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effet, cela fournit durant quelque temps d'un si agréable sujet de s'entretenir, qu'il n'y eut jamais rien de plus divertissant. >> Au commencement, Clélie fut bien fâchée qu'on en parlât tant: «Car enfin, disoit-elle un jour à Herminius, pensez-vous que je trouve bon qu'une bagatelle que j'ai pensé qui avoit quelque chose de plaisant pour notre cabale en particulier, devienne publique, et que ce que j'ai fait pour n'être vu que de cinq ou six personnes qui ont infiniment de l'esprit, qui l'ont délicat et connoissant, soit vu de deux mille qui n'en ont guère, qui l'ont mal tourné et peu éclairé, et qui entendent fort mal les plus belles choses? Je sais bien, poursuivit-elle, que ceux qui savent que cela a commencé par une conversation qui m'a donné lieu d'imaginer cette carte en un instant ne trouveront pas cette galanterie chimérique et extravagante; mais, comme il y a de fort étranges gens par le monde, j'appréhende extrêmement qu'il y en ait qui s'imaginent que j'ai pensé à cela fort sérieusement, que j'ai rêvé plusieurs jours pour le chercher, et que je crois avoir fait une chose admirable. Cependant c'est une folie d'un moment, que je ne regarde tout au plus que comme une bagatelle qui a peut-être quelque galanterie et quelque nouveauté pour ceux qui ont l'esprit assez bien tourné pour l'entendre. »

>> Clélie n'avoit pourtant pas raison de s'inquiéter, Madame, car il est certain que tout le monde prit tout à fait bien cette nouvelle invention de faire savoir par où l'on peut acquérir la tendresse d'une honnête personne; et qu'à la réserve de quelques gens grossiers, stupides, malicieux ou mauvais plaisants, dont l'approbation étoit indifférente à Clélie, on en parla avec louange. Encore tira-t-on quelque divertissement de la sottise de ces gens-là; car il y eut un homme entre les autres qui après avoir vu cette carte qu'il avoit demandé à voir avec une opiniâtreté étrange, et après l'avoir fort entendu louer à de plus honnêtes gens que lui, demanda grossièrement à quoi cela servoit et de quelle utilité étoit cette carte: « Je ne sais pas, lui répliqua celui à qui il parloit, après l'avoir repliée fort diligemment, si elle servira à quelqu'un; mais je sais bien qu'elle ne vous conduira jamais à Tendre. »

(CLELIE, Histoire romaine, 1re part., liv. I, t. I, p. 391-410).

IV

LES AIRS DE

L'IMPROMPTU DE MASCARILLE

ET DES VIOLONS

La bibliothèque de la Comédie-Française possède un exemplaire très rare, peut-être unique, d'un ouvrage publié en 1753 et intitulé Recueil complet de vaudevilles et airs choisis qui ont été chantés à la Comédie-Française depuis l'année 1659 jusqu'à l'année 1753, avec les dates de toutes les années et le nom des auteurs. On n'y trouve ni l'air sur lequel Mascarille chante son impromptu, ni celui de la courante jouée par les violons, et toutes les recherches faites jusqu'à présent pour les trouver ailleurs sont demeurées infructeuses. Il est probable que Molière, nouvellement arrivé à Paris, et peu désireux d'augmenter les frais de son théâtre, ne songea pas, comme il le fit plus tard, à demander aux compositeurs en vogue, Lulli ou Charpentier, les deux airs dont il avait besoin. Il se contenta, sans doute, d'adapter à l'impromptu de Mascarille un pont-neuf ou timbre quelconque, agrémenté de variantes comiques, et de faire jouer le premier air de danse venu par les violons de son orchestre1. Après lui, ses successeurs immédiats dans le rôle de Mascarille ou bien chantèrent l'air qu'il avait arrangé, ou bien chacun d'eux en adopta un approprié aux ressources de sa voix. Quant à la musique des violons, ce fut un motif quelconque emprunté aux airs de danse du temps.

