez ce langage, le déréglement de vos mœurs, et la bassesse de vos passions ne dément-elle pas un peu cette prétendue élévation,

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