Aucun de ces airs chantés par les interprètes de Mascarille durant les deux derniers siècles n'a été conservé. Cependant, pour l'un d'eux, Dugazon, il n'est pas impossible de se repré

Jusqu'en 1660, l'orchestre ordinaire de la troupe de Molière se composa de trois violons, payés chacun 1 livre 10 sols par jour: il y en eut ensuite quatre qui coûtèrent 6 livres; pour les comédies-ballets et les divertissements, où la musique avait une place prépondérante, la troupe recrutait des orchestres très complets. (Voy. J. BONNASSIES, la Musique à la Comédie-Françaree, p. 3 à 15.)

senter à peu près ce que pouvait être son air par un passage déjà cité, d'un écrit du temps. Selon l'usage, Dugazon amplifiait, par des lazzi de son invention le commentaire des beautés de son impromptu; voici comment, d'après le Journal des Spectacles: « Ne trouvez-vous pas que le chant exprime bien la pensée? Oh, oh, la surprise! oh, oh, je n'y prenais pas garde, remarquez-vous l'étonnement? tandis que sans songer à mal, je vous regarde la contemplation dans un port de voix; je vous regarde. Votre œil en tapinois, en tapinois, le coup de patte du chat, la pata ta: me dérobe mon cœur, sentez-vous me dérobe? Là, comme quelqu'un qui se jette dessus. Au, au, au, au voleur; et puis, comme quelqu'un qui crie plus fort, au, au, au, au voleur; et puis, comme quelqu'un qui est épuisé, au, au, au, au voleur; l'affaissement total de toute la machine, au voleur.»

L'air qui se chante aujourd'hui à la Comédie-Française est de l'invention de M. Regnier, qui tint, avec un si grand succès, le rôle de Mascarille, de 1831 à 1872. M. Regnier écrivait récemment 2, au sujet de cet air: « Il fut toujours abandonné à la fantaisie de l'interprète du rôle. Celui que vous m'avez entendu chanter est entièrement de ma composition. » Et il ajoutait « C'est à Cartigny que j'ai vu, pour la première fois, jouer le rôle de Mascarille. Sa chanson, de son invention aussi, je le crois bien, me paraissait plus prétentieuse que comique, et je n'essayai même pas de la reproduire lorsque, pour la première fois, en 1827, je jouai les Précieuses, à Metz. C'est en fredonnant un passage du Déserteur, que je venais de voir, que j'eus l'idée de l'air que vous m'avez entendu chanter, et où je l'ai à peu près introduit; je crois qu'en le reproduisant, Coquelin l'a démanché et l'a accommodé à son jeu personnel. » Le commentaire dont MM. Regnier et Coquelin accompagnent cet air se rapproche assez, comme on peut le voir 3, de celui de Dugazon. Le caractère du rôle, en effet, indique celui de l'air, et cette rencontre est toute naturelle.

1. Le Journal des Spectacles ou le Nouveau Spectateur, Paris, 1777, tom. p. 176-180. (Voy. ci-dessus, p. 61, n. 3.)

2 Lettre à M. LIVET, citée par lui dans son édition des Précieuses ridicules,

P. 207-208.

3. Voy. ci-dessus, p. 134, n. 4.

Quant à « la courante » des violons, telle qu'on la joue actuellement, elle aurait plus de chances sinon d'être l'air du temps de Molière, du moins d'appartenir à la musique de ce temps. Elle en a tout le caractère; c'est la musique fire, élégante, un peu maigre et grêle, de l'école de Lulli, Elle a été notée par Baudron, chef d'orchestre de la Comédie-Française, de 1766 à 1823, et depuis, nous dit M. L. Léon, directeur actuel de la musique à la Comédie, on n'en a jamais joué d'autre.

Nous n'avons pas jugé à propos de reproduire ici la notation de ces deux airs. D'abord nous tenions à ne pas priver de son bénéfice de priorité M. Livet, qui les donne dans son édition. De plus, comme l'un d'eux est tout moderne, que l'origine de l'autre est incertaine, nous avons cru qu'ils n'avaient pas à prendre place dans un travail dont le principal but est de relacer les Précieuses ridicules dans leur milieu et de leur donner leur véritable physionomie. Il nous a semblé suffisant de préciser leur origine et leur histoire, sans empiéter sur ce qui est du domaine de la représentation.

TABLE DES MATIÈRES

Pages.

AVERTISSEMENT

Notice historique sur les Précieuses ridicules:

I. Première représentation des Précieuses ridicules.
Analyse de la pièce. - Les sociétés précieuses et l'esprit
précieux. Véritable but de Molière

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-

II. Attaques contre Molière et les Précieuses ridicules;
Somaize et ses livres. Attaques antérieures contre le
précieux; originalité des Précieuses ridicules.
cieux après Molière.

III. Les Précieuses ridicules au théâtre

IV. Bibliographie des Précieuses ridicules.

Sommaire des Précieuses ridicules par Voltaire.
Préface de Molière.

LES PRÉCIEUSES RIDICULES.

Appendice:

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Le pré-

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I. Récit en prose et en vers de la farce des PRÉCIEUSES

8

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IV. Les airs de l'Impromptu de Mascarille et des Violons.

181

PARIS. — IMPRIMERIE P. MOUILLOT, 13, QUAI VOLTAIRE.

